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…………………………BOSSUET



« Venez peuples, venez maintenant ; mais venez plutôt, princes et seigneurs, et vous qui jugez la terre, et vous qui ouvrez aux hommes les portes du ciel ; et vous plus que tous les autres, princes et princesses, nobles rejetons de tant de rois, lumières de la France, mais aujourd'hui obscurcies et couvertes de votre douleur comme d'un nuage ; venez voir le peu qui nous reste d'une si auguste naissance, de tant de grandeur, de tant de gloire. Jetez les yeux de toutes parts : voilà tout ce qu'a pu faire la magnificence et la piété pour honorer un héros : des titres, des inscriptions, vaines marques de ce qui n'est plus ; des figures qui semblent pleurer autour d'un tombeau, et des fragiles images d'une douleur que le temps emporte avec tout le reste ; des colonnes qui semblent vouloir porter jusqu'au ciel le magnifique témoignage de notre néant ; et rien enfin ne manque dans tous ces honneurs que celui à qui on les rend. Pleurez donc sur ces faibles restes de la vie humaine, pleurez sur cette triste immortalité que nous donnons aux héros. Mais approchez en particulier, ô vous qui courez avec tant d'ardeur dans la carrière de la gloire, âmes guerrières et intrépides. Quel autre fut plus digne de vous commander ? mais dans quel autre avez-vous trouvé le commandement plus honnête ? Pleurez donc ce grand capitaine et dites en gémissant : Voilà celui qui nous menait dans les hasards ; sous lui se sont formés tant de renommés capitaines, que ses exemples ont élevés aux premiers honneurs de la guerre ; son ombre eût pu encore gagner des batailles ; et voilà que dans son silence son nom même nous anime, et ensemble il nous avertit que pour trouver à la mort quelque reste de nos travaux et n'arriver pas sans ressource à notre éternelle demeure, avec le roi de la terre, il faut encore servir le roi du ciel. Servez donc ce roi immortel et si plein de miséricorde, qui vous comptera un soupir et un verre d'eau donné en son nom plus que tous les autres ne feront jamais tout votre sang répandu ; et commencez à compter le temps de vos utiles services du jour où vous vous serez donnés à un maître si bienfaisant. Et vous, ne viendrez-vous pas à ce triste monument, vous, dis-je, qu'il a bien voulu mettre au rang de ses amis ? Tous ensemble, en quelque degré de sa confiance qu'il vous ait reçus, environnez ce tombeau ; versez des larmes avec des prières ; et, admirant dans un si grand prince une amitié si commode et un commerce si doux, conservez le souvenir d'un héros dont la bonté avait égalé le courage. Ainsi puisse-t-il vous être toujours un cher entretien ! Ainsi puissiez-vous profiter de ses vertus ! et que sa mort, que vous déplorez, vous serve à la fois de consolation et d'exemple ! Pour moi, s'il m'est permis après tous les autres de venir rendre les derniers devoirs à ce tombeau, ô Prince, le digne sujet de nos louanges et de nos regrets, vous vivrez éternellement dans ma mémoire : votre image y sera tracée, non point avec cette audace qui promettait la victoire ; non, je ne veux rien voir en vous de ce que la mort y efface. Vous aurez dans cette image des traits immortels : je vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier jour sous la main de Dieu, lorsque sa gloire sembla commencer à vous apparaître. C'est là que je vous verrai plus triomphant qu'à Fribourg ou à Rocroi ; et, ravi d'un si beau triomphe, je dirai en actions de grâces ces belles paroles du bien-aimé disciple : "Et hæc est victoria quæ vincit mundum, fides nostra : La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c'est notre foi". Jouissez, Prince, de cette victoire, jouissez-en, éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice. Agréez ces derniers efforts d'une voix qui vous fut connue. Vous mettrez fin à tous ces discours. Au lieu de déplorer la mort des autres, Grand Prince, dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte : heureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie, les restes d'une voix qui tombe, et d'une ardeur qui s'éteint. »



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L'Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre et celle de Condé, dont nous allons étudier la péroraison, sont assurément les deux oraisons funèbres les plus célèbres de Bossuet. Mais la première est plus connue, on serait tenté de dire plus populaire que la seconde, si hélas ! le déclin, pour ne pas dire la ruine des études littéraires, ne faisait que ni l'une ni l'autre ne sont plus expliquées dans les lycées. La mort soudaine d'une jeune et brillante princesse est évidemment beaucoup plus émouvante et tragique que celle d'un vieillard [1] arrivé au terme d'une existence particulièrement comblée. L'Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre est certes, comme il se doit, une célébration des qualités de la princesse, mais elle est aussi et plus encore une déploration. Et ce sont les pages, et notamment le fameux récit de la mort d'Henriette dans le premier point, dans lesquelles Bossuet pleure sa disparition si brutale, qui l'ont rendue si célèbre.
