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…………………………Brocards, blasphèmes, bouffonneries et autres brèves



Si aujourd'hui la peine de de mort était rétablie en France, au lieu d'offrir au condamné un verre d'alcool et une cigarette avant l'exécution, on lui proposerait le soutien d'un psychologue.

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Dans un homme de Dieu, il y a toujours un fou de Dieu qui sommeille et les fous de Dieu dorment peu.

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Roland Barthes dit que la bêtise le fascine. Rien d'étonnant à cela : l'auteur du Roland Barthes par Roland Barthes a toujours été très narcissique.

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Les metteurs en scène hésitent encore, semble-t-il, à modifier le texte des grands classiques du théâtre pour qu'il corresponde mieux à la vision moderne qu'ils veulent en donner. Mais cela ne saurait durer et l'on peut s'attendre, dans les années qui viennent, à entendre Richard III s'écrier à la fin de la pièce : 'Mon royaume pour un hélicoptère!'.

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Les musulmans ne cessent de dire qu'Allah est grand. Pour parler comme les jeunes d'aujourd'hui, je dirais plutôt qu'il est « grave ».

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M. Luc Ferry a décidé d'organiser dans les établissements scolaires entre le 17 et le 31 mars 2003 une journée de l'engagement, qui est, nous dit la phraséologie ministérielle, « un vecteur majeur de l'estime de soi comme de la reconnaissance des autres sans lesquelles il est difficile […] de s'insérer de manière féconde dans l'espace public ». Ne pourrait-il songer également à organiser une fois par an dans tous les établissements scolaires une journée de l'enseignement au cours de laquelle, à titre, bien sûr, exceptionnel, les professeurs seraient autorisés à faire de vrais cours et les élèves invités à les écouter ?

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« Le langage n'est pas le prédicat d'un sujet, inexprimable ou qu'il servirait à exprimer, il est le sujet », nous dit Roland Barthes dans Critique et vérité (p. 70) En d'autres termes, selon Roland Barthes, les hommes n'ont inventé le langage que pour pouvoir parler… du langage. Si l'on retient cette hypothèse, il devient alors aisé, même en l'absence de tout document, de reconstituer avec une assez grande vraisemblance la teneur des tout premiers mots échangés entre deux êtres humains ou, comme dirait Georges Molinié, dont par bonheur nos lointains ancêtres n'avaient pas prévu l'existence, ce qui aurait pu les faire renoncer à perpétuer notre espèce, la teneur de la toute première « interaction verbale » de l'histoire de l'humanité. Si les hommes n'ont effectivement inventé le langage que pour pouvoir en parler, les premiers mots qu'un être humain a adressés à un autre revenaient certainement à lui dire : « Et si nous parlions du langage ? » Quant à son interlocuteur, il n'a pu qu'acquiescer avec empressement en disant : « J'allais vous le dire » ou : « Vous m'ôtez les mots de la bouche », Et il est fort probable qu'ils se sont alors tous les deux exclamés ensemble : « Les grands esprits se rencontrent ». Il est plus difficile d'imaginer la suite de la conversation. J'incline pourtant à penser, mais Roland Barthes n'aurait sûrement pas été de cet avis, qu'après quelques minutes de silence, le premier « participant de l'interaction verbale », pour parler encore comme Georges Molinié, aura repris la parole pour dire : « A la réflexion, j'en viens à me demander s'il n'est pas encore un peu tôt pour aborder ce sujet », et que l'autre lui aura répondu : « C'est aussi ce que je m'apprêtais à vous dire, car il me semble avoir entendu comme un grognement sourd qui pourrait bien venir d'un ours ».

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Il y a des livres dont il suffit de lire le titre pour savoir qu'il est inutile de l'ouvrir : l'auteur nous a déjà dit tout ce qu'il avait à nous dire et ce qu'il avait à nous dire n'en valait pas la peine. C'est le cas du petit livre de M. Jean-Jacques Brochier intitulé Je fume et alors ? Pour lui répondre, point n'est besoin, de lire son livre et encore moins d'en écrire un autre. Il suffit de lui dire : Vous fumez ? On s'en fout, mais ce n'est pas une raison pour enfumer les autres.

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Rien n'est plus plaisant que de voir Bossuet essayer de se mettre à la place d'Eve dans le jardin d'Eden au tout début de l'histoire du monde, quand le serpent lui a parlé, et en conclure qu'il était tout à fait naturel qu'elle ne s'étonnât pas d'entendre un serpent lui adresser la parole, quoi que puissent dire les incrédules. Car ceux-ci oublient simplement qu'Eve n'avait pas encore eu le temps d'observer suffisamment toutes les espèces animales pour pouvoir s'assurer qu'aucune n'était dotée de la parole. Comment prétendre encore après cela, comme on le fait trop souvent, que l'auteur du Discours sur l'histoire universelle n'avait aucun sens de l'histoire ?

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On dit et l'on redit que la condition des professeurs n'a cessé de se dégrader. Mais autrefois les professeurs chahutés n'étaient pas seulement la risée de leurs élèves : ils l'étaient aussi de leurs collègues. Maintenant, du moins dans les très nombreux établissements où tous les professeurs sont chahutés, leurs collègues ne se moquent plus d'eux. Voilà donc des professeurs dont la condition s'est incontestablement améliorée.

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Il suffit de regarder un enfant courir après un pigeon pour comprendre que Freud était une triple buse.

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À la fin de son livre Blaise Pascal ou le génie français, Jacques Attali prétend résumer en une seule phrase « l'ultime leçon du génie de Pascal », et cette phrase est la suivante : « toute occasion de sourire est bonne à prendre ». Quiconque est un tant soit peu familier avec les Pensées de Pascal ne peut être que sidéré, pour ne pas dire scié en deux par une pareille déclaration. Car c'est peu de dire qu'elle est parfaitement incongrue. Même si l'on passait toute sa vie à chercher à résumer en une phrase le message de Pascal, on ne penserait sans doute jamais à le faire en ces termes. Et l'on a beau être habitué à trouver sous la plume de Jacques Attali les affirmations les plus arbitraires, cette fois-ci on n'en croit vraiment pas ses yeux.
La seule explication possible, c'est que Jacques Attali ait été la victime d'un canular d'un ou de plusieurs membres de l'équipe qui l'aide à préparer ses livres en rassemblant pour lui toute la documentation dont il a besoin. Sachant qu'il n'aurait pas le temps de relire les Pensées, ils lui ont préparé des fiches sur lesquelles ils ont mis les fragments les plus célèbres, mais ils se sont amusés parfois à opérer quelques changements. On peut imaginer, par exemple, que le très célèbre fragment 206 de l'édition Brunschvicg est devenu : « Le silence éternel de ces espaces infinis ne laisse pas de me faire sourire ». De même le début du fragment 693 pourrait avoir été modifié de la façon suivante : « En voyant l'aveuglement et la misère de l'homme, en regardant tout l'univers muet et l'homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l'univers, sans savoir qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, je ne puis m'empêcher de sourire doucement ». Quant à l'image si saisissante de la condition des hommes que Pascal nous propose dans le fragment 199, elle pourrait avoir été retouchée ainsi : « Qu'on imagine un nombre d'hommes dans les chaînes et tous condamnés à la mort, dont les uns étant égorgés chaque jour à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables et, se regardant les uns les autres avec amusement, se disent que décidément les occasions de sourire ne manquent pas. »

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Le Journal de France 2 du 1er septembre 2002 a rapporté un fait divers assez plaisant, sans que, semble-t-il, le journaliste auteur de ce reportage ait perçu le moins du monde ce qu'il y avait d'incongru et de comique dans l'événement qu'il rapportait. Il s'agissait d'un fait en soi relativement banal : une collision d'un train avec une voiture tombée sur la voie au moment où il arrivait. Ce qui est moins banal, c'est qu'il n'y a pas eu de morts, pas même le conducteur de la voiture qui n'a été que blessé. Quant aux passagers du train, ils ont seulement été un peu secoués. Mais, et c'est là où la chose commence à devenir plaisante, ils devaient être d'une grande fragilité psychique puisqu'on a cru bon de faire venir une équipe de psychologues pour les réconforter. Or, et c'est là ce qui rend la chose tout fait plaisante, ces passagers psychiquement si fragiles n'étaient autres que des pèlerins qui revenaient de Lourdes. Au lieu de faire venir des psychologues, on aurait pu, bien sûr, les renvoyer à Lourdes. Mais sans doute a-t-on pensé, à juste titre apparemment, que cela ne servirait à rien.

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……Pâques

……Noir noir noir
……Tout est noir

……L'heure l'heure l'heure
……Il est l'heure !

……Sonne sonne sonne
……Cloche bonne !

……Viens viens viens
……Viens chrétien !

……Moi moi moi
……Je suis là !

……Tout tout tout
……Je suis tout !

……Nous nous nous
……Que c'est doux !

……Cher cher cher
……C'est ma chair !

……Prends prends prends
……C'est mon sang !

……Pleure pleure pleure
……C'est mon cœur !

……………Claudel, Visages radieux

Le génie claudélien nous laisse souvent sans voix. C'est particulièrement vrai, me semble-t-il, de ce poème hélas ! trop méconnu. Mais, l'avouerai-je ? le dernier distique me déçoit un peu. À la place de Claudel j'aurais plutôt fait dire au Christ :

……Dis dis dis
……Dis merci !

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Pour expliquer les effarantes puérilités que l'on trouve dans la Bible, et notamment le récit de la création du monde au début de la Genèse, on nous dit que Dieu a voulu se mettre à la portée des esprits les plus simples. Mais je crains, en ce cas, qu'il n'ait trop bien fait les choses : lorsqu'un professeur cherche à rester toujours parfaitement à la portée de ses élèves les plus bornés, les autres en arrivent assez vite à se dire que lui aussi, que lui d'abord est borné. Et d'ordinaire ils ne se trompent pas.

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Contrairement à ce que l'on pourrait d'abord croire lorsqu'on lit Lucien Goldmann, tout ce qu'il dit n'est pas toujours totalement dénué de fondement. À la condition de le lire de très près, on peut, en effet, relever à l'occasion une remarque dont la pertinence ne saurait être contestée par personne. C'est notamment le cas lorsque, après avoir évoqué la scène 7 de l'acte II de Britannicus, il observe que « par la suite, la pièce suit son cours » (Le Dieu caché, p. 366).

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Ancien professeur de philologie française à l'université de Paris-Sorbonne dont il a longtemps dirigé l'UER de Langue française et dont il a été à deux reprises le président, Georges Molinié se révèle souvent incapable de citer correctement un texte et sans témoigner qu'il ne l'a pas compris. Son dernier livre, De la beauté (Hermann, 2012) nous en fournit un exemple particulièrement remarquable puisqu'il s'agit d'une citation quasi proverbiale. Georges Molinié fait, en effet, appel à une formule extrêmement fameuse de Bossuet : « ce qui n'a aucun nom dans aucune langue » et nous renvoie à la note suivante : « Pour emprunter la célèbre formulation de Bossuet parlant du cadavre » (p. 140. La formule est, en effet, très célèbre et l'on peut donc s'étonner tout d'abord qu'un professeur à la Sorbonne ne soit pas capable de la citer de manière exacte. Car Bossuet n'a pas dit « ce qui n'a aucun nom dans aucune langue ». Il a évoqué « un je-ne-sais-quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue ». Mais Georges Molinié est coutumier des citations approximatives. Ce qui est beaucoup plus étonnant, ce qui est proprement ahurissant, c'est qu'il croit que Bossuet parle du cadavre. Pourtant la logique la plus élémentaire aurait dû lui permettre de comprendre que la formule de Bossuet ne pouvait pas désigner le cadavre puisque celui-ci a un nom, celui de cadavre. Si Bossuet a recours à cette formule, c'est parce que à partit d'un certain degré de décomposition, les restes d'un corps deviennent si informes que le mot de cadavre qui désigne un corps sans vie, mais un corps qui garde encore la forme et l'apparence d'un corps, devient lui-même impropre : « la chair changera de nature le corps prendra un autre nom même celui de cadavre ne lui demeurera pas longtemps, il deviendra un je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue » et lorsqu'il reprendra ce passage sans l'Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre, il précisera que, si le nom de cadavre devient vite impropre, c'est « parce qu'il nous montre encore quelque forme humaine ». Quand on lit Georges Molinié, on se dit sans cesse qu'il y a des cas où le mot « sottise » devient impropre tant il paraît insuffisant et qu'il faudrait en inventer un autre.

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Le docteur Robert Obstétricaud avait révolutionné la pratique de l'accouchement. Alors qu'avant lui, tous les accoucheurs et toutes les sages femmes s'obstinaient à répéter inlassablement à leurs patientes « poussez! poussez! », un jour où il était d'humeur bouffonne, il avait eu l'idée de leur dire « pouffez! pouffez »et il s'était rendu compte que cela permettait d'abréger sensiblement la durée des accouchements.

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« En faisant Roland Barthes par lui-même, un moment, je n'étais pas sûr d'avoir assez de choses à dire et j'imaginais alors - ne serait-ce que comme fantasme -, que j'intercalerais des passages de Brecht », confiait un jour Roland Barthes à Jean-Jacques Brochier (« Vingt mots-clé pour Roland Barthes », in Le grain de la voix, p. 21). Celui-ci n'a pas sourcillé. On ne s'attend pourtant guère à ce qu'un écrivain ou quelqu'un qui se prétend tel, vous dise tout de go : « Comme je ne savais pas quoi dire, j'ai pensé à mettre dans mon livre des passages d'un auteur qui avait, lui, des choses à dire et qui a su les dire ». Imagine-t-on un pianiste qui, ayant programmé un certain nombre d'œuvres pour son prochain récital et n'étant pas sûr de pouvoir toutes les maîtriser, envisagerait de venir avec un de ses collègues et de dire au public au début du concert : « Comme je craignais de ne pas pouvoir surmonter les difficultés de quelques-unes des pièces que j'ai inscrites à mon programme, j'ai demandé à monsieur X, qui a une technique très supérieure à la mienne, de bien vouloir les jouer à ma place » ?

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Agneau de Dieu qui effacez les péchés du monde, foutez-nous la paix

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Je me souviens d'avoir entendu, il y a quelques années sur France Culture, quelqu'un, qui manifestement se prenait très au sérieux, déclarer sur un ton sentencieux : « On sait depuis Freud qu'il y a une relation profonde entre le narcissisme et l'homosexualité ». L'expérience m'ayant appris que la formule « on sait depuis X » servait le plus souvent à introduire une affirmation très discutable, voire tout à fait absurde, notamment quand X s'appelait Freud, j'ai été très surpris d'entendre, pour une fois, une affirmation que je ne pouvais songer à contester, puisqu'elle aurait pu être énoncée par quelqu'un dont, à la différence de Freud, l'autorité ne saurait être discutée par personne : M. de La Palisse. Le narcissisme étant l'amour de soi et l'homosexualité l'amour des individus de son propre sexe, on ne voit vraiment pas, en effet, comment le narcissisme pourrait ne pas relever de l'homosexualité. L'homme de Cromagnon était sans doute déjà arrivé à cette conclusion, en admettant que les contraintes de la vie préhistorique lui aient laissé le loisir de se poser cette question. Je ne suis certes ! pas de ceux, comme Roland Barthes et tant d'autres, qui font grand cas du « non-dit » et qui croient que ce qu'on dit sans le vouloir est toujours plus important et plus intéressant que ce qu'on dit volontairement. Pourtant quand j'entends une déclaration pareille, je suis bien obligé d'admettre que son seul intérêt réside bien dans le « non-dit ». Ce que l'auteur de cette déclaration veut nous dire ne peut rien nous apprendre, mais, sans le vouloir, il nous apprend quand même quelque chose, à savoir qu'il est un parfait imbécile.

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Ceux chez qui je ne trouve que des idées fausses, se persuadent aisément que j'ai des idées fixes.

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Si je croyais à la Divine Providence, je me persuaderais aisément que le cardinal Poupard porte un nom prédestiné. Une chose est sûre en tout cas : il ne risque pas de retomber en enfance; il n'en est jamais sorti. Quiconque a ouvert une fois un de ses livres a pu se convaincre rapidement que la rigueur et la puissance du raisonnement ne sont assurément pas son fort. Mais si l'on cesse donc bien vite de s'étonner du simplisme de ses arguments, il arrive pourtant qu'on se frotte les yeux. C'est le cas lorsqu'on lit ceci : « Si le monde vieillit, l'Eglise est toujours jeune […] Tant de fois enterrée par ses ennemis qui ne cessent de mourir, l'Eglise ne cesse de revivre et d'enterrer ses fossoyeurs » (Le Christianisme à l'aube du IIIe millénaire, Plon/Mame, 1999, p. 16). Car, pour le coup, le raisonnement n'est pas seulement simpliste, il est véritablement puéril, il est infantile, il est d'une débilité qu'on a peine à imaginer. Le cardinal Poupard a constaté, et cela fait honneur à son sens de l'observation, que tous les incroyants finissaient toujours par mourir. Mais, avant de se réjouir, avant de chanter victoire, il aurait pu pousser plus loin ses observations et cela l'aurait amené à s'apercevoir qu'il en était de même de tous les croyants. Certes les incrédules ne cessent de mourir, mais les croyants aussi. Certes on voit sans cesse apparaître de nouveaux croyants, mais on voit aussi sans cesse apparaître de nouveaux incrédules; et, malheureusement pour le cardinal Poupard, les premiers sont chaque jour un peu moins nombreux tandis que les seconds le sont chaque jour un peu plus. Et pourquoi ? si ce n'est parce que, loin d'avoir le sentiment que l'Eglise est toujours jeune, des gens tous les jours plus nombreux se rendent compte que les « vérités » chrétiennes sont complètement vermoulues.
Au fond de lui-même, Le cardinal Poupard le sait bien, mais il s'efforce de l'oublier. Il sait bien qu'il y a en France de moins en moins de fidèles dans les églises et de moins en moins de prêtres pour célébrer les offices et donner les sacrements. Mais il essaie de se consoler en se disant que dans d'autres pays et sur d'autres continents, la situation est, nettement meilleure : « Si la moyenne d'âge des prêtres en France est de 70 ans, elle est de 57,7 pour l'Amérique du Nord, 57,5 pour l'Europe, 56,1 pour l'Océanie, 52,6 pour le Moyen-Orient, 49,2 pour l'Amérique centrale, 48,7 pour les Antilles, 48,5 pour l'Amérique du Sud, 45,7 pour l'Asie du Sud-est, et 42 pour l'Afrique. Et les séminaristes en Afrique et en Asie sont de 70 % plus nombreux que les prêtres » (p. 17). Le cardinal Poupard triomphe, le cardinal Poupard exulte. Pourtant ces chiffres dans lesquels il croit, dans lesquels il veut lire la promesse d'un renouveau, ne font, en réalité, que confirmer le caractère irréversible du mal. Que montrent-ils, en effet, sinon que le nombre des prêtres dans un pays donné est d'autant moins élevé que ce pays est plus développé ? Que confirment-ils sinon ce qu'on savait depuis longtemps, à savoir que le recul de la foi va de pair avec le progrès ? Si la France est plus déchristianisée que d'autre pays, c'est parce qu'elle est plus avancée matériellement et intellectuellement. Le fait que la situation soit meilleure dans d'autres pays ne laisse nullement présager qu'elle va s'améliorer en France; en revanche, les mauvais chiffres de la France annoncent ce qui se produira dans les pays sous développés au fur et à mesure qu'ils sortiront du sous-développement. Le cardinal Poupard se réjouit du grand nombre de vocations que connaît l'Afrique Mais a t-il vraiment lieu de se réjouir que ce soit dans les pays où il y a encore des sorciers que les vocations sont les plus nombreuses ? Certes ! on peut lui accorder que le remplacement progressif des sorciers par des prêtres constitue un progrès. Mais ce progrès en annonce un autre, encore lointain sans doute mais inéluctable. Un jour viendra, en effet, où même en Afrique, on finira par se rendre compte que le prêtre n'est après tout qu'une version plus moderne du sorcier.

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Les pensionnaires de la maison de retraite, qui avaient presque tous la maladie d'Alzheimer, y mouraient généralement très vite, à l'exception d'un homme qui faisait, lui, partie des meubles : il avait la maladie d'Althusser.

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Comme on le sait Malebranche, était un fervent adepte de la théorie cartésienne des animaux machines. En vertu de quoi il donnait volontiers des coups de pied à sa chienne, qui, bien sûr, n'appréciait guère ce traitement et le faisait savoir en grognant et en geignant. Et à ceux qui étaient choqués de ce comportement ou du moins qui s'en étonnaient, il répondait tranquillement : « Cela ne sent point ». Mais le même Malebranche qui veut nous convaincre que le chien n'est qu'une pure mécanique comme tous les autres animaux, pense en même temps que Dieu a tout fait pour nous cacher cette vérité et nous faire croire au contraire que son chien l'aimait, afin que la compagnie de son animal favori put lui apporter chaleur et réconfort : « Comme Dieu a fait le chien particulièrement pour l'homme, afin que l'homme de son côté se liât avec le chien, il y a mis une certaine disposition à faire quelques contorsions et mouvements de tête, du dos et de la queue, qui bien qu'ils n'aient de soi nul rapport aux pensées de l'âme, fait naître naturellement dans l'homme celle que son chien l'aime et le flatte » (De la Recherche de la vérité, Œuvres, bibliothèque de la Pléiade tome I, p. 509).
Malebranche croit ainsi devancer une objection que ne manqueraient pas de lui faire la plupart des propriétaires de chiens. Mais il ne semble pas se rendre compte que son explication soulève de sérieux problèmes. On peut tout d'abord trouver son attitude bien étrange. S'il pense vraiment, en effet, que Dieu, ayant créé le chien pour l'homme, a tout fait pour que celui-ci se persuadât que celui-là pouvait s'attacher à lui, alors pourquoi diantre ! s'emploie-t-il à démontrer qu'il n'en est rien ? Comment ose-t-il révéler une vérité que Dieu s'est soigneusement employé à dissimuler, avec beaucoup d'habileté et une remarquable efficacité, car il faut bien reconnaître que le chien qui fait fête à son maître ne donne pas du tout l'impression d'être, en réalité, un pur automate ? Mais, si l'on a du mal à comprendre l'attitude de Malebranche, on peut s'interroger aussi sur celle de Dieu. On peut s'étonner tout d'abord qu'il s'emploie à induire l'homme en erreur, même si c'est pour son bien. On peut s'étonner ensuite qu'il ait créé Descartes et Malebranche, puisqu'il ne pouvait ignorer qu'ils allaient s'empresser de découvrir le pot aux roses. Mais sans doute s'est-il dit que personne ou presque ne prendrait jamais au sérieux la théorie des animaux machines. Peut-être même a-t-il voulu offrir ainsi aux hommes, et en tout premier lieu aux propriétaires de chien, une occasion de s'amuser en toute innocence.

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Dans le Sur Racine, Roland Barthes tient à nous avertir que, selon lui, il n'y a jamais eu de relations sexuelles entre Aman et Mardochée. Je ne suis pas historien, mais je crois pouvoir avancer, quant à moi, qu'il n'y en a jamais eu non plus entre de Gaulle et Adenauer, non plus d'ailleurs qu'entre Napoléon et Pie VII.

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Si les hommes préhistoriques avaient su qu'ils étaient préhistoriques, ils auraient presque tous fait de la dépression, beaucoup se seraient suicidés et notre espèce aurait risqué de s'éteindre.

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Autrefois certains professeurs provoquaient eux-mêmes le chahut dans leur classe pour ne pas avoir à faire cours. Et il pouvait arriver, certains jours où les élèves étaient un peu endormis, qu'ils aient du mal à l'obtenir. Grâce à toutes les réformes mises en œuvre par les pédagogues du ministère de l'Education nationale afin d'enseigner « autrement », ces professeurs n'ont plus jamais de problème.

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Rendant compte d'un livre de Moravia qu'il n'avait pas aimé, M. Jean-Jacques Brochier avouait : « Il est vrai que je ne trouve pas drôles Le Bourgeois gentilhomme et Le Malade imaginaire», et il ajoutait que la seule excuse de ces œuvres était leur époque. J'ai lu quelques livres de M. Jean-Jacques Brochier, et, au cas où il s'inquiéterait du sort que la postérité leur réservera, je peux le rassurer pleinement : dans plus de trois siècles, personne ne dira que leur seule excuse était leur époque.

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Autrefois les chrétiens nous disaient qu'il fallait respecter leurs croyances parce qu'ils les avaient reçues de Dieu; maintenant ils nous disent qu'il faut les respecter parce qu'elles sont partagées par des hommes; bientôt ils nous diront qu'il faut les respecter parce que ce sont des hommes qui les ont forgées de toutes pièces.

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Dans son Sur Racine, Roland Barthes évoque dédaigneusement le « préjugé indéracinable qui veut que les mots traduisent la pensée ». J'avoue volontiers que j'ai longtemps partagé ce préjugé… avant d'avoir lu Roland Barthes.

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Ce qui m'étonne le plus dans l'histoire de Marie, ce n'est pas tellement qu'elle ait enfanté bien qu'elle fût encore vierge : je l'ai tellement entendu dire depuis ma plus tendre enfance que, même si j'ai, bien sûr, cessé de le croire, cette histoire n'a jamais pu m'étonner autant qu'elle le devrait. En revanche, si on m'avait dit, quand j'étais adolescent et qu'ayant l'esprit assez lent, je croyais encore, si on m'avait dit alors que la virginité de Marie n'avait été découverte que bien des années après sa mort, cela n'aurait sans doute pas manqué de m'intriguer. Et je n'aurais pas su ce qu'il fallait le plus admirer de l'incroyable distraction qui a fait que, de son vivant, personne ne s'en était jamais aperçu, pas même son mari, pas même elle-même, ou de l'extraordinaire perspicacité de ceux qui l'ont découverte, alors qu'il n'y avait apparemment plus aucun moyen de s'en assurer.

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« On tire une côte au premier Adam pour former sa femme, pendant un sommeil tout mystérieux, et pendant le sommeil du nouvel Adam après qu'il a fermé les yeux avec la même paix que les hommes sont gagnés du sommeil, on lui ouvre son côté avec une lance, et incontinent sortent les sacrements par lesquels l'Eglise est régénérée », dit Bossuet dans le Sermon sur les deux Alliances. Il ne passe pas précisément pour être un grand auteur comique, mais on avouera qu'il est difficile de lire ces lignes sans avoir envie de se tenir les côtes.

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J'ai entendu sur France-Musique le 7 Août 1998 quelqu'un qui, parlant des Liaisons Dangereuses, affirmait, comme une évidence, que « les relations homosexuelles entre Valmont et Danceny sont plus qu'esquissées puisqu'elles se terminent par un duel ». J'ai commencé par hausser les épaules, mais à la réflexion j'ai trouvé cette remarque très pénétrante et susceptible de renouveler profondément l'interprétation d'un certain nombre de textes célèbres. Grâce à elle j'ai enfin compris que Rodrigue était attiré non par Chimène, mais par le Comte, son père. Ce en quoi il ne fait que suivre l'exemple de son propre père, Dom Diègue qui, lui aussi, voudrait bien avoir une relation avec le Comte, ce que hélas ! son âge lui interdit, comme il le lui avoue lui-même : O Dieu ! ma force usée en ce besoin me laisse. Dans le cas de Dom Juan, il y a déjà longtemps que les commentateurs les plus perspicaces ont su déceler son homosexualité cachée, et même très bien cachée, sous l'apparence d'un grand coureur de jupons. J'avoue, à ma grande honte, que leurs arguments m'avaient laissé perplexe. Mais c'est qu'aucun d'eux n'avait pas encore fait valoir, à l'appui de sa thèse, que ce grand coureur de jupons était aussi un grand bretteur. J'ai enfin été convaincu et j'ai enfin compris que le Commandeur tué en duel par Dom Juan a été sa dernière grande passion. J'ai enfin compris que, s'il vient au secours de Don Carlos contre les voleurs, c'est parce qu'il ne dédaigne pas le piquant d'aventures passagères avec des voyous dont les épées ne sont pas toujours très propres.

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Je retrouve dans mes archives un article du Monde de juin 1973 dans lequel M. Robert Solé, envoyé spécial du journal à Rome, informait ses lecteurs que le septième centenaire de la mort de saint Thomas d'Aquin pourrait bien être célébré, le 7 mars 1974, sous le signe de l'ordinateur, le Père Roberto Busa et son équipe, assistés par un I.B.M., étant sur le point d'achever le grand Index Thomisticus auxquels ils travaillaient depuis vingt ans. M. Robert Solé ne disait pas si cet I.B.M. avait été préalablement béni, mais il nous confiait que le Père Busa disait volontiers de son ordinateur : « C'est un idiot (cretino) qui va à toute vitesse ». Ce Révérend Père aurait mieux fait, me semble-t-il, d'être un peu moins ingrat envers un ordinateur si plein de bonne volonté. Il est, en effet, beaucoup plus facile - c'est uniquement une question de temps et d'argent (selon M. Robert Solé, la société I.B.M. avait dépensé sans compter pour cette opération de prestige) - de faire avaler saint Thomas à un ordinateur qu'aux hommes de notre temps, fussent-ils séminaristes. D'ailleurs, M. Robert Solé lui-même remarquait non sans malice que « cette étude de toutes les œuvres du théologien catholique s'achev[ait] cependant à une époque où l'on enseigne de moins en moins saint Thomas dans les séminaires ». Si l'ordinateur n'avait pas été si cretino, s'il avait été possible de lui communiquer un peu d'esprit critique, quelle avalanche de sarcasmes et de blasphèmes l'ingestion forcée de saint Thomas n'aurait pas manqué de déclencher de sa part; il aurait peut-être même refusé tout de go d'ingurgiter la Somme Théologique et traité le Père Busa de « buse obtuse », en ajoutant : « C'est un idiot (cretino) qui retarde de plusieurs siècles ».

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La fameuse formule du général de Gaulle dénonçant « la hargne, la grogne et la rogne » de ceux qui contestaient sa politique, était certes ! bien trouvée. Mais, n'étaient les immenses services qu'il a rendus à son pays, on aurait eu envie de lui répondre qu'elle respirait la nargue, la morgue et l'orgueil.