Mais, dans l'esprit de Bossuet, l'Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre était d'abord et surtout un sermon sur la mort que la destinée tragique de la princesse rendait particulièrement exemplaire. Il en est de même de l'Oraison funèbre de Condé. La mort d'un personnage aussi illustre, à la destinée si riche et si glorieuse, ne se prêtait pas seulement à une longue et somptueuse célébration ; elle fournissait aussi à Bossuet l'opportunité de souligner avec une exceptionnelle vigueur le néant de toutes les grandeurs humaines, tandis le tardif retour à la religion de Condé permettait au prédicateur de rappeler à son auditoire que la piété était, au dernier jour, la seule « qualité » qui comptait vraiment. C'est là la leçon qu'il invite son auditoire à tirer de la vie et de la mort de Condé, leçon qu'il résume de la façon suivante à la fin de l'exorde : « Mettons ensemble aujourd'hui, car nous le pouvons dans un si noble sujet, toutes les plus belles qualités d'une excellente nature ; et, à la gloire de la vérité, montrons, dans un prince admiré de tout l'univers, que ce qui fait les héros, ce qui porte la gloire du monde jusqu'au comble, valeur, magnanimité, bonté naturelle, voilà pour le cœur ; vivacité, pénétration, grandeur et sublimité de génie, voilà pour l'esprit, ne seraient qu'une illusion si la piété n'y était jointe ; et enfin, que la piété est le tout de l'homme ».
Le plan de l'Oraison funèbre de Condé reprend celui de l'Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre. Le premier point de celle-ci, « ce qu'une mort soudaine lui a ôté », évoquait les qualités humaines d'Henriette d'Angleterre, qualités que la mort a réduites à néant, tandis que le second point, « ce qu'une mort sainte lui a donné », évoquait les sentiments tout chrétiens avec lesquels elle avait accueilli la mort. De même, le premier point de l'Oraison funèbre de Condé retrace la vie si remplie du prince et célèbre notamment les mémorables victoires d'un chef de guerre légendaire, tandis que le second point rappelle, pour inviter l'auditoire à l'imiter, qu'il est revenu à la religion avant d'être frappé par la maladie et qu'il est mort dans les dispositions les plus pieuses. Comme dans l'Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre, le premier point de l'Oraison funèbre de Condé, dans lequel Bossuet rappelle et célèbre les qualités humaines de son héros, est donc essentiellement profane, l'enseignement proprement religieux étant, comme il se doit, donné dans le second point, infiniment plus important aux yeux du prédicateur. Malheureusement pour lui, et, là encore, il en est de même pour l'Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre, les pages du second point sont beaucoup moins célèbres que celles du premier, beaucoup plus long, d'ailleurs. Mais la péroraison, qui fait la synthèse des deux points toute l'oraison funèbre, rappelant à la fois la grandeur humaine de Condé et sa pitié, est certainement la plage la plus célèbre de l'oraison funèbre dont elle constitue un couronnement particulièrement magnifique, en même temps qu'elle constitue le couronnement de toutes les oraisons funèbres antérieures puisque Bossuet y annonce sa décision de renoncer à ce genre trop profane pour dorénavant se consacrer exclusivement à la prédication pastorale.



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La réussite de cette magnifique page tient d'abord dans sa somptueuse et savante architecture. Son unité réside dans le fait qu'elle est tout entière une invitation à venir se recueillir devant la dépouille de Condé. Mais, après un première appel très général (« Venez peuples, venez, maintenant »), Bossuet va convoquer successivement trois groupes de personnes de plus en plus restreints, tout d'abord ceux qui représentent ce que Pascal appelle les « grandeurs d'établissement », c'est-à-dire l'aristocratie, les hauts magistrats, et les principaux dignitaires du clergé, ensuite les compagnons d'armes de Condé, enfin ses amis personnels, avant de s'inviter lui-même à s'approcher du catafalque.
 Bossuet s'adressant successivement à une partie de plus en plus réduite de l'assistance, avant de s'adresser au seul Condé, toute la page constitue donc un long decrescendo. Bossuet commence sur un ton très solennel, les phrases sont majestueuses, les sonorités éclatantes. Mais, peu à peu, le ton va devenir de moins en moins pompeux, les éclats de voix vont se faire de plus en plus rares jusqu'à ce que l'oraison se termine quasiment sur le ton de la confidence, Bossuet s'adressant dans une sorte d'aparté à l'ombre de Condé, pour lui faire part de sa décision de renoncer désormais aux fastes de la grande éloquence devant des auditoires prestigieux. La symphonie qui commence sur de puissantes sonneries de trompettes et des roulements de timbales, s'achève sur un solo de violon. Cette péroraison peut faire penser au finale de la symphonie « Les Adieux » de Haydn à la fin duquel les musiciens se retirent un à un, la symphonie s'achevant avec seulement un premier violon et un second violon [2].
Mais ce grand decrescendo va de pair avec un crescendo. Car, en même temps que Bossuet s'adresse à des auditoires de plus en plus restreints et que sa voix se fait donc de moins en moins puissante, qu'il adopte peu à peu un ton un peu moins solennel et un peu plus intime, il va délivrer des leçons de plus en plus précieuses et de plus en plus profondes, du moins à ses yeux. Les qualités de Condé que Bossuet rappelle successivement sont, en effet, des qualités de plus en plus solides, de plus en plus essentielles. Aux grands de ce monde auxquels il s'adresse d'abord, il ne rappelle que sa haute naissance que la magnificence de sa maison et l'immense gloire qu'il s'est acquise par ses victoires. Et c'est pour les inviter à en mesurer toute la vanité, vanité que fait ressortir le caractère dérisoire, en dépit de sa splendeur, de la décoration funèbre. Aux compagnons d'armes de Condé il rappelle, comme il se doit, ses exceptionnelles qualités de soldat et de chef de guerre, qualités qui lui sont propres et ne doivent rien au hasard de la naissance. Et il les invite à l'imiter en associant le service de Dieu à celui du roi. Aux amis personnels de Condé Bossuet rappelle ses qualités de cœur, la bonté, étant plus encore que la courage, la plus haute des qualités humaines. Toutes ces qualités humaines, Bossuet, lui, les écarte, lorsqu'il s'adresse à l'ombre de Condé pour ne retenir que le souvenir et l'exemple de la piété qu'il a montrée à la fin de sa vie et au moment de sa mort et qui constitue, au dernier jour, la seule qualité qui compte vraiment, puisque, sans elle, toutes les autres ne sont rien, elle seule pouvant lui procurer le salut éternel. Et, pour terminer, Bossuet tire une leçon personnelle de la mort de Condé, en décidant de renoncer à prononcer l'éloge funèbre des grands de ce monde et de ne plus prêcher que pour ses ouailles.

« Venez, peuples, venez maintenant ; mais venez plutôt, princes et seigneurs, et vous qui jugez la terre, et vous qui ouvrez aux hommes les portes du ciel, et vous plus que tous les autres, princes et princesses, nobles rejetons de tant de rois, lumières de la France, mais aujourd'hui obscurcies et couvertes de votre douleur comme d'un nuage ». Bossuet lance tout d'abord une convocation générale en invitant l'ensemble des « peuples » à venir se recueillir devant le catafalque de condé. Mais aussitôt il restreint l'invitation aux grands de ce monde. Car outre que ce sont eux qui constituent l'assistance, ou du moins sa quasi totalité, ce sont eux surtout qui sont touchés par sa mort, et ce sont eux enfin qui ont le plus besoin de s'entendre rappeler que la grandeur n'est rien. Bossuet convoque d'abord l'ensemble de la noblesse (« princes et seigneurs »,) puis la magistrature (« et vous qui jugez la terre ») ensuite le clergé et vous qui ouvrez aux hommes les portes du ciel, et enfin la noblesse du sang (« princes et princesses, nobles rejetons de tant de rois »).