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« Les Sortez de Roxane à Bajazet sont des arrêts de mort » écrit Roland Barthes dans le Sur Racine. Il n'y a, bien sûr, qu'un seul « Sortez » et c'est le dernier mot que Roxane dit à Bajazet. Roland Barthes a plusieurs fois exprimé le regret de n'avoir jamais écrit de roman. On me permettra de penser que la littérature n'y a sans doute pas perdu grand-chose. En tout cas, il vaut certainement beaucoup mieux que Roland Barthes n'ait jamais écrit de tragédies. Car, à la place de Racine, il aurait fait dire à Roxane :

……Sortez, mais sortez donc ! Sortez, sortez, vous dis-je !

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On dit que le Christ n'a jamais ri une seule fois dans sa vie. C'est que personne n'avait jamais pensé à lui dire que sa mère était vierge.

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Pascal nous dit que le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob n'est pas celui des philosophes et des savants. Mais c'est le contraire qui eût été surprenant : quand on commence sa carrière comme dieu d'une petite tribu d'abrutis ignares, il est ensuite bien difficile de se faire reconnaître par les philosophes et les savants.

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Depuis plus de trente ans que je brocarde la religion, mes amis croyants ne cessent de me dire que mes plaisanteries sont faciles. Et ils ont raison, ils ont mille fois raison. C'est vrai, c'est tout à fait vrai, rien n'est plus facile que de plaisanter sur la religion. Point n'est besoin, pour ce faire, de se prendre la tête dans les mains et de se torturer longuement les méninges. Point n'est besoin d'être un grand savant, d'avoir lu toute la Patrologie de Migne, les œuvres complètes de saint Augustin, la Somme théologique de saint Thomas d'Aquin et de connaître à fond le grand Dictionnaire de Théologie catholique. Point n'est besoin d'avoir une grosse tête et d'être un esprit supérieur. Il suffit de connaître les grandes lignes de la foi chrétienne, et d'avoir un peu de bon sens et d'esprit logique.
C'est pourquoi, même si c'est vrai, les croyants feraient beaucoup mieux de ne pas trop dire que les plaisanteries qui visent la religion, sont bien souvent faciles. En les qualifiant de faciles, ils croient les rendre inoffensives, mais les trouveraient-ils si faciles, si elles étaient moins efficaces, si elles n'atteignaient pas leur cible ? Car, à qui la faute, si elles sont faciles ? À qui la faute, si la religion est une mine inépuisable de plaisanteries faciles ? Ah ! comme elles le seraient moins, si leur cible l'était moins !
Il n'est guère vrai, en effet, que l'on puisse aisément faire rire de tout et de tous. Il y a des sujets et des gens qui s'y prêtent beaucoup mieux que d'autres. Victime de sa paranoïa, Rousseau se trompe, dans la Lettre à d'Alembert, quand il prétend que Molière réussit à nous faire rire de ce dont nous ne devrions surtout pas rire : « Il fait rire, il est vrai, et n'en devient que plus coupable en forçant par un charme invincible, les sages mêmes de se prêter à des railleries qui devraient exciter leur indignation ». Si Molière fait rire, c'est parce qu'il sait, comme il le dit lui-même, « entrer comme il faut dans le ridicule des hommes ». Un bon auteur comique est d'abord quelqu'un qui perçoit mieux que personne le ridicule et l'absurdité, et qui sait mieux que personne les faire éclater. Un bon polémiste est d'abord quelqu'un qui choisit bien ses têtes de Turc et ne prend pour cibles que des jocrisses et des grotesques. On ne peut bien faire rire, on ne peut bien rire que de ce qui est effectivement risible. Aussi n'est-ce jamais bon signe que de prêter continuellement à rire et de susciter sans cesse la plaisanterie.
Les croyants font les difficiles sur nos plaisanteries, mais ils feraient mieux d'être un peu plus difficiles sur leurs croyances. Ils trouvent que nos plaisanteries manquent fâcheusement de finesse, qu'elles ne sont vraiment pas subtiles. Mais on n'a pas besoin d'être fin quand on a affaire à des foutaises. On n'a pas besoin d'être subtil quand on a affaire à des stupidités. Les croyants voudraient que nous ne nous permettions que de discrètes réserves, que de timides réticences, que de prudentes restrictions, alors qu'ils ne nous racontent que des histoires à dormir debout, que des âneries énormes, que des absurdités patentes. Ils nous proposent les sottises les plus grotesques, et ils s'étonnent que l'on se tienne les côtes. Ils veulent nous refiler les fariboles les plus rocambolesques et ils s'étonnent que l'on s'en gausse et qu'on en fasse des gorges chaudes. Ils nous sortent les sornettes les plus ineptes, et ils s'étonnent que l'on se bidonne et que l'on se tirebouchonne. La religion ne serait pas une mine inépuisable de plaisanteries faciles, si elle n'était d'abord une mine inépuisable de stupidités ridicules.

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Quand on déplore devant les inspecteurs généraux qu'un nombre important d'enfants qui entrent en sixième ne sachent pas encore lire, alors qu'autrefois, sauf exception rarissimes, tous les enfants qui sortaient de l'école primaire savaient lire, ils invoquent la massification de l'enseignement et font valoir que maintenant presque tous les élèves sont destinés à aller jusqu'au bac. Mais on ne comprend pas très bien pourquoi les enfants qui apprenaient à lire à l'école primaire, quand ils ne devaient pas aller jusqu'au bac, auraient beaucoup plus de difficultés à le faire depuis qu'il doivent aller jusqu'au bac. Est-ce à dire que, si l'on décrétait que tout le monde devrait désormais aller jusqu'à l'agrégation, on ne pourrait même plus apprendre à parler aux enfants ?

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Même les plus bêtes des croyants, et Dieu sait si certains sont bêtes, sont très loin d'être aussi bêtes qu'ils devraient logiquement l'être.

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La condamnation de la peine de mort fait aujourd'hui en France l'objet d'une quasi unanimité, de sorte qu'il est bien difficile de faire entendre une note un peu différente : on risque fort, en effet, d'être immédiatement suspecté d'appartenir à l'extrême droite. Je ne songe d'ailleurs pas à prôner le rétablissement de la peine de mort en France et dans les autres pays qui l'ont abolie, et je pense même qu'il vaudrait mieux que les pays dans lesquels elle existe encor,, se décident enfin à y renoncer. La raison en est que ces pays ont la fâcheuse habitude d'exécuter des gens qui n'ont rien de fait de répréhensible ou, en tout cas qui n'ont tué ou voulu tuer personne. C'est le cas de la Chine. C'est le cas des Etats-Unis qui condamnent trop souvent à mort des gens dont ils ne découvrent qu'ils étaient innocents qu'après leur exécution. C'est le cas d'un certain nombre d'Etats musulmans, qui lapident les femmes adultères et mettent allègrement à mort tous ceux ne respectent pas la loi d'Allah.
Cela dit, il me paraît impossible d'être dans tous les cas et par principe contre la peine de mort. Tous ceux qui, comme moi, sont nés avant la seconde guerre mondiale et ont eu des membres de leur famille tués par les nazis (un de mes oncles, Jean Pommier, est mort à Dunkerque, un autre, Louis Mesny, est mort en déportation et mon grand-père maternel, le général Mesny, a été, bien que prisonnier de guerre, exécuté sur l'ordre d'Hitler), tous ceux-là et beaucoup d'autres sans doute n'auraient jamais admis pas que le procès de Nuremberg n'eût pas abouti à la condamnation à mort et à l'exécution de la plupart des accusés. J'estime de même que les Israéliens, qui ont aboli la peine de mort, ont eu mille fois raison de faire une exception pour Eichamnn et j'ai profondément regretté que nous n'ayons pas suivi leur exemple quand nous avons jugé Klaus Barbie, qui n'aurait jamais dû mourir dans son lit, comme n'auraient jamais du mourir dans leur lit Staline, Mao Tsé-Toung et Pol Pot. Se refuser à exécuter des individus qui sont responsables de la mort de milliers, de centaines de milliers et même de millions d'hommes, sous prétexte que la vie est sacrée, est pour le moins incongru. Jean Lacroix qui fut longtemps chroniqueur philosophique du Monde et que j'ai eu comme professeur en khâgne, était, bien qu'homme de gauche, contre l'abolition de la peine de mort et justifiait sa position en invoquant la fameuse formule d'Alphonse Karr : « Que Messieurs les Assassins commencent !  ». C'est sans doute un peu court, mais la force de cet argument n'en reste pas moins très grande.
Les adversaires de la peine de mort font valoir qu'elle n'a aucune valeur d'exemplarité. Cette affirmation est sans doute excessive, mais il semble bien, en effet, qu'elle ne soit que très peu dissuasive. Il est pourtant un cas où elle l'est toujours, sans qu'on ait jamais pu relever, du moins jusqu'ici, une seule exception. Point n'est besoin, en effet, de consulter les archives de la justice ou de la police pour pourvoir affirmer qu'aucun meurtrier n'a jamais récidivé après avoir été exécuté. Or, de tous les hommes susceptibles de commettre un meurtre, ceux qui risquent le plus de passer à l'acte sont d'abord ceux qui l'ont déjà fait. Si donc la peine de mort a hélas ! coûté la vie à d'innombrables hommes qui ne l'avaient point mérité, elle a aussi servi à préserver la vie de bien des innocents.
On peut certes ! empêcher les meurtriers de récidiver en se contentant de les maintenir en prison, mais alors, si l'on ne veut pas mettre en danger la vie d'innocents, il faut les y laisser jusqu'à leur mort, ou du moins jusqu'au jour où l'âge ou la maladie les rendent incapables de passer de nouveau à l'acte. Cela vaut en tout premier lieu pour les meurtriers d'enfants, car les enfants représentent par excellence la vie, et le respect de la vie doit d'abord se traduire par le souci de toujours préserver la leur. C'est pourquoi j'ai été extrêmement choqué par la libération de Lucien Léger. Celui qui, non content d'étrangler un enfant, a été assez abject pour s'en glorifier, pour défier la police et la justice en envoyant à la presse, à la police, au ministre de l'intérieur et au père même de sa victime une cinquantaine de lettres qu'il signait « l'étrangleur » et jouir de faire ainsi la une des journaux, celui-là n'aurait jamais dû sortir de prison, même si l'on avait pu être sûr à cent pour cent qu'il ne récidiverait pas. N'en doutons pas, d'ailleurs, si le père du petit Luc Taron avait vécu assez longtemps pour assister à la libération de Lucien Léger et s'il avait pu, mais la chose aurait sans doute été quasi impossible, réussir àle tuer comme il avait juré de le faire, la plupart de nos concitoyens, même parmi ceux qui sont les plus hostiles à la peine de mort, auraient certainement compris son geste et l'auraient soutenu. Et, puisque l'on invoque volontiers aujourd'hui, et généralement avec raison, le « devoir de mémoire », je dirai que la libération de Lucien Léger est une insulte à la mémoire du petit Luc et à celle de son père.
On m'objectera qu'il est inhumain de maintenir quelqu'un indéfiniment en prison et que la détention perpétuelle est pire que la mort. Lucien Léger, soutenu par des organisations d'extrême gauche, a d'ailleurs eu l'ignoble culot de porter plainte contre l'Etat français devant la cour européenne des droits de l'homme pour « détention arbitraire » et « tortures et peines ou traitements inhumains et dégradants ». Mais il y aurait un moyen très simple de répondre à cette objection et de couper court à de telles accusations, ce serait de décréter que tous ceux qui sont condamnés à la détention perpétuelle ou à une peine très longue, devraient avoir le droit de mettre fin à leurs jours, dès qu'ils le souhaiteraient, et en obtenir les moyens. J'ajouterai que personne n'ayant demandé à venir au monde, tout le monde devrait toujours avoir le droit et la possibilité d'en sortir quand il le désire. S'il y a un principe à inscrire en priorité dans la Constitution et dans la Déclaration des droits de l'homme, ce devrait être celui-ci.

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Les sondes Voyager qu'on a envoyées au-delà du système solaire à la rencontre d'une éventuelle civilisation extraterrestre, emportent, on le sait, un certain nombre de documents (textes littéraires et philosophiques, enregistrements de musique, démonstrations mathématiques etc.) destinés à témoigner des principales manifestations du génie humain. On a pourtant oublié le document auquel on aurait dû, en l'occurrence, penser en premier, à savoir le récit que fait la Genèse de la création du monde. Mais sans doute a-t-on craint que l'ironie des nébuleuses ne se changeât soudain en un rire homérique et que le fonctionnement de la mécanique céleste ne s'en trouvât gravement perturbé.

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Il y a bien longtemps déjà que la plupart des acteurs, même à la Comédie française, massacrent l'alexandrin en ne respectant pas les diérèses et en escamotant les e muets. Ils ne disent plus :

……Que de soins m'eût coûtés cette tête charmante!

mais, comme Dominique Blanc dans l'innommable mise en scène de Patrice Chéreau :

……Que de soins m'eût coûtés cett' têt' charmante !

Encore un peu de temps et ils diront :

……Que de soins m'eût coûtés c't' têt' charmante !

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J'avoue avoir autrefois volontiers regardé à la télévision les émissions de Stéphane Collaro avec ses cocos girls. Le plaisir qu'elles me donnaient ne tenait pas seulement à la bonne humeur, à la drôlerie et à la liberté de ton qui y régnaient généralement. Il tenait aussi au fait que je ne pouvais m'empêcher de penser sans cesse, en les regardant, à la tête qu'auraient faite, s'ils avaient pu les voir, un Pascal, un Bossuet ou une Thérèse d'Avila, essayant d'imaginer quel effarement horrifié se serait peint sur leurs visages. Ah ! qu'il est dommage qu'ils n'aient pu les voir ! Si peu portés qu'ils puissent avoir été à se rendre à l'évidence, ils auraient vite compris qu'ils avaient prêché dans le désert et que la société n'avait pas du tout évolué dans le sens qu'ils auraient souhaité. Comme on aimerait qu'ils le sachent ! Pascal, qui rêvait d'une humanité qui aurait définitivement renoncé aux « plaisirs empestés » (et, pour lui, tous les plaisirs étaient « empestés ») pour ne s'occuper que de prendre de l'eau bénite et de faire dire des messes, comme on aimerait qu'il sache qu'aujourd'hui dans les églises les bénitiers sont presque toujours vides, sauf dans certaines paroisses branchées où un curé charitable pense à y mettre de l'eau, sans songer, bien sûr, à la bénir, pour que les drogués puissent y laver leurs seringues ! Comme on aimerait qu'il sache qu'aujourd'hui les gens qui veulent faire dire une messe à la mémoire d'un défunt, ont de plus en plus de mal d'abord à trouver un prêtre et ensuite à le décider à le faire (il pense généralement que cela ne sert à rien). Bossuet qui se plaisait tant à pester contre « le règne du péché », à fulminer contre « les molles délices du siècle », à vitupérer contre « ces gorges et ces épaules découvertes [qui] étalent à l'impudicité la proie à laquelle elle aspire », lui qui aimait tant à monter sur ces grands chevaux pour dénoncer « le hennissement des cœurs lascifs », comme on aimerait qu'il sache quel sort la postérité a réservé à ses sornettes sonores, quel cas elle fait de ses fariboles éloquentes, combien elle s'en balance de ses balivernes solennelles, à quel point elle s'en bat l'œil, à quel point elle s'en brosse le ventre, à quel point elle s'en tamponne le popotin de ses grandes, de ses célestes, de ses divines Vérités. Sainte Thérèse d'Avila, pour qui le progrès de l'humanité ne pouvait passer que par la multiplication des églises, elle qui rêvait d'une terre couverte de couvents, elle qui ne pouvait supporter que la compagnie de saint Jean de Lacroix et des autres « spirituels », elle qui demandait sans cesse : « Que deviendrait l'humanité sans les religieux ? », comme on aurait aimé lui faire rencontrer Coluche ou Stéphane Collaro !