Bossuet a su créer une puissante progression. Celle-ci est essentiellement due au volume croissant des quatre convocations successives. La deuxième (« et vous qui jugez la terre ») est un peu plus longue que la première (« princes et seigneurs ») ; la troisième (« et vous qui ouvrez aux hommes les portes du ciel »), est deux fois plus longue que la deuxième ; et la quatrième (« et vous plus que tous les autres, princes et princesses, nobles rejetons de tant de rois, lumières de la France, mais aujourd'hui obscurcies et couvertes de votre douleur comme d'un nuage ») est presque deux fois plus longue que les trois premières réunies. Pour ce faire, Bossuet a recours à des périphrases pour s'adresser à la magistrature (« et vous qui jugez la terre ») et au clergé (« et vous qui ouvrez aux hommes les portes du ciel ») et, pour s'adresser aux princes et aux princesses du sang à une image assurément très convenue (« lumières de la France »), mais qu'il rajeunit en filant la métaphore (« mais aujourd'hui obscurcies et couvertes de votre douleur comme d'un nuage »), ce qui lui permet de donner à la phrase toute l'ampleur voulue.
En même temps qu'elles donnent plus de volume aux deux convocations des membres de la magistrature et du clergé, les deux périphrases leur donnent plus de majesté, en soulignant l'importance de leurs fonctions grâce à ces deux mots de « terre » et de « ciel » que l'orateur ne manque pas de faire sonner, le second, comme il convient, avec plus de force encore que le premier. Le première périphrase est sans doute une réminiscence du psaume II, Quare fremuerunt gentes, verset 10, que Bossuet avait choisi pour être le « texte » de l'Oraison funèbre d'Henriette de France : « Et nunc, reges, intelligite; erudimini qui judicatis terram. Maintenant, ô rois, apprenez; instruisez-vous juges de la terre [3]». Et c'est probablement cette première périphrase qui lui a suggéré la seconde.
« Venez voir le peu qui nous reste d'une si auguste naissance, de tant de grandeur, de tant de gloire ». La seconde partie de la période constitue un contraste saisissant avec la première. Contraste de volume tout d'abord : la première partie est trois fois plus longue que la seconde. Mais c'est l'inversion de la progression qui frappe le plus : alors que la première partie de la période était marquée par un puissant mouvement d'élargissement, nous avons maintenant un effet de rétrécissement : « d'une si auguste naissance (8), de tant de grandeur (5), de tant de gloire (4) ». Ce contraste formel sert à mieux souligner l'opposition que Bossuet veut établir entre l'éclat apparent des grandeurs terrestres et leur essentielle vanité. Il fait ressortir l'absurdité de la démarche à laquelle il se livre en invitant, d'une façon pressante et solennelle, l'assistance à venir voir qu'il n'y a, au fond, rien à voir.
La succession des trois termes (naissance, grandeur et gloire) répond en même temps à une progression logique. La première qualité, la naissance, est la plus extérieure ; elle ne dépend aucunement de nous et tient seulement au hasard. La grandeur, en revanche, peut elle aussi être purement extérieure et accidentelle, mais on peut aussi y accéder par ses mérites. La gloire, elle, est liée à la réussite personnelle. Mais elle est, elle aussi, éphémère et les qualités qui permettent de l'acquérir sont sans valeur, aux yeux de Bossuet, si la piété ne les accompagne.
« Jetez les yeux de toutes parts : voilà tout ce qu'a pu faire la magnificence et la piété pour honorer un héros : des titres, des inscriptions, vaines marques de ce qui n'est plus ; des figures qui semblent pleurer autour d'un tombeau, et des fragiles images d'une douleur que le temps emporte avec tout le reste ; des colonnes qui semblent vouloir porter jusqu'au ciel le magnifique témoignage de notre néant ; et rien enfin ne manque dans tous ces honneurs que celui à qui on les rend ».