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« Quand je dis "Ave Maria", j'ai la bouche pleine de roses », écrit Claudel dans son Journal. Quand on lit cette phrase, on se dit qu'en guise de cerveau, il avait de la guimauve

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Je lis dans Le Monde du 9 novembre 2004 que M. Thierry Breton, pressenti, semble-t-il, pour succéder à M. Sarkozy au Ministère des Finances a déclaré à ce sujet : « Je ne peux ni commenter, ni confirmer, ni démentir une proposition qui ne m'a pas été faite ». L'auteur de l'article estime que M. Breton « ne convainc guère ». Assurément, mais il aurait dû surtout faire remarquer que cette phrase était totalement absurde. M. Breton affirme que la proposition ne lui a pas été faite. On comprend, dans ces conditions, qu'il ne puisse pas la commenter ni la confirmer, mais ce n'était vraiment pas la peine de le dire. On ne comprend pas du tout, en revanche, qu'il dise ne pas pouvoir la démentir puisque c'est évidemment ce qu'il fait en disant qu'elle ne lui a pas été faite. Je ne sais pas quelles études a faites M. Breton, mais ce ne sont sans doute pas des études de logique.

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Freud prétend que les enfants sont des pervers polymorphes, mais lui pourrait bien n'être qu'un connard monomane.

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Ce qui distingue une secte d'une religion, entre autres choses, c'est que les sectes annoncent toujours la fin du monde comme prochaine, voire imminente, tandis que les religions établies la renvoient prudemment à un avenir indéterminé. Celles-ci, en effet, même si elles cherchent toujours, avec plus ou moins de conviction, à gagner de nouveaux adeptes, ont depuis longtemps déjà constitué leur clientèle et elles auraient à perdre beaucoup plus qu'à gagner à essayer d'agiter la peur de la fin du monde. Pour quelques nouvelles recrues qu'elles pourraient ainsi faire, recrues dont, au demeurant, le quotient intellectuel laisserait sans doute beaucoup à désirer, elles risqueraient fort d'éloigner nombre de leurs fidèles, à commencer par tous ceux qui se posent déjà des questions. Mais quand on débute, quand on a besoin de se faire rapidement une clientèle sans se montrer difficile sur son niveau intellectuel, il ne sert à rien d'annoncer une fin du monde lointaine et hypothétique par laquelle les futurs adeptes ne se sentiront pas vraiment concernés. Il faut leur dire, au contraire, que la fin du monde est pour bientôt, sans doute pour très bientôt, et qu'il est urgent de s'y préparer. C'est d'ailleurs ce qu'ont fait les premiers chrétiens, puisque saint Pierre, saint Paul et l'auteur de l'Apocalypse ont déclaré à l'envi, comme l'avait d'ailleurs fait le Christ lui-même, que la fin du monde était imminente. Mais, quand la secte chrétienne est devenue une religion établie, l'Eglise a préféré jeter un voile pudique sur ces prédictions intempestives faite par des gourous qui, comme tous les gourous, s'étaient complètement gourés.

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J'ai entendu récemment sur FR3 un avocat qui, au lieu de dire simplement : « Ma cliente a dit tout ce qu'elle savait », a cru donner beaucoup plus de poids à son propos en disant : « Ma cliente a dit tout ce qu'elle savait au niveau de la connaissance qu'elle avait des faits ». N'en doutons pas, cet avocat si redondant est certainement très content de lui, et il ne doit pas manquer de se dire tous les jours en se rasant devant sa glace : « Je suis tout à fait satisfait au niveau de l'appréciation que je porte sur ma propre personne ».

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Les chrétiens n'ont peut-être jamais été autant persuadés de la nécessité de croire que depuis qu'ils ne savent plus à quoi au juste ils croient. Plus le contenu de leur foi se réduit, et plus ils en concluent qu'il leur faut redoubler de foi. Ils n'ont plus guère qu'un seul credo et ils s'y cramponnent d'autant plus fort : il faut croire. C'est pourquoi j'ai composé à leur intention le petit cantique suivant (à chanter sur l'air de « Je suis chrétien ! c'est là ma joie, mon espérance et mon soutien ») :

……Je crois, je crois,
……Mais à quoi crois-je ?
……Je n'en sais rien
……Et c'est très bien.

……Je crois, je crois,
……Mais à quoi crois-je ?
……Je m'en fous bien :
……Je suis chrétien.

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Le pauvre Brutus portait bien son nom. Il n'avait manifestement jamais ouvert le moindre ouvrage de linguistique ou de sémiotique. S'il avait lu Georges Molinié, au lieu de dire : « Vertu, tu n'es qu'un mot ! », il n'aurait pas manqué de s'exclamer : « Vertu, tu es un signifiant dépourvu de signifié !»

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Un grand nombre d'universitaires écrivent durant leur vie des centaines, voire des milliers de pages sur la littérature sans jamais en écrire une seule qui ait une réelle qualité littéraire.

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Dans la Méditation sur la félicité des saints, Bossuet résume ainsi les propos qu'au paradis Dieu tiendra aux Elus : « Toute l'éternité, il ne fera que leur dire : voilà ce que j'ai fait; voyez : n'ai-je pas bien réussi dans mes desseins ? pouvais-je me proposer une fin plus excellente ? » (Œuvres oratoires, édition Lebarq, revue par Urbain et Levesque, Desclée de Brouwer, Paris, 1926, tome I, p 17). Bossuet est si content des propos qu'il a prêtés à Dieu, si sûr d'avoir su trouver les mots mêmes que Dieu emploiera faute de pouvoir en trouver de meilleurs plus justes d'autres qui exprimeraient mieux son sentiment, qu'il les reprend dans le Sermon pour la fête de tous les saints (Ibidem, p. 54). Mais il précise un peu plus loin que Dieu ne se contentera pas de s'auto-féliciter : il ne se lassera pas non plus de féliciter les saints et « de leur dire qu'ils ont bien fait », de sorte, conclut Bossuet, que « de part et d'autre l'éternité se passera en des congratulations perpétuelles » (p. 59). Ce programme semble combler tous les vœux de Bossuet qui, n'en doutons pas, trémousse d'aise par avance à la pensée de servir éternellement au Tout-puissant la même pommade inépuisable qu'il passait au Roi Soleil, et se promet de bicher comme un pou en entendant les compliments hyperboliques que le Tout-puissant ne manquera pas de lui décerner en retour. Mais beaucoup d'autres pourront trouver cela d'autant plus lassant qu'ils n'auront certainement pas le droit de ricaner, fût-ce très doucement, ni de se pousser discrètement du coude et encore moins de faire des commentaires sarcastiques.

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Jacques Truchet ne passe pas précisément pour un auteur comique. Il y a pourtant dans sa thèse sur La Prédication de Bossuet, une petite phrase, que l'on pourrait prendre pour une formule de transition assez anodine, mais qui, pour le lecteur suffisamment familiarisé avec sa prose (et c'est pourquoi, avec un instinct très sûr, il l'a placée dans le second tome de sa thèse, à la page 199), est d'une drôlerie irrésistible : « Mais osons exprimer toute notre pensée ». Il fallait vraiment être Jacques Truchet pour éprouver un mouvement de recul et d'effroi à la perspective de regarder en face la pensée de Jacques Truchet,

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J'ai entendu un jour à la télévision je ne sais quel metteur en scène qui s'extasiait sur cette « très belle phrase » d'Antonin Artaud : « Tout vrai langage est incompréhensible ». Mais comment peut-il trouver « très belle » une phrase qui, si stupide qu'elle puisse être, n'en est pas moins compréhensible et ne saurait donc relever du « vrai langage », non plus d'ailleurs que le jugement qu'il porte sur elle ?

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Dans son Sur Racine, Roland Barthes définit le « sadisme racinien », de la façon suivante : « A donne pour reprendre, voilà sa technique essentielle d'agression; il cherche à infliger à B le supplice d'une jouissance (ou d'un espoir) interrompue ». Comme on pouvait s'y attendre, tous les exemples d'agressions sadiques que Roland Barthes invoque ensuite pour illustrer son propos, sont éminemment contestables, mais un surtout laisse pantois, celui de Junie qui, nous dit Roland Barthes, « échappe à Néron au moment même où il croit la tenir ». Tout le monde avait cru, avant Roland Barthes, qu'en se réfugiant chez les Vestales, Junie avait seulement voulu échapper à Néron. Personne ne s'était jamais douté que cette fuite éperdue était aussi et surtout un acte d'agression sadique à l'égard de Néron, et que Junie, tout en courant de toutes ses jambes pour essayer d'échapper à Narcisse, pensait à la déception que Néron éprouverait, si elle réussissait, et s'en délectait à l'avance.
Quel être extraordinaire que Roland Barthes et comme il sait, mieux que personne, se mettre à la place des autres ! S'il se représente une jeune fille poursuivie par un sadique, qui court haletante et qui, malgré tous ses efforts, l'entend se rapprocher de plus en plus jusqu'à sentir son souffle sur sa nuque, Roland Barthes se dit alors qu'en imaginant, l'immense déception que ressentira celui qui la poursuit, si elle parvient à lui échapper in extremis, elle ne doit pas manquer d'éprouver une jouissance particulièrement intense, une jouissance qu'elle ne retrouvera sans doute jamais plus, mais tempérée, il est vrai, par la crainte d'être prise, en pensant à la mine piteuse et déconfite que risque de faire bientôt ce sinistre individu, d'une crise de fou rire qui pourrait bien lui couper les jambes et la priver de sa cruelle vengeance.

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Leibnitz se réveilla en sursaut trois secondes avant que son réveil ne sonne. Il s'apprêtait à écarter ses couvertures quand il eut une soudaine sensation de fraîcheur. Au moment où il allait mettre le pied droit par terre, il sentit une vive douleur à son gros orteil qui, depuis qelque temps, le faisait souffrir quand il marchait. Il alla à la fenêtre et poussa un cri de douleur juste avant de se pincer les doigts en ouvrand les volets. Et Leibnitz comprit que sa vie risquait de devenir compliquée : son harmonie préétablie s'était déréglée pendant la nuit.

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Dans ses différents ouvrages sur la stylistique Georges Molinié cite une quantité faramineuse de livres et d'articles, qu'il nous présente tous, à commencer par les siens, comme des travaux « fondateurs » et fondamentaux qu'on ne saurait se dispenser de lire. Mais il se plaît en même temps à répéter que le chantier ouvert par ces travaux est immense et que tout, ou presque, reste encore à faire. On aimerait comprendre. Car, si tout ou presque reste à faire, c'est que rien, oui presque, n'a encore été fait. Mais si rien, ou, presque n'a encore été fait, les innombrables études auxquelles nous renvoie Georges Molinié, à commencer par les siennes, ne servent à rien ou à presque rien. Ces ouvrages prétendument indispensables ne sauraient nous dispenser d'avoir à en lire beaucoup d'autres qui malheureusement ne sont pas encore écrits et qui, pour certains, les plus importants peut-être, ne paraîtront que longtemps après notre mort.
Mais, heureusement, le fait que Georges Molinié affirme une chose et son contraire ne l'empêche pas de se tromper deux fois. Car il a doublement tort : il a tort de nous présenter comme « fondateurs » et fondamentaux des travaux en réalité aussi indigestes qu'inutiles, les siens étant les plus indigestes et les plus inutiles de tous, et il a tort de prétendre que les études essentielles sont encore à venir. Dieu merci ! on n'a besoin pour apprécier le style des grands écrivains que l'on aime ou pour déplorer l'absence de style de tant d'auteurs à la mode ni de lire Georges Molinié et les autres stylisticiens actuels, ni de devoir attendre la parution d'hypothétiques travaux qui risquent fort d'être aussi indigestes et aussi inutiles. Il n'est pas besoin d'avoir fait des études de stylistique pour admirer la prose de Bossuet ou celle de Chateaubriand. Il n'est pas besoin d'avoir fait des études de stylistique pour se rendre compte que Christine Angot atteint sans cesse des sommets dans la platitude. Il n'est pas besoin d'avoir fait des études de stylistique pour s'apercevoir immédiatement, dès qu'on lit quelques lignes de Georges Molinié, qu'on on affaire à la langue la plus laide, la plus innommable qu'on ait sans doute jamais écrite avant lui et que, sans lui, on n'aurait sans doute jamais pu imaginer.

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En regardant à la télévision tous ces gens assis par terre sur l'esplanade des Invalides pour écouter le pape, je me suis dit que c'était certaiement la posture qui convenait le mieux pour ouïr les « vérités » de la foi chrétienne comme celles de toutes les autres religions. Car on a sans cesse envie de se taper le derrière par terre en entendant autant et d'aussi énormes absurdités.

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Si l'on organisait un référendum sur l'indépendance de la Corse, le oui l'emporterait sans doute dans tous les départements français, sauf en Corse. Mais les Français du continent qui voteraient oui, auraient certainement voté non, s'ils avaient été à la place des Corses, comme les Corses qui voteraient non, auraient voté oui, s'ils avaient été à la place des Français du continent. Ainsi, loin d'exprimer un désaccord profond entre la majorité des Français du continent et la majorité de ceux de Corse, ces deux votes opposés traduiraient en fait la même analyse. Les nationalistes auraient ainsi gain de cause, tout en ayant été condamnés en Corse et sur le continent. Cela sans doute ne les gênerait guère. Et c'est une raison de plus pour ne pas leur faire ce plaisir.

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Les universitaires qui ont passé un certain nombre d'années à écrire une grosse thèse sur un auteur obscur qui n'a intéressé aucun de ses contemporains, en arrivent presque toujours à se persuader que cet auteur est très important et qu'il a eu une grosse influence. Mais ils n'arrivent pas à en persuader leurs lecteurs et leur thèse est encore moins lue que ne l'ont été les œuvres de leur auteur.

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Il suffit souvent que quelqu'un commette à la radio et surtout à la télévision une impropriété ou une incorrection pour qu'elle soit aussitôt reprise par un grand nombre de personnes. Celles-ci, qui ne connaissent plus assez leur langue pour se rendre compte qu'il s'agit d'une faute de français, mais qui sentent quand même confusément que l'on s'est écarté de l'usage normal, se figurent en effet qu'il s'agit d'une nouvelle façon plus recherchée de s'exprimer et s'empressent par conséquent de l'adopter. C'est ce qui explique notamment l'emploi grotesque et hélas ! généralisé de « citoyen » comme adjectif, ou de « quelque part » pour dire « d'une certain façon ».

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Dans d'assez nombreuses églises, les cierges de cire sont dorénavant remplacés par des cierges électriques. Et le jour est sans doute proche où il n'y en aura plus d'autres. La prochaine étape consistera certainement à faire appel à l'électronique et à internet. Chacun pourra ainsi, à partir de son ordinateur et en donnant le numéro de sa carte de crédit, allumer un cierge dans n'importe quelle église de n'importe quel pays. On pourra même, si l'on en a les moyens, s'offrir le divin plaisir d'allumer au même instant un cierge dans toutes les églises du monde à la fois.

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Quand on visite Pompéi et Herculanum, on se dit, en contemplant les moulages de certains corps crispés et tordus par les affres de l'agonie, que ces malheureux n'ont, de toute évidence, bénéficié d'aucun soutien psychologique.

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À tort ou à raison un grand nombre de français se montrent tous les jours plus soucieux de ne consommer que des aliments vraiment naturels et exigent d'être informés sur l'origine des produits qui leurs sont proposés et sur les traitements qu'ils auraient pu subir. Cela étant, je m'étonne que personne ne se soit encore jamais inquiété de l'éventuelle nocivité d'un traitement qui, pour avoir été pratiqué sur une très grande échelle depuis près de vingt siècles, constitue certainement la transformation la plus radicale qu'on ait jamais fait subir à un aliment, transformation, qui, de l'aveu même de ses promoteurs échappe totalement à toutes les lois de la nature, je veux parler de la transsubstantiation grâce à laquelle un morceau de pain de froment devient instantanément le corps d'un homme mort il y a deux mille ans. À l'évidence, un traitement aussi étrange devrait susciter de la part de tous les adeptes du « principe de précaution » une méfiance encore beaucoup plus grande que celle que leur inspirent les organismes génétiquement modifiés.
Certes, les peuples chez qui ce traitement est pratiqué depuis près de deux siècles, semblent, à première vue, l'avoir bien supporté. Pour autant, en l'absence de toute étude scientifique sur la nature du traitement et de toute enquête statistique pour essayer de comparer l'état de santé de ceux qui consomment ce produit et de ceux qui s'abstiennent de le faire, on ne saurait affirmer d'une manière absolue qu'il n'a aucune influence néfaste. On pourrait se demander notamment si l'augmentation notable et rapide de la longévité en France et dans les pays développés depuis quelques décennies n'est pas en relation avec la diminution non moins notable et rapide de la consommation de ce produit pendant la même période.
Mais rien ne prouve, non plus, que la transsubstantiation n'ait pas des effets bénéfiques. À en juger par le cas de certaines mystiques qui ne se nourrissaient que d'hosties, il se pourrait même qu'elle augmentât considérablement la valeur calorique de la farine de froment. Si cette hypothèse était confirmée, nous disposerions enfin du moyen de résoudre rapidement le problème de la faim dans le monde.
On ne peut, non plus écarter absolument la possibilité que la transsubstantiation n'ait strictement aucun effet d'aucune sorte, et notamment qu'elle n'ait pas l'effet qu'elle prétend avoir. Auquel cas nous aurions affaire, depuis près de deux mille ans, à une immense, à une colossale fraude alimentaire et il serait grand temps que la justice fût enfin saisie.

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J'ai conbstaté que plusieurs de mes amis à qui on avait donné comme à moi l'assurance qu'ils avaient une maldie de longue durée, ont été emportés en quelques semaines et j'ai appris depuis que cela n'était pas rare.C'est parfaitement scandaleux et il importe de réagir massivement et énergiquement. Organisons partout des manifestations, occupons les établissements d'enseignement, bloquons les routes et les voies ferrées, lançons une grève générale reconductible jusqu'à ce qu'on obtienne la démission du minstre de la santé et l'assurance que désormais, dans tous les cas, les maladies de longue durée seront effectivement de longue durée.

J'ai entendu le 18 mai 2005, sur TF1 au journal de 20h un professeur de philosophie, qui avait emmené ses élèves visiter le temple de je ne sais quelle petite secte, expliquer sa démarche en disant : « Cela permet aux élèves d'avoir une idée de comment le rapport à Dieu se met en place ». Quand on entend des professeurs s'exprimer d'une manière aussi calamiteuse, on se dit qu'il vaut encore mieux qu'ils occupent leurs élèves n'importe comment plutôt qu'en leur faisant des cours, et c'est d'ailleurs ce à quoi, dans leur sagesse, les pédagogues officiels les engagent instamment.

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Beaucoup de gens, les chrétiens, bien sûr, mais aussi des incrédules, ont cru devoir s'extasier devant le courage exemplaire, le courage surhumain dont Jean-Paul II aurait fait preuve en refusant d'abandonner ses fonctions en dépit de l'état pitoyable auquel l'âge et la maladie l'avaient réduit. J'avoue ne pas partager ce sentiment. Si le comportement de Jean-Paul II fut certes ! exemplaire, c'est parce que loin d'être surhumain, il ne fut hélas ! que trop humain. Il s'est comporté comme tous ceux, si nombreux, qui, habitués à vivre sous les feux de la rampe, ne peuvent se résoudre à rentrer dans l'ombre. Il s'est comporté comme tous ceux, si nombreux, qui, montés sur le faîte, n'aspirent à y rester. Il s'est comporté comme se comportent la plupart des chefs d'Etat, comme se comportent notamment tous les dictateurs, grands et petits. Il s'est comporté comme se comporte Jacques Chirac et comme s'est comporté François Mitterrand. Il se comporte comme se comporte Fidel Castro et comme s'est comporté tout récemment encore Jean-Bertrand Aristide.
Si, comme Jean-Paul II, je croyais, au péché originel, je ne manquerais pas de voir dans son acharnement à rester sur le trône de Pierre l'effet d'un regrettable, d'un déplorable attachement aux grandeurs terrestres, et de diagnostiquer aussitôt l'origine première du mal, cette funeste libido dominandi à laquelle tous les hommes sont assujettis depuis la faute du premier d'entre eux. Certes ! nous ne sommes plus à l'époque des Borgia et la vie de pape n'est peut-être pas des plus folichonnes, mais c'est quand même la grande vie, c'est la très grande vie. En tout cas, pour qui aime être en vue, il n'y a sans doute pas au monde de situation plus enviable.
Quoi qu'il en soit, je vois mal où est le courage dont Jean-Paul II aurait fait preuve en s'accrochant à sa fonction. L'abdication ne lui aurait rendu ni la mobilité ni la santé et elle l'aurait privé, en revanche, de bien des avantages dont il jouissait. Certes ! il aurait été encore très entouré et il n'aurait pas eu besoin d'attendre des heures pour qu'on vienne lui remettre sa mule, si elle était venue à tomber. Toujours est-il qu'il se serait senti beaucoup plus seul en face de la maladie et de la mort à venir. Il n'en avait peut-être pas très envie. La perspective d'aller se reposer dans le sein d'Abraham ne lui donnait sans doute pas les cauchemars qu'elle ne manquerait pas de me donner, si elle me paraissait crédible; il se pourrait pourtant qu'elle ne l'enchantât pas autant qu'elle aurait dû le faire et qu'il préfèrait éviter d'y penser.
Au total, bien loin d'admirer le prétendu courage de Jean-Paul II, je pense que ce qui lui manquait le plus, comme à tous les croyants, c'est précisément le courage. Car il en faut pour regarder en face notre condition et admettre que nous sommes destinés à retourner au néant d'où nous venons, sans avoir jamais eu les explications auxquelles pourtant nous aurions droit. Certains préfèrent se raccrocher à des fables infantiles et passent toute leur vie, comme le Saint Père, à débiter des fariboles rocambolesques et à se livrer à des pitreries pitoyables. Si l'on est très charitable, on peut tout au plus essayer de les excuser, mais on ne saurait les admirer.

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Je lis dans Le Monde que le chimpanzé transmet fidèlement son savoir à ses proches. Heureux chimpanzés qui ignorent les sciences de l'éducation! Personne ne leur a encore dit qu'ils ne devaient surtout rien transmettre à leurs petits parce qu'ils risqueraient fort en ce faisant de diminuer, voire d'anéantir leur créativité.

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J'ai longtemps eu beaucoup de peine àcomprendre l'obstination de certains hommes et mouvements de gauche et d'extrême gauche à condamner les organismes génétiquement modifiés. Autrefois, en effet, c'étaient les esprits rétrogrades qui refusaient les expŽrimentations; autrefois c'étaient les conservateurs et les traditionalistes qui se méfiaient du progrès et s'employaient à l'entraver; autrefois c'était l'Eglise qui condamnait comme un acte sacrilège toute tentative de modifier l'ordre naturel voulu et créé par Dieu; autrefois c'étaient les réactionnaires qui étaient obscurantistes. Aujourd'hui ce sont les rŽvolutionnaires.
Je ne vois qu'une explication possible à une telle attitude. Les hommes et les mouvements en question considèrent sans doute, non sans raison peut-être, que le plus grand problème posé à l'humanité est celui de l'augmentation de la population. Or, il est vrai, le développement des OGM ne peut qu'aggraver la situation. Car, malheureusement, non seulement les produits contenant des OGM n'ont encore jamais tué personne, bien que des millions d'Américains en consomment tous les jours depuis un grand nombre d'années, mais ils semblent offrir des solutions prometteuses pour améliorer l'alimentation dans les pays où sévit la malnutrition. Si telle est donc bien la véritable motivation des adversaires des OGM, il conviendrait qu'ils le disent clairement pour rassurer tous ceux qui risqueraient de les prendre pour des demeurés.

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L'avantage de dire des âneries qui fleurent bon la modernité est double. Cela permet d'abord d'acquérir très rapidement une grande notoriété. Et ensuite, lorsque ces âberies commencent à passer de mode et que l'on est de moins en moins cité, on peut alors, comme Gérard Genette ou Tzvetan Todorov, rebondir aisément et se faire de nouveau applaudir en dénonçant avec vigueur toutes les inepties qu'on avait proférées avec tant d'arrogance et en exprimant des vérités de bon sens que, depuis longtemps, d'autres essayaient de faire entendre sans le moinde succès.

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« J'aime Britannicus », c'est en ces mots que Junie avoue à Néron les sentiments qu'elle éprouve pour Britannicus. La limpide simplicité de cette déclaration n'a d'égale que le pédantisme pesant du commentaire qu'elle inspire à Georges Molinié pour qui « la portée illocutoire [de cette déclaration] s'épuise dans la profération jubilatoire du signifiant de l'affect et du signifiant de l'aimé » (« Style tragique ou style racinien ? », Racine poète, La Licorne, p. 275). On dit souvent d'une manière bien imprudente que deux lignes d'un auteur peuvent suffire à le révéler tout entier. Car ce n'est vrai que lorsqu'on a affaire à une parfaite, à une totale nullité. Mais c'est précisément le cas de Georges Molinié et l'on peut donc sans prendre trop de risques dire qu'il est bien tout entier dans ces deux lignes.
Il y est d'abord avec le jargon grotesque dont il se gargarise à longueur de pages, même si l'échantillon est trop court pour donner une juste idée de ce dont Georges Molinié est capable dans ce domaine où il est sans rival. À l'exception de « portée » (mais l'adjectif « illocutoire » corrige aussitôt ce que ce mot pourrait avoir de trop usuel) et de « aimé », tous les termes qu'il emploie sont destinés à faire savant et à nous rappeler que nous avons affaire à un linguiste éminent. C'est la seule justification de l'adjectif « illocutoire » qui n'est pas seulement inutile (comme il l'est le plus souvent, pour ne pas dire toujours), mais parfaitement absurde, puisque Georges Molinié prétend, à tort j'y reviendrai, qu'en disant « J'aime Britannicus » Junie ne veut rien dire d'autre que « J'aime Britannicus ». En ce faisant, il retire aussitôt à la déclaration de Junie le caractère « illocutoire » qu'il vient pourtant de lui conférer. Ce mot n'est donc destiné qu'à impressionner les lecteurs dont Georges Molinié espère bien qu'ils n'auront pas le mauvais esprit de vérifier s'il est employé à bon escient, ni même de se demander ce qu'il veut dire au juste. C'est par pure cuistrerie aussi que « signifiant » est employé à deux reprises à la place de « nom ». Mais il faut n'avoir vraiment aucun sens du ridicule pour dire « le signifiant de l'aimé » plutôt que « le nom de l'aimé ». L'utilisation du mot « affect » à la place de « sentiment » est assurément moins incongrue, mais elle relève de la même politique ou plutôt de la même « stratégie énonciative ».
Cette stratégie n'est pas gratuite. Le jargon est pour Georges Molinié à la fois une arme, et même sa seule arme, et une armure. Il lui permet de d'éblouir ceux qui admirent un auteur d'autant plus qu'ils le comprennent moins. Quant à ceux qui aiment à comprendre ce qu'ils lisent, son opacité les décourage très vite de sorte que ses livres leur tombent des mains avant qu'ils puissent se rendre compte qu'il n'a, en réalité, rien à dire, ou du moins rien qui mérite d'être dit, puisqu'il ne cesse jamais de débiter des lapalissades que pour énoncer des sottises. Et il réussit dans ces deux lignes à nous offrir les deux à la fois. Derrière la carapace du jargon, ici peu épaisse, on découvre en premier lieu une lapalissade ou plutôt une tautologie. Il est incontestable que « J'aime Britannicus » veut d'abord dire « J'aime Britannicus ». Mais, si vous dites que « j'aime Britannicus » veut dire « j'aime Britannicus », vous risquez fort de passer pour un imbécile. En revanche, si vous dites que « la portée illocutoire de "J'aime Britannicus" réside dans la profération du signifiant de l'affect et du signifiant de l'aimé », bien que cela revienne exactement au même, les jobards, qui sont légion, seront portés à croire que vous avez dit quelque chose de nouveau et d'important.
Mais Georges Molinié, comme à son habitude, ne se contente pas d'enfoncer des portes grand ouvertes : il ne craint pas d'énoncer des contre-vérités. Quand il prétend, en effet, que « J'aime Britannicus » ne veut rien dire d'autre que « J'aime Britannicus » (« la portée illocutoire s'épuise dans la profération… »), il semble oublier que Junie s'adresse à Néron qui vient de lui déclarer son amour et de lui offrir de l'épouser après avoir répudié Octavie. Lui dire qu'elle aime Britannicus, c'est donc aussi lui dire qu'elle ne l'aime pas. Elle ne l'avait pas fait jusque-là et aurait certainement préféré ne pas avoir à le faire. C'est pourquoi, pour rejeter son offre, elle avait seulement déclaré qu'elle se refusait à prendre la place d'Octavie. C'est Néron qui l'a alors contrainte à parler de Britannicus en suggérant qu'elle se souciait en réalité beaucoup plus du frère que de la sœur.
Mais, si elle avoue sans hésiter qu'elle aime Britannicus, elle le fait en évitant soigneusement tout ce qui pourrait ressembler à de la provocation. C'est pourquoi Georges Molinié dit une seconde sottise en parlant d'une « profération jubilatoire ». Passons sur le mot « profération » que les linguistes emploient pour tout énoncé quel qu'il soit, alors que, dans la langue des honnêtes gens, le mot suggère une certaine emphase et s'utilise principalement quand il s'agit d'insultes ou de menaces. On peut donc estimer que le mot est ici mal choisi, puisque, si le ton de Junie est ferme, il n'est certainement pas emphatique. Mais c'est surtout l'adjectif « jubilatoire » qui montre que Georges Molinié méconnaît complètement la situation dans laquelle se trouve Junie. Aussi bien je ne pense pas - mais cela viendra peut-être car, avec les metteurs en scène actuels, on peut s'attendre à tout - qu'aucune comédienne ait jamais prononcé cet hémistiche sur un ton jubilatoire. Ce serait parfaitement incongru. Junie n'est pas un personnage de roman photo qui apprend à sa meilleure copine qu'elle est tombée amoureuse. Julie est un personnage de tragédie et elle s'adresse au rival de son amant, un rival jaloux, cruel et tout puissant. L'heure n'est vraiment pas à la jubilation. C'est d'ailleurs rarement le cas dans la tragédie et particulièrement dans la tragédie racinienne. Mais qu'importe ? L'adjectif « jubilatoire » est fort à la mode. Il fait baver d'aise les jobards et Georges Molinié n'écrit que pour eux.