Bossuet ne pouvait pas ne pas évoquer l'exceptionnelle magnificence de la pompe funèbre, qui avait été voulue par Louis XIV. Tout en s'abstenant d'entrer dans les détails de la décoration funèbre, ce qui serait non seulement inutile, mais contraire à son propos, puisqu'il veut entend en souligner l'essentielle vanité, Bossuet en énumère les principaux éléments [4]. Mais c'est essentiellement pour relever leur caractère éphémère (« des fragiles images d'une douleur que le temps emporte avec tout le reste ») et profondément dérisoire (« vaines marques). Il invite l'assistance à regarder « de toutes parts » et à constater qu'on a fait tout ce qu'il était possible de faire. Mais c'est pour lui faire constater en même temps l'inévitable échec de tant d'efforts. Les figures « semblent » pleurer ; les colonnes « semblent » vouloir monter jusqu'au ciel, et ne réussissent qu'à témoigner de « notre néant ».
Le rythme suggère, lui aussi, l'ampleur exceptionnelle des efforts accomplis pour honorer la mémoire de Condé et leur vanité. La voix s'élève d'abord un court instant (« des titres, des inscriptions ») grâce à un petit jeu de sonorités (assonance en i), mais c'est pour retomber avec une lassitude désabusée (« vaines marques de ce qui n'est plus »). Et cet effet se retrouve dans l'ensemble de la phrase. Les propositions nominales qui évoquent les différents éléments de la pompe funèbre, sont de plus en plus longues, les deux premières étant à peu prés de la même longueur, tandis que la troisième est sensiblement plus longue et la quatrième deux fois plus. En contraste, le dernier membre de phrase plus court (« et rien enfin ne manque dans tous ces honneurs que celui à qui on les rend ») n'en fait que mieux ressortir, dans sa sécheresse saisissante, la fondamentale inanité des hommages funèbres. Succédant à une série de propositions nominales, la phrase semble être improvisée, comme si elle échappait au prédicateur, comme s'il prenait soudain conscience de la totale absurdité de la situation : on installe à grands frais une décoration, aussi magnifique que monumentale ; on rassemble toute la fleur de la noblesse, du clergé et de la magistrature ; à la demande du roi [5], on fait appel, pour prononcer l'oraison funèbre, à Jacques-Bénigne Bossuet, le maître incontesté du genre. Tout se déroule parfaitement, rien n'a été oublié, tout le monde est là, Jacques-Bénigne Bossuet se surpasse, si faire se peut, mais l'homme en l'honneur de qui on fait tout cela n'en sait rien, ne voit rien, n'entend rien. Ce n'est pas la première fois que Bossuet souligne la vanité dérisoire des honneurs funèbres. Il l'avait fait notamment dès 1652, de façon magnifique, dans le Sermon pour le samedi saint : « Quand je vois ces riches tombeaux sous lesquels les grands de la terre semblent vouloir cacher la honte de leur pourriture, je ne puis assez m'étonner de l'extrême folie des hommes qui érige de si magnifiques trophées à un peu de poussière et à quelques vieux ossements [6]». Mais jamais encore il ne l'avait fait d'une manière à la fois aussi simple et aussi efficace.
« Pleurez donc sur ces faibles restes de la vie humaine, pleurez sur cette triste immortalité que nous donnons aux héros ». La leçon que les grands sont invités à tirer de la cérémonie funèbre, peut sembler purement négative, mais c'est celle dont ils ont le plus besoin, celle dont ils ont d'abord besoin. Bien sûr, même si Bossuet ne s'adressera plus directement à eux, ils pourront tirer profit eux aussi des leçons que le prédicateur invitera ensuite les compagnons d'armes et aux amis personnels à tirer de sa mort, et Bossuet espère bien qu'ils le feront.
« Mais approchez en particulier, ô vous qui courez avec tant d'ardeur dans la carrière de la gloire, âmes guerrières et intrépides ». Le ton sur lequel Bossuet s'adresse maintenant aux compagnons d'armes de Condé, marque un notable changement. Il n'est plus celui de la convocation, mais celui de l'invitation. Bossuet semble vouloir prévenir l'hésitation et la réticence que les compagnons d'armes de Condé peuvent éprouver à se mêler à une assistance aussi mondaine. Et il ne craint pas de leur conférer un droit de préséance (« approchez en particulier »), en les invitant à passer devant la noblesse, devant les hauts dignitaires de la magistrature et du clergé, devant les princes et les princesses du sang, pour venir plus près du catafalque. Ils ont, en effet, mieux connu Condé. Ils n'ont pas connu seulement un grand seigneur, mais un exceptionnel chef de guerre et un héros. Seuls ceux qui ont pris part aux mêmes combats et affronté avec vaillance les mêmes dangers que Condé peuvent mesurer pleinement ses extraordinaires qualités de stratège, de meneur d'hommes et de guerrier. Pour évoquer les vertus guerrières, Bossuet fait appel à des sonorités aiguês, éclatantes et claironnantes, il fait donner les trompettes, les tambours et les fifres, grâce à un jeu d'assonances (é, è, i, oi) [7] et d'allitérations (g dur, k, r) [8].