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Si Freud voit des zizis partout, c'est parce qu'il est zinzin.

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Philippe Forest a écrit sur l'œuvre de Philippe Sollers un livre que je n'aurais certainement jamais lu (la vie est bien trop courte pour lire des livres sur Phillipe Sollers), s'il ne s'était présenté à un poste de maître de conférences à PARIS IV et si je n'avais dû rapporter sur sa candidature. Cette lecture m'a du moins permis de comprendre pourquoi, lorsque j'avais essayé de les lire, les livres de Sollers m'avaient paru à peu près dénués de sens. Philippe Forest nous explique, en effet, que, chez Sollers, « le sens glisse sur la surface de la page ». Cela étant, ses éditeurs devraient prévenir les imprimeurs, les distributeurs, les libraires et les lecteurs que, dès qu'il sortent des presses, les livres de Sollers doivent toujours être strictement maintenus à l'horizontale.

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Je crois pouvoir dire sans me vanter que je suis doté d'une excellent cerveau, un des meilleurs que je connaisse… parmi les modèles bas de gamme. C'est, en effet, un appareil très simple, mais très sûr, tout à fait rudimentaire, mais fort robuste. Il est extrêmement lent, mais, pour cette raison sans doute, il ne chauffe jamais. Ses capacités sont très limitées. Il est incapable d'apporter le moindre commencement de réponse à d'innombrables questions, à commencer par toutes celles que se posent les philosophes, et ne peut traiter que des sujets très précis et très circonscrits. Mais, sur ces sujets, il est remarquablement fiable et je peux m'en remettre à lui en toute confiance.Quand il m'affirme que Georges Molinié est un des plus grands grotesques de tous les temps, que Roland Barthes est un parfait imbécile et que René Girard est complètement déjanté, je puis reprendre à mon compte ses jugements en étant sûr de ne pas me tromper.

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J'ai été d'abord très surpris en découvrant, dans Le Monde du 14 août 2003 que M. Jean-Luc Mélenchon avait affirmé que José Bové était « un cadeau du bon Dieu ». Je ne m'attendais pas, en effet, à ce qu'un membre du parti socialiste s'exprimât comme une grenouille de bénitier. Mais, bien sûr, j'avais mal compris et je n'ai perçu qu'au bout d'un certain temps (j'ai malheureusement l'esprit assez lent) le caractère très ironique du propos de M. Mélenchon, lequel avait voulu se payer à la fois la tête de José Bové et celle du « bon Dieu ». Car M. Mélenchon a bien évidemment voulu rappeler à tous les laïques que la politique dudit « bon Dieu » a toujours été d'encourager l'obscurantisme et de tout faire pour essayer d'enrayer le progrès. Je me sens donc pleinement d'accord avec lui, mais je voudrais lui rappeler que le maniement de l'ironie est toujours délicat et qu'à en user de manière trop subtile, on peut parfois s'exposer à être mal compris. Je crains fort, en effet que certains, ayant l'esprit encore plus lent que moi, n'aient nullement perçu le caractère ironique de son propos, à commencer sans doute par les deux principaux intéressés, José Bové et le « bon Dieu ».

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Je lis aujourd'hui dans Le Monde que l'UNESCO recense 2500 langues en péril. Mais, comme il ne me reste que peu d'années à vivre, je me dis égoïstement que je mourrai avant d'être pesonnellement touché par la future pénurie de langues.

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Les adversaires du projet de constitution européenne se sont plaints tout au long de la campagne du référendum que la plupart des éditorialistes et des intellectuels les plus en vue étaient favorables à ce projet et choisissaient par conséquent de défendre le oui. C'était là selon eux une criante injustice. Comment ne pas leur donner raison? Il est clair que, dans un débat vraiment démocratique, les opinions opposées devraient toujours être défendues par un nom égal de personnalités qui font autorité, et corrélativement par un nombre égal d'imbéciles ou de rigolos. Il serait temps que le ministre de la parité et de l'égalité des chances fasse voter une loi dans ce sens. Je pense même qu'il faudrait aller beaucoup plus loin et ne pas hésiter à faire résolument appel à la discrimination positive. Dorénavant les opinions les moins sensées devraient obligatoirement n'être défendues à la radio, à la télévision et dans les journaux que par des personnalités réputées éclairées, tandis que les opinions raisonnables ne pourraient l'être que par des individus dûment reconnus inaptes à toute forme de pensée rationnelle.

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Si l'on ne veut pas passer pour un plouc, il ne faut plus dire : « J'ai un bon dentiste », mais : « je suis très satisfait de la façon dont mon dentiste gère mon capital bucco-dentaire ». De même, plutôt que de dire : « on m'a enlevé la prostate », il vaut mieux dire : « mon capital uro-génital a été amputé de sa composante prostatique ».

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Etant maintenant arrivé à l'âge des bilans, j'ai eu récemment l'idée de me demander quel était le plus comique de tous les propos que j'avais pu lire ou entendre au cours de mon existence.A première vue la tâche s'annonçait très malaisée, sinon impossible, tant le nombre de réponses possibles semblait être grand. Pourtant il m'est apparu quasi immédiatement qu'aucune phrase ne pouvait être aussi prrofondément, aussi intensément comique que celle que les chrériens prononcent au cours de la messe juste après la Consécration. Eux qui croient en des histoires à dormir debout, en de prétendues « vérités' qui ne sont qu'un tissu d'absurdités, contre lesquelles la logique, la science, les données historiques et jusqu'à l'étude même des textes prétendument sacrés qu'ils considèrent comme les fondements de leur foi, ne cessent de soulver des objections aussi innombrables qu'insurmontables, ils ne trouvent rien de mieux, après que le prêtre a prononcé les paroles censées faire qu'un peu de pain et de vin deviennent le corps et le sang d'un homme mort il y a plus de deux mille ans, que de dire en chœur d'un ton pénétré :« Il est grand le mystère de la foi!  ».

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Dans la spécialité qu'ils ont pratiquée toute leur vie avec une inlassable persévérance, la platitude, certains universitaires ont réussi à atteindre des sommets.

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On peut sans doute regretter que l'espèce des dinosaures ait complètement disparu. Il aurait été, en effet, intéressant de pouvoir en observer quelques spécimens dans des jardins zoologiques spécialement aménagés. Les enfants auraient été ravis et les adultes heureux de voir la joie des enfants. Mais, tout compte fait, je me félicite aujourd'hui qu'il n'en ait pas été ainsi. Car, au nom du respect de la bioversité, les écologistes n'auraient pas manqué de demander qu'on les réintroduisît dans nos campagnes et ils auraient peut-être été entendus par le ministre de l'écologie.

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La mort d'un pape fait toujours au moins un heureux : le Saint-Esprit. Pendant quelques jours, voire quelques semaines, il sort enfin sortir du désœuvrement et de l'obscurité. Car, en temps ordinaire, il semble n'avoir pas grand-chose à faire, ses fonctions n'ayant jamais été clairement définies. Pour une fois, il a enfin à accomplir une tâche bien précise : réfléchir tout d'abord au choix du nouveau pape, et ensuite rallier à son choix la majorité des cardinaux.
En temps ordinaire, le Saint-Esprit semble avoir aussi un sérieux problème de communication. Les chrétiens ne le « sentent » pas; ils ne l'ont jamais senti. Les mystiques eux-mêmes ne sont jamais arrivés à établir avec lui un véritable contact. Thérèse d'Avila qui est pourtant si habile à faire parler le Christ au point qu'il finit par devenir avec elle d'une prolixité lassante, et qui réussit assez souvent à arracher à Dieu le Père lui-même quelques mots, toujours très flatteurs pour elle, n'a jamais pu obtenir que le Saint-Esprit lui adressât la moindre syllabe. Je me garderai bien de dire si la faute en revient aux hommes incapables de le comprendre ou au Saint-Esprit qui ne sait pas se vendre, toujours est-il qu'il est le mal-aimé de la Trinité, et qu'il doit certainement souffrir de cette situation. Mais quand un pape meurt, pendant quelques jours, on parle enfin beaucoup du Saint-Esprit, on parle de lui dans les journaux, à la radio et à la télévision, on s'interroge sur ses intentions, on suppute ses choix, et même si, sur le petit écran, certains journalistes ont parfois du mal à réprimer un sourire, voire une envie de pouffer de rire en prononçant son nom, n'en doutons pas ! le Saint-Esprit est aux anges.

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Dans les maisons de retraite, celui qui a été une grosse légume, n'est souvent plus qu'un légume parmi d'aurtres.

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Comme j'aurai sans doute beaucoup de mal à me relever le jour de la Résurrection, non seulement à cause de la tumeur que j'ai à l'os iliaque, mais aussi et surtout à cause du profond étonnement que ne manquera pas de me causer un événement auquel je m'attendais si peu, je voudrais que l'on installât dans mon cercueil une barre latérale semblable à celle, très utile quand on se fait vieux, que j'ai dans ma baignoire.

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L'expérience prouve surabonbdamment que les sottises qui devraient sauter aux yeux les moins desillés font les délices d'esprits qui se croient très déliés.

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La Mosquée de Paris a cru bon de poursuivre Charlie Hebdo pour « injure publique à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur religion ». Outre deux des caricatures publiées par l'hebdomadaire, la plainte visait la couverture de Cabu qui représentait Mahomet se lamentant en disant: « c'est dur d'être aimé par des cons ». Pour ma part, comme M. Boubakeur, mais pas pour la même raison que lui, je n'ai pas du tout aimé cette couverture, et j'avais d'ailleurs envoyé un e-mail à la rédaction de Charlie Hebdo, qui n'a pas jugé bon de me répondre, pour lui faire part de mon sentiment. La couverture de Cabu suggère, en effet, très clairement que Mahomet n'est pas un con. Or c'est là une contrevérité, avérée, évidente, flagrante qu'on ne saurait laisser passer sans protester avec la plus grande énergie. Car il suffit d'ouvrir le Coran et de commencer à le lire pour s'apercevoir que Mahomet est bel et bien un con et quel con! un triste, un sinistre, un horrible con!

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On est souvent étonné par l'inintelligence littéraire dont font preuve certains universitaires chargés d'enseigner la littérature. Georges Forestier, professeur de littérature classique à l'Université de Paris-Sorbonne, a écrit un petit manuel intitulé Introduction à l'analyse des textes classiques. éléments de rhétorique et de poétique du XVIIe siècle (Nathan Université 1993), qu'il conseille vivement à ses étudiants en leur disant que c'est un livre « indispensable ». Il y présente les figures de style les plus courantes en faisant suivre leur définition d'un exemple censé l'illustrer. Voici ce qu'il dit de l' « ellipse »: « Suppression de termes nécessaires à la construction de la phrase, sans que le sens soit perturbé :
Que vouliez-vous qu'il fît contre trois ? – Qu'il mourût. (Corneille Horace) ;
la construction normale étant : j'aurais voulu qu'il mourût » (p. 35)
Il n'y a rien à redire à la définition qu'il donne de l'ellipse, et l'on peut certes ! la préférer aux définitions ridicules qu'en donne le grotesque Georges Molinié qui s'évertue à toujours dire les choses les plus simples de la façon la plus compliquée possible. Voici la définition qu'il donne dans le Vocabulaire de la Stylistique écrit en collaboration avec Jean Mazaleyrat (PUF, 1989) : « Figure microstructurale [de construction], créant un raccourci par la suppression d'outils grammaticaux ou de suites syntaxiques requis dans l'expression commune et complètement développée du rapport sémantique ». Mais il a sans doute jugé que cette définition était encore trop simple et ne donnait donc pas une assez jute idée de la science et de la subtilité de son auteur. Dans son Dictionnaire de Rhétorique, publié trois ans plus tard (Livre de poche, 1992), il a donc proposé une nouvelle définition plus propre à impressionner les jobards : « Dans la tradition, une ellipse correspond à une figure microstructurale de construction. On l'identifie lorsqu'une suite syntaxique apparaît dépourvue de supports lexicaux communément attendus et grammaticalement impliqués dans les éléments qui se trouvent en seconde position de construction parallèle, et ce en fonction d'une conception particulièrement exigeante de l'expression de la phrase »
Mais revenons à Georges Forestier, car, si sa définition de l'ellipse ne soulève pas d'objection, l'exemple qu'il a choisi pour l'illustrer nous laisse sans voix. Il a volontairement dédaigné de prendre les exemples canoniques et notamment le fameux vers d'Hermione qui dit à Pyrrhus 
Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ? (Andromaque, IV, 5, vers 1373).
Pour montrer qu'il n'avait besoin de personne pour trouver des exemples, il a voulu en donner un qui fût inédit et il y a réussi. Personne, en effet, n'avait certainement jamais pensé à proposer l'exemple qu'il a retenu. Er pour cause : il est inepte. Bien sûr, Georges Forestier a raison, il y a incontestablement une ellipse, mais le fait d'avoir recours à l'ellipse ne crée ici aucun effet de style. Bien loin qu'on ne s'attende pas à ce que le vieil Horace ait ici recours à l'ellipse, on aurait été très surpris s'il ne l'avait pas fait. En de telles circonstances il aurait paru plutôt incongru qu'il répondît : « J'aurais voulu qu'il mourût ! » Ce n'est pas assurément pas le moment de faire de phrases. Aussi bien le vieil Horace a-t-il été bien avisé de ne pas répliquer : « À la question que vous m'avez posée : "Que vouliez-vous qu'il fît contre trois ?", je répondrai le plus clairement et le plus directement du monde : "J'aurais voulu qu'il mourût !" » Pour le coup, la surprise eût été très grande, mais on aurait pensé que le vieil Horace n'avait plus toute sa tête. 
Je ne dirai évidemment pas que Georges Forestier a perdu la tête, mais j'aurais tendance à croire que le fonctionnement de son cerveau connaît à l'occasion quelques ratés. C'est du moins le cas ici. Certes, si, pour trouver des exemples d'ellipse, on fait appel à des réponses à des questions, on en trouvera à la pelle mais ils seront sans valeur. Car, dans ce cas, l'ellipse est si habituelle, si normale qu'elle n'est plus du tout ressentie comme une figure de style. À la question : « Vous prenez du café ou du thé ?  » on peut, bien sûr, répondre : « je prends du café » ou « je prends du thé » Mais la plupart des gens répondront seulement : « du café » ou « du thé ». De même, quand on demande aux gens comment ils vont, ils répondront le plus souvent « Bien » ou « Pas trop mal », et assez rarement « Je vais bien » ou « Je ne vais pas trop mal ». Ils n'auront pas pour autant l'impression d'avoir utilisé une figure de style et ne se prendront pas pour des écrivains. Et leur réponse ne créera aucun effet de surprise. Personne ne s'étonnera, personne ne s'exclamera : « Quelle hardiesse d'expression ! » Personne ne songera à leur dire qu'ils devraient écrire des livres. 
Cela dit, la réplique du vieil Horace est célèbre. Et, si elle est célèbre, c'est parce qu'elle comporte effectivement une hardiesse d'expression qui créée un effet de surprise. Georges Forestier l'a bien senti, il a bien senti que le vieil Horace avait dit quelque chose de fort. Mais il a conclu sottement que la force de sa réplique tenait au fait qu'il avait dit « Qu'il mourût ! » et non « J'aurais voulu qu'il mourût ». Certes, Corneille a eu mille fois raison de faire dire au vieil Horace « Qu'il mourût ! » et non « J'aurais voulu qu'il mourût ». Mais la trouvaille qui a fait la célébrité de cette réplique n'est pas évidemment pas là. Elle tient évidemment dans le heurt produit par les deux verbes : « Que vouliez-vous qu'il fît ? – Qu'il mourût ! » Quand on demande à quelqu'un ce qu'il compte faire, quelle initiative il envisage de prendre, on ne s'attend guère, en effet, à ce qu'il vous réponde qu'il compte mourir. Car « mourir » ne fait pas partie des verbes d'action. Il évoque au contraire, le renoncement total et définitif à toute forme d'action, la fin de toute initiative. Georges Foresrtier n'a apparemment pas été capable d'analyser correctement l'effet stylistique produit par cette célèbre réplique S'agissant d'un professeur à la Sorbonne, c'est consternant.

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Tous les premiers avril, en se levant, Blaise ouvrait sa fenêtre et criait à tue-tête : « Christ est ressuscité ! Joie, joie, joie, pleurs de joie ! » en riant comme un fou. Et ses voisins se disaient, en souriant avec indulgence, qu'il en fallait parfois bien peu pour amuser un grand savant.

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La masse de livres et de travaux savants qu'il faut d'abord lire, à en croire certains universitaires, si l'on veut avoir une petite chance de commencer à pouvoir comprendre un peu les grandes œuvres littéraires, est telle qu'on a toutes les chances de mourir avant d'avoir eu le temps d'en ouvrir une seule.

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Joe avait été boxeur. Il se portait fort bien et était encore très vigoureux pour son âge. Malheureusement il était atteint de la maladie d'Alzheimer et il fallut le mettre dans une maison de retraite, ce qui ne tarda pas à poser un sérieux problème. Car, se croyant revenu au temps de ses exploits, il ne pouvait rencontrer un pensionnaire masculin sans se mettre aussitôt à le boxer. La direction songea d'abord à organiser des cours de boxe pour tous les pensionnaires masculins afin qu'ils pussent au moins essayer de se défendre. Malheureusement l'équilibre de beaucoup d'entre eux était si précaire que le seul poids des gants de boxe les faisaient tomber en avant, dès qu'ils essayaient de lever un bras. Il fallut chercher une autre solution et on finit par la trouver. À la différence de bien d'autres boxeurs, Joe n'avait jamais frappé d'arbitre, et on réussit à le persuader que tous les pensionnaires masculins étaient d'anciens arbitres de boxe.

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Il y a des livres que l'on peut sans la moindre hésitation mettre dans toutes les mains, alors même que, comme Philippe Sollers, leurs auteurs croient être profondément dérangeants, voire hautement subversifs. Et c'est d'ailleurs pourquoi Philippe Sollers n'avait pas craint d'offrir les siens à Jean-Paul II. Il savait bien que, si celui-ci avait essayé de les ouvrir, hypothèse, au demeurant, fort improbable, ils lui seraient, même s'il n'avait pas eu la maladie de Parkinson, bien vite tombés des mains.

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Le nouveau ministre de l'agriculture, qui sortait de l'ENA croyait, que les œufs durs étaient des œufs pondus par des poules constipées.

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Le vieux rabbin n'avait plus toute sa tête : il voulait à tout prix manger du boudin casher.

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Il est assez plaisant de voir les autorités religieuses catholiques, comme le cardinal Barbarin, partager ou feindre de partager l'indignation suscitée chez les musulmans par les caricatures de Mahomet et vouloir appuyer leurs efforts pour essayer de faire interdire le blasphème. Mais avant de demander aux mécréants de cesser de critiquer l'islam, nos prélats feraient bien de faire eux-mêmes amende honorable et de s'excuser auprès des musulmans pour la façon dont l'église a parlé de l'islam pendant tant de siècles. Que le cardinal Barbarin relise donc, par exemple, ce que, dans le Panégyrique de saint Pierre Nolasque, Bossuet disait de« cette religion monstrueuse, quise dément elle-même, a pour toute raison son ignorance, pour toute persuasion sa violence et sa tyrannie, pour tout miracle ses armes, armes redoutables et victorieuses, qui font trembler le monde, et rétablissent par force l'empire de Satan dans tout l'univers ». J'ajouterai que la lecture de Bossuet n'aurait pas seulement l'avantage de rappeler à nos prélats ce que fut si longtemps la position de l'église. Elle leur permettrait aussi de s'exprimer en un meilleur français. Autrefois, en effet, ils usaient généralement d'une langue assez châtiée. Mais les choses ont bien changé, si j'en juge par cette phrase, elle aussi « monstrueuse », entendue il y a quelque temps, sur FR 2 au journal de 13 h., dans la bouche d'un évêque dont je n'ai malheureusement pas noté le nom : « Est-ce que c'est le vivre ensemble des Français qui est plus en difficulté ? 

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On a du mal à comprendre comment les partis et les mouvements de gauche et d'extrême-gauche peuvent à la fois dénoncer systématiquement les délocalisations et prêcher éloquemment pour la réduction des inégalités entre les pays riches et les pays pauvres. Car, si les délocalisations sont évidemment la conséquence des grandes inégalités qui existent entre les pays développés et les autres, elles tendent aussi à y remédier. Certes, les chefs d'entreprise qui délocalisent ne le font pas dans ce but : ils ne pensent, bien sûr, qu'à leur profit. Mais, si faibles que puissent être les salaires que les entreprises délocalisées offrent à leurs employés ou à leurs ouvriers, ils n'en constituent pas moins pour ceux-ci une véritable aubaine. Les délocalisations font peut-être plus pour le développement économique de certains pays que les subventions internationales trop souvent détournées à leur profit par des dirigeants sans scrupules. S'il est donc tout à fait logique que le Front national condamne systématiquement les délocalisations puisqu'il prône la préférence nationale, il l'est beaucoup moins d'en faire autant lorsqu'on dénonce par ailleurs, et souvent à juste titre, l'égoïsme des pays riches.

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Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir et quand il n'y a plus de vie, il n'y a plus rien à craindre

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En se tortillant la barbe et en prenant un ton faussement gêné, Dieu dit à Abraham : « Je ne voudrais surtout pas t'influencer. Mais, si un jour, pour une raison ou pour autre, la fantaisie te prenait d'égorger ton fils, Isaac, je n'en serais pas autrement mécontent. Cela dit, c'est ton fils, et tu agis comme tu l'entends ». À peine il achevait ses mots qu'Abraham alla trouver Isaac pour lui dire d'aller l'attendre à la cuisine, debout devant l'évier, en penchant bien la tête en avant : il ne voulait surtout pas qu'il y eût du sang partout de peur que Sarah ne lui fît une scène. Puis il alla chercher dans sa resserre le grand coutelas dont il se servait pour tuer le cochon et se dirigea vers la cuisine où Dieu, qui l'attendait derrière la porte, l'assomma d'un coup de poing qui aurait pu suffire à tuer un bœuf. Mais, comme toute sa famille, Abraham avait la tête particulièrement dure. Il lui fallut pourtant un certain temps avant de pouvoir reprendre ses esprits pour entendre Dieu le traiter de brute dégénérée, d'abruti sanguinaire, de fanatique aussi odieux que stupide et prédire que sa descendance reculerait les bornes de l'imbécillité.

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Certains disent que je ne suis capable de penser que contre quelqu'un. C'est une horrible calomnie : je ne pense jamais. Le jour où je me mettrai à le faire, c'est que j'aurai perdu la tête.

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« Descartes, ce cavalier français qui partit d'un si bon pas ! » Jean Lacroix, qui fut pendant de longues années le chroniqueur philosophique du Monde, et que j'ai eu comme professeur à la khâgne du Lycée du Parc, citait volontiers cette formule de Péguy à ses élèves. Il le faisait pour nous inviter, à l'instar de Descartes, à pratiquer nous-mêmes le doute méthodique et à remettre sans cesse en cause tout ce que nous avions pensé jusque-là. « Nous ne pensons pas, constatait-il, mais nous nous répétons - nous-mêmes ou les autres ». Et il nous exhortait à « conserver une pensée vivante, qui ni ne se mime ni ne se répète, mas se mobilise toujours actuellement », à être sans cesse, et c'était sans doute celle de ses formules favorites dont il était le plus fier, « contemporain de sa propre pensée ».
Le malheur, c'est qu'il ne semblait guère pratiquer lui-même cette méthode qu'il nous recommandait avec tant d'insistance. En effet, il ne faisait jamais que nous lire, sur des feuillets jaunis, sans en changer un seul mot, des cours qu'il avait rédigés une quinzaine d'années auparavant et qu'il devait relire pendant une vingtaine d'années encore aux générations suivantes de khâgneux, et dont faisaient partie ces phrases mêmes par lesquelles il nous invitait d'une voix vibrante à être contemporains de notre propre pensée. Il m'est arrivé de le revoir, trente ans après : il était à la retraite, mais il continuait à ressortir à tous ceux qui lui rendaient visite les cours qu'il avait répétés pendant toute sa carrière. Tous les ans, il avait répété aux khâgneux que « beaucoup d'hommes ne font que répéter toute leur vie ce qu'ils ont découvert dans leur adolescence comme d'autres se contentent d'exprimer ce qui a été pensé avant eux ». Et, pendant soixante ans, sa pensée à lui n'avait jamais bougé d'un pouce; il n'avait jamais remis en question une seule de ses idées, une seule de ses certitudes, même celles qui étaient les moins fondées, et, bien sûr, il n'avait pas manqué de conserver pieusement les croyances religieuses dans lesquelles il avait été élevé.
En cela, il ne faisait que suivre, il est vrai, l'exemple illustre de « ce cavalier français » qu'il nous donnait en exemple. Comme le fait Péguy, on s'extasie souvent sur l'audace intellectuelle de Descartes, qui, au début des Méditations, entreprend de se défaire de toutes les opinions qu'il avait reçues jusque-là et de récuser jusqu'aux vérités mathématiques. Mais, quand on arrive à la fin des Méditations, on n'est pas peu surpris de constater que, chemin faisant, Descartes a retrouvé, sans aucune exception, toutes les opinions, toutes les croyances, toutes les certitudes, qu'il avait récusées au début et soumises à un doute radical. Si l'on ne songe guère à s'étonner qu'il ait retrouvé certaines certitudes qui semblent, en effet, bien fondées et notamment les certitudes mathématiques, il en est d'autres que l'on est surpris de voir réapparaître telles quelles, à commencer par la croyance en Dieu et en l'immortalité de l'âme. « Descartes, ce cavalier français qui partit d'un si bon pas ! » Sans doute, mais il savait bien que son intrépide équipée allait sagement le ramener à son point de départ.

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Lorsqu'il était ministre de l'Education nationale, M. Claude Allègre a osé déclarer, dans un entretien accordé au Monde : « Il y a dans l'enseignement une tendance archaïque que l'on peut résumer ainsi : 'Ils n'ont qu'à m'écouter, c'est moi qui sais'. Sauf que c'est fini. Les jeunes (et même les très jeunes) n'en veulent plus. Ce qu'ils veulent c'est inter-réagir ». Le plus extraordinaire est que cette déclaration inouïe, dans laquelle le ministre chargé d'assurer dans tout le pays la bonne marche de l'enseignement condamnait sans appel l'idée même d'enseignement, est passée presque inaperçue. Que se passerait-il pourtant, si le ministre de l'agriculture déclarait un jour : « Il y a chez les agriculteurs une mentalité foncièrement archaïque qui, depuis des temps immémoriaux, les pousse sans cesse à ouvrir des sillons dans la terre pour y semer des graines et à y creuser des trous pour y planter des arbres. Cela n'a que trop duré : la nature en a assez, la nature ne le supporte plus »? Cela ferait, sans doute, la une de tous les journaux et le ministre en question se retrouverait bien vite dans un hôpital psychiatrique.

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Personne, sur cette terre, n'a à dire des choses qui ne puissent être dites clairement. Ceux qui prétendent le contraire, ceux qui affirment que ce qu'ils ont à dire est tellement rare, tellement riche, tellement précieux qu'ils sont obligés de l'envelopper très soigneusement dans le langage le plus hermétique possible, sont ou bien des imposteurs ou bien des imbéciles affligés d'une outrecuidance ridicule.

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Ce fut plus fort que lui. Quand l'Aigle de Meaux après avoir marqué une légère pause, reprit le fil de son sermon en disant : « Et maintenant pénétrons plus avant dans les desseins de la divine Providence », le vicomte Aldebert de l'Esclafade, qui était passablement libertin, fut pris d'un fou rire inextinguible, et finit par se rouler par terre pour essayer de l'éteindre. Mais il ne put y arriver et le fou rire se propagea rapidement à toute l'assistance. Il finit même par gagner le prédicateur qui ne cessait de dire, entre deux quintes de rire : « il fallait bien que cela arrivât un jour ! »

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La Révolution française n'aurait peut-être pas eu lieu, si, au lieu de prétendre orgueilleusement conserver tous leurs privilèges, les nobles avaient eu la sagesse de dire qu'ils entendaient seulement défendre leurs avantages acquis.

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La critique universitaire est souvent le fait d'éminents spécialistes qui savent tout sur les auteurs auxquels ils ont consacré leur vie qu'ils ont étudiés et n'ont, en réalité, rien à dire. Ils peuvent écrire des centaines de pages, voire deux ou trois mille sur le même écrivain, sans jamais en éclairer une seule ligne ou un seul vers. Bien plus, après avoir passé un grand nombre d'années à étudier une œuvre, non seulement ils ne semblent pas mieux la comprendre qu'un lecteur qui l'aborde pour la première fois, mais parfois ils ne comprennent pas ce que celui-ci comprend tout de suite.

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Les premiers romans de Gustave Suavinet, Le Bleuet jauni, Le Berceau défraîchi, La Serpillière de ma grand-mère, avaient rencontré un grand succès populaire. Mais, il venait de l'apprendre, un critique très renommé l'avait traité de romancier à l'eau de rose. Furieux, il s'installa à sa table de travail, mit une feuille de papier sur sa machine à écrire et tapa rageusement le titre de son prochain livre : Du Sang sur le fromage blanc.

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Si les grands auteurs avaient dû lire toutes les œuvres qui, au dire de certains universitaires, sont censées les avoir inspirés ils n'auraient jamais eu le temps d'écrire.