« Quel autre fut plus digne de vous commander ? mais dans quel autre avez-vous trouvé le commandement plus honnête ? Pleurez donc ce grand capitaine et dites en gémissant : Voilà celui qui nous menait dans les hasards ; sous lui se sont formés tant de renommés capitaines, que ses exemples ont élevés aux premiers honneurs de la guerre ; son ombre eût pu encore gagner des batailles ». Les compagnons d'armes de Condé sont évidemment invités à se rappeler d'abord ses exceptionnelles qualités de chef de guerre (« Quel autre fut plus digne de vous commander ? »). Et ils sont invités à se rappeler aussi, et peut-être plus encore (« mais » a, bien sûr, ici, non un sens adversatif, mais son sens étymologique : « de plus »), que, s'il savait commander, il savait toujours le faire avec une grande humanité, voire avec urbanité (« mais dans quel autre avez-vous trouvé le commandement plus honnête ? »). Comme dans le mouvement précédent, les compagnons d'armes de Condé sont invités à « pleurer »: comme les grands étaient invités à pleurer sur le caractère éphémère des dignités et des honneurs dont Condé avait été comblé jusque dans la mort, ses compagnons d'armes sont invités à pleurer sur ses qualités de chef de guerre, qualités que Bossuet avait longuement célébrées dans le premier point, et dont, pour cette ultime évocation, il met l'éloge dans la bouche de ceux qui sont le mieux placés pour en juger. Ce qu'il retient, dans ce dernier hommage rendu à l'homme de guerre, ce sont ses qualités d'entraîneur d'hommes, c'est son exceptionnelle aptitude à communiquer son ardeur guerrière qu'il traduit dans une formule saisissante : « son ombre eût pu encore gagner des batailles ».
« Et voilà que dans son silence son nom même nous anime, et ensemble il nous avertit que pour trouver à la mort quelque reste de nos travaux et n'arriver pas sans ressource à notre éternelle demeure, avec le roi de la terre, il faut encore servir le roi du ciel ». Bossuet n'a certainement pas manqué de marquer une pause après avoir dit que l'ombre de Condé « eût pu encore gagner des batailles ». Mais cette formule ne constitue pas, comme on pourrait s'y attendre, le terme et le couronnement de ce deuxième mouvement. Elle ne sert pas de conclusion, mais, au contraire, de transition. Le début de la phrase suivante (« et voilà que dans son silence son nom même nous anime »), constitue comme un écho de la phrase précédente. Si le prestige et l'ascendant, le magnétisme de Condé étaient si grands qu'on se dit que « son ombre eût pu encore gagner des batailles », ils font aussi que, dans le silence de la mort, son seul [9] nom constitue encore le plus puissant des stimulants. Alors que les grands n'étaient invités qu'à pleurer sur le néant des grandeurs terrestres, les compagnons d'armes de Condé sont invités aussi et surtout à imiter sa piété, comme ils s'étaient efforcés d'imiter sa bravoure et ses vertus guerrières. Eux qui ont consacré leur vie au service du roi, sont invités, comme Condé l'a fait à la fin de sa vie, à couronner leur carrière embrassant le service de Dieu. Après avoir subi la contagion de son ardeur guerrière, ils sont invités à subir celle de sa dévotion.
Mais Bossuet est un orateur et il a su exprimer toute la force de l'appel qu'il prête à Condé en une phrase magnifique, qui débute en sourdine, et, par un puissant crescendo, s'achève sur dans le tonnerre du grand orgue. Bossuet commence dans le registre grave avec un jeu de nasales et de sifflantes (« dans son silence son nom»), et peu à peu, les sonorités devient plus aiguês (« anime… avertit »), pour faire ensuite appel des sonorités claironnantes grâce surtout au jeu des vibrantes (« que pour trouver à la mort quelque reste de nos travaux et n'arriver pas sans ressource à notre éternelle demeure ») et s'achever sur des sonorités véritablement triomphales grâce à la fois à une jeu de voyelles aiguês et éclatantes et à une puissante allitération de vibrantes (« avec le roi de la terre, il faut encore servir le roi du ciel»).
« Servez donc ce roi immortel et si plein de miséricorde qui vous comptera un soupir et un verre d'eau donné en son nom plus que tous les autres ne feront jamais tout votre sang répandu ». Bossuet reprend maintenant en son nom l'appel qu'il vient de prêter à Condé, en allant un peu plus loin. Il vient de faire dire à l'ombre de Condé que les hommes de guerre devaient servir le roi du ciel en même temps que le roi de la terre. Il leur dit maintenant que le service du premier importe encore bien davantage que celui de second dans la mesure où il rapporte infiniment plus. Et il le fait à l'aide d'une image saisissante, celle du verre d'eau, empruntée à la Bible [10], qu'il oppose au sang. L'opposition est à la fois qualitative, puisque Bossuet oppose au liquide le plus courant et le moins précieux, l'eau, à celui qui, pour chaque homme est le plus précieux, son propre sang, et quantitative, puisqu'il oppose un seul « verre » du premier à la totalité du second (« tout votre sang »). L'opposition est, de plus, soulignée, par la reprise du même latinisme, l'usage du nom suivi d'un participe (« verre d'eau donné… sang répandu ») alors que le français utilise plus volontiers le nom suivi d'un complément de nom et du complément de nom (don d'un verre ; effusion du sang).
Mais Bossuet n'oublie pas de préciser que, si le roi du ciel paie le don d'un simple verre d'eau beaucoup plus que les autres rois ne paient celui de tout le sang, c'est à la condition expresse qu'il soit « donné en son nom ». Il n'a aucune valeur, aux yeux de Dieu, si, à l'instar de Dom Juan, on le donne « au nom de l'humanité ». Comme le dit Jacques Truchet, pour Bossuet « celui qui ne donne qu'en vertu d'une compassion naturelle peut bien apporter un soulagement à la misère, il ne pratique pas la charité chrétienne ; son acte n'a pas de valeur en vue du salut [11]».
Bossuet poursuit en renchérissant encore sur ce qu'il vient de dire : « et commencez à compter le temps de vos utiles services du jour où vous vous serez donnés à un maître si bienfaisant ». Il vient de dire que Dieu payait beaucoup mieux que les autres maîtres : il dit maintenant que lui seul paie vraiment. Seul, le service de Dieu est directement utile ; celui des autres maîtres est, lui, totalement inutile, s'il n'est associé, s'il n'est subordonné à celui de Dieu.
« Et vous, ne viendrez-vous pas à ce triste monument, vous, dis-je, qu'il a bien voulu mettre au rang de ses amis ? Tous ensemble, en quelque degré de sa confiance qu'il vous ait reçus, environnez ce tombeau ; versez des larmes avec des prières ; et, admirant dans un si grand prince une amitié si commode et un commerce si doux, conservez le souvenir d'un héros dont la bonté avait égalé le courage ». Si le deuxième appel avait déjà marqué un changement de ton par apport au premier, c'est encore plus net avec ce troisième appel. Le premier appel était une convocation, le deuxième, une invitation. Cette fois-ci, Bossuet renonce à l'impératif et à recours à l'interrogation négative (« ne viendrez-vous pas ? »). Avec les amis de Condé, Bossuet se montre plus prévenant encore qu'il ne l'était avec ses compagnons d'armes ; il ne veut pas avoir l'air de leur donner un ordre ni même de vouloir peser sur leur décision. Il se met à leur place et devine qu'ils éprouvent sans doute un peu d'hésitation et de gêne à se mêler à la foule des courtisans dont la douleur n'est peut-être pas toujours aussi sincère que la leur. Mais il doute si peu de leur venue qu'il les engage à s'avancer plus près encore du tombeau que les compagnons d'armes de Condé puisqu'il les invite à l' « environner ».
Bossuet invite alors les amis de Condé