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Roland Barthes : de l'or en barre pour les jobards

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Malgré son grand âge, il se sentait tout rajeuni en sortant de chez son médecin. Celui-ci lui avait annoncé qu'il avait une maladie de longue durée. Et il se disait, qu'avec un peu de chance, il en contracterait peut-être bien une deuxième. Dans ce cas, lui avait dit, son médecin, il aurait toutes les chances de vivre au moins jusqu'à cent ans. Car la loi avait été changée et le décret d'application venait de sortir. Jusqu'à présent, en effet, quand on avait plusieurs maladies de cette catégorie, les durées ne s'additionnaient pas. C'était tout à fait injuste et le syndicat des malades atteints de plusieurs affections de longue durée, avait, comme il se doit, depuis longtemps protesté et organisé des manifestations devant le ministère de la Santé, en menaçant de faire une grève illimitée des maladies. Le ministre, Philippe Douste-Blazy, avait enfin cédé et pris la décision qui s'imposait.

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Autrefois certains balayeurs, comme dans le film Jour de fête, ne balayaient quasi jamais parce qu'ils étaient trop occupés à bavarder avec tous les passants. Aujourd'hui ils sont pendus à leurs téléphones portables.

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On s'en aperçut bien vite. Le nouveau pape était atteint, à un degré jusque-là inconnu, d'une affection spécifique à son état, la canonisomanie, ou canonisationis incontinentia, qui se caractérise par un besoin irrépressible de canoniser. C'était, en soi, une affection bénigne qui ne mettait nullement sa vie en danger, mais qui n'en présentait pas moins de grands inconvénients. Outre que cela faisait ricaner les incrédules, qui n'avaient déjà que trop d'occasions de le faire, beaucoup de membres du clergé, à commencer par les cardinaux du sacré Collège, considéraient, non sans raisons, que cette inflation sans précédent dévaluait singulièrement la dignité de saint. « Où est le temps, disaient-il, où, pour être canonisé, il fallait vraiment être un très grand cinglé, un allumé de première grandeur ? Où allons-nous, si un petit givré sans envergure, si le follet le plus insignifiant, peut prétendre à la sainteté ? ». Et certains membres de la Curie pensaient déjà à hâter le retour du Saint Père dans le sein d'Abraham. Mais il fallait, bien sûr, l'accord du Saint Esprit.

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Autrefois les mendiants étaient généralement faméliques. Aujourd'hui il n'est pas rare, dans les pays développés, de rencontrer des clochards rondouillards. Ils continuent à prétendre qu'ils font la manche pour avoir à manger, mais ils seraient plus convaincants s'ils disaient que c'est pour acheter des produits amincissants.

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Dans Les Visiteurs du soi, Jean Cotraux raconte que, s'étant fait voler son portefeuille dans une ville du sud-ouest, il est allé au commissariat où on lui a aussitôt proposé le soutien d'un psychologue. Il juge cela tout à fait ridicule et, à première, vue il est difficile de ne pas lui donner raison. Réflexion faite, je pense que le commissaire de police n'avait pas de psychologue à lui proposer, mais qu'il avait voulu le faire rire, au risque de passer pour un parfait imbécile à ses yeux, et lui permettre ainsi de se remettre plus facilement de sa mésaventure, remède assurément plus efficace que ne n'aurait été le recours à un psychologue.

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Il est plaisant de voir beaucoup de chrétiens aujourd'hui condamner les intégristes avec autant, voire plus de vigueur encore que les mécréants, au point de déclarer souvent qu'ils préfèrent ceux-ci à ceux-là. Pourtant s'il est normal de ne pas aimer les intégristes quand on est incroyant, ça l'est beaucoup moins quand on est croyant. Pour un incroyant, on croit toujours trop et il est logique qu'il aime les croyants d'autant moins qu'ils le sont plus, et, par conséquent, qu'entre tous les croyants, ce soit des intégristes qu'il se sente le plu éloigné. Mais l'hostilité, voire la franche aversion que ressentent à leur égard nombre de chrétiens, peuvent paraître quelque peu surprenante. Ils affectent, en effet, de considérer l'intégrisme comme une dérive de la religion. Ils le regardent comme un débordement, un détournement, une déviation. Ils le dénoncent comme un écart, un excès, une excroissance monstrueuse.
Mais l'intégrisme n'est rien de tout cela. L'intégrisme, c'est, au contraire, l'intégrité, c'est l'intégralité de la foi chrétienne. L'intégrisme n'est pas une dérive, c'est la « vérité » de la religion, même si cette « vérité »est, pour qui veut bien se donner la peine de réfléchir un peu, un tissu d'absurdités. Condamner l'intégrisme, c'est condamner saint Paul, le premier de tous les intégristes, c'est condamner saint Augustin, saint Thomas et tous les docteurs de l'église. La religion des intégristes, c'est celle de Pascal et de Bossuet ; c'est celle dans laquelle j'ai été élevé ; c'est encore, somme toute, celle du catéchisme de l'église catholique.
Ce ne sont pas les intégristes qui s'écartent de la vraie foi, mais bien plutôt ceux qui les en accusent. Pour essayer de maintenir la barque à flot, la plupart des chrétiens ont jeté par-dessus bord un bon nombre d'articles de foi ; ils se sont débarrassés des dogmes les plus gênants, les plus encombrants, mais aussi les plus fondamentaux, à commencer par le péché originel. On peut assurément les comprendre, mais il ne sont aucunement fondés à accuser les intégristes d'en rajouter alors qu'ils veulent simplement garder ce qu'ils ont, eux, jugé bon de bazarder.

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La dépression du professeur de sciences naturelles du lycée Buffon commençait à prendre une tournure vraiment inquiétante. La veille, il avait écrit à son proviseur pour lui demander de faire remplacer le plus rapidement possible le squelette qui était dans sa salle de classe : il le trouvait décidément trop décharné.

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« J'ai toujours vu que, pour réussir dans le monde, il fallait avoir l'air fou, et être sage » nous dit Montesquieu dans ses Pensées diverses. Cela peut certes arriver, mais il est beaucoup plus fréquent d'être fou et d'avoir l'air sage, et cela marche bien mieux, comme le montre, entre autres exemples, l'incroyable prestige dont jouit René Girard. 

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Le jour de Pâques, quand on pense à tous ces allumés qui vont répéter d'un air extasié: « Christ est ressuscité ! » on a parfois bien du mal à se lever.

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Je lis dans Le Monde du 8 janvier 2010 que « Mme Pécresse prône une adaptation des concours pour garantir l'égalité des chances ». Je ne puis, bien sûr, qu'approuver cette noble intention. Mais, si j'étais ministre, je serais, pour ma part, beaucoup plus ambitieux. Car ce ne sont pas seulement les concours qu'il faudrait profondément transformer pour les rendre vraiment équitables, ce sont aussi et d'abord les examens, et notamment le baccalauréat. Et il faudrait s'attaquer en priorité à la première, à la principale source d'inégalité, celle que constituent les considérables et consternants écarts que l'on remarque trop souvent entre les niveaux d'intelligence des candidats. Pour y remédier, je suggèrerais de mettre en place le dispositif suivant : tous les candidats à un examen subiraient d'abord une évaluation de leur quotient intellectuel à la suite de laquelle ils obtiendraient des notes de 1 à 20 ; ceux qui auraient 1 de quotient intellectuel seraient reçus à l'examen à partir d'une note moyenne de 1 ; ceux qui auraient 2 de quotient intellectuel, seraient reçus à partir d'une note moyenne de 2 ; et ainsi de suite, ceux qui auraient 20 de quotient intellectuel devant obligatoirement avoir une moyenne d'au moins 20 pour être reçus.

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Quand on commence à avoir un bel âge, on hésite tous les jours un peu plus à se regarder dans la glace.

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Quand je lis un philosophe, ma première réaction est toujours très prudente : je ne comprends rien.

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Je suis trop raisonnable pour avoir des idées. Si, un jour, je me mets à en avoir, ce ne sera pas la peine de faire des tests : j'aurai la maladie d'Alzheimer.

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L'abbé Aimé Dedieu aimait à taquiner la muse. Ses supérieurs n'y trouvaient rien à redire. Car l'on ne pouvait jamais rien déceler dans ses vers qui fût le moins du monde contraire à la foi et aux bonnes mœurs, comme on peut en juger par ces deux quatrains qu'il tenait pour son chef-d'œuvre :

Jésus, Marie,
Je vous en prie,
Aidez-moi !
Aidez-moi !

Jésus, Marie,
Je vous en prie,
Aimez-moi !
Aimez-moi !

Mais ils commencèrent à s'inquiéter le jour où, revenant trempé d'une promenade sous une pluie battante, il composa trois distiques qui respiraient la même simplicité naïve mais qui leur parut de moins bon aloi :

Oh ! Oh ! Oh !
Oh ! Que d'eau !

Ouïe ! Ouïe ! Ouïe !
On les mouille.

Aïe ! Aïe ! Aïe !
On les caille.

Il les rassura ne leur disant qu'il avait prix pour modèle un poème des Visages radieux de Claudel intitulé « Pâques » qui commence ainsi:

Noir noir noir
Tout est noir

L'heure l'heure l'heure
Il est l'heure !

Sonne sonne sonne
Cloche bonne !

et comporte sept autres distiques de la même facture et tous aussi sublimes.
Mais, le lendemain, il arriva au réfectoire triomphant en disant qu'il venait de composer deux nouveaux distiques sur le modèle claudélien et inspirés, confia-t-il, par la lecture de la Saint écriture :

Cul cul cul
Que c'est cul

Con con con
Que c'est con.

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L'abbé Bremond a dit que Bossuet était « une trompette ». Il aurait dû préciser que c'était une trompette bouchée.

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La sottise de certains auteurs éclate dès le titre même de leur livre qui d'emblée nous en révèle la totale absurdité. C'est le cas du livre publié sous la direction de Philippe Bacq et de Christoph Théobald et intitulé Une nouvelle chance pour l'évangile (collection Lumen vitæ, Novalis, 2008). Certes ! les hommes ont souvent besoin d'une nouvelle chance, voire d'une troisième ou d'une quatrième. Certes ! il y a des livres qui ne rencontrent pas tout de suite leur public, qui parfois même ne le trouvent qu'après la mort de l'auteur. Mais, s'il y a un livre qui ne devrait pas avoir besoin d'un nouveau lancement deux mille ans après, c'est bien un livre qui a été, sinon écrit, du moins inspiré par Dieu et qui s'adressait à l'humanité tout entière. S'il y a quelqu'un qui ne devrait pas avoir besoin d'une nouvelle chance, c'est bien Dieu.

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Freud prétend que le parapluie est un symbole phallique non seulement parce qu'il est allongé mais aussi « à cause du déploiement comparable à celui de l'érection ». Il me semble pourtant que, si le phallus en érection ressemblait à un parapluie déployé, et le parapluie déployé à un phallus en érection, ces deux instruments ne seraient guère en mesure de rendre à leurs utilisateurs les services qu'ils en attendent

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Plus je vieillis et plus je sens que, quand je serai mort, je n'aurai plus le courage de faire quoi que ce soit.

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Je suis très embarrassé pour le choix de mon épitaphe : je n'arrive pas à me décider entre « Ouf ! » et Zut ! »

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Le mort était morose. On le serait à moins. Pourtant il paraissait d'humeur si sombre que sa femme se douta que quelque chose n'allait pas. Elle pensa d'abord que ses souliers vernis le gênaient (c'étaient ceux de son mariage) et elle les remplaça par des pantoufles. Cela ne changea rien. Finalement elle trouva : on avait oublié de lui mettre sa légion d'honneur.

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Rendant compte d'un de mes livres, un critique a écrit un jour une phrase qui commençait ainsi : « René Pommier a très bien compris que…». Je ne me souviens plus de la suite de la phrase. Je me souviens seulement que je l'ai lue et relue un bon nombre de fois sans réussir à la comprendre.

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Il faut être mort pour pouvoir être sûr qu'on l'est vraiment. Mais, quand on est mort, on n'est plus sûr de rien.

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Je crois pourvoir dire sans me vanter que je suis doté d'un excellent cerveau, peut-être un des meilleurs cerveaux que je connaisse… parmi les modèles bas de gamme. C'est, en effet, un appareil très simple, mais très sûr, tout à fait rudimentaire, mais fort robuste. Il est extrêmement lent, mais, pour cette raison sans doute, il ne chauffe jamais. Ses capacités sont très limitées. Il est incapable d'apporter le moindre début de réponse à d'innombrables questions, à commencer par toutes celles que se posent les philosophes, et ne peut traiter que des sujets très précis et très circonscrits. Mais, sur ces sujets, il est remarquablement fiable et je peux m'en remettre à lui en toute confiance. Quand il m'affirme que Georges Molinié est un des plus grands grotesques de tous les temps, que Roland Barthes est un parfait imbécile et que René Girard est complètement déjanté, je puis reprendre à mon compte ses jugements en étant sûr de ne pas me tromper.

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À lui tout seul, le titre du livre publié sous la direction de Philippe Bacq et de Christoph Théobald Une nouvelle chance pour l'évangile (collection Lumen vitæ, Novalis, 2008) suffit à révéler sa profonde sottise. Certes ! les hommes ont souvent besoin d'une nouvelle chance, voire d'une troisième ou d'une quatrième. Certes ! il y a des livres qui ne rencontrent pas tout de suite leur public, qui parfois même ne le trouvent qu'après la mort de l'auteur. Mais, s'il y a un livre qui ne devrait pas avoir besoin d'un nouveau lancement deux mille ans après, c'est bien un livre qui a été, sinon écrit, du moins inspiré par Dieu et qui s'adressait à l'humanité tout entière. S'il y a quelqu'un qui ne devrait pas avoir besoin d'une nouvelle chance, c'est bien Dieu.

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Les gens dont on dit qu'ils tombent raide morts, sont, en réalité, plutôt enclins à s'affaisser comme des poupées de chiffon, à l'exception de ceux qui ont avalé un parapluie et des militaires qui gardent jusqu'à la fin l'habitude du garde-à-vous.

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Les homélies du père Tristounet étaient si mélancoliques que, le dimanche, en sortant de la messe de onze heures, les fidèles rentraient directement chez eux tout pensifs sans s'arrêter à la pâtisserie pour acheter des gâteaux. Le pâtissier finit par se plaindre à l'évêché qui était son meilleur client. Et le père Tristounet fut invité par son évêque à prendre tous les dimanches matins un antidépresseur. L'effet fut saisissant. Il se mit à faire toutes sortes de plaisanteries sur la Résurrection et la virginité de Marie, à tourner en dérision le péché originel, à dire que l'enfer était une fable, et à prôner la liberté sexuelle la plus absolue. Non seulement le pâtissier vit revenir tous ses clients, mais il leur vendit encore beaucoup plus de gâteaux. Hélas ! cela ne dura guère, car l'évêque ordonna au père Tristounet d'aller finir ses jours dans une maison de retraite pour ecclésiastiques .

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Le frère aîné de ma mère, Louis Mesny, est mort en déportation en avril 1945. Atteinte de la maladie d'Alzheimer, ma mère a passé les dernières années de sa vie dans une maison de retraite. J'allais toujours la voir au milieu de l'après-midi. Sur le coup de quatre heures, on lui apportait une boisson avec un petit gâteau. Lorsqu'elle était sur le point de terminer celui-ci, elle en détachait à chaque fois un tout petit morceau qu'elle enveloppait soigneusement dans un bout de serviette en papier et elle me le donnait en me disant : « Tu le garderas pour Louis ». Ce souvenir suffirait à lui seul à justifier la violente colère que je ressens à chaque fois que les croyants veulent nous persuader que « Dieu est amour » et que nous ne saurions mieux employer notre vie qu'à le bénir et à le louer sans cesse.

 

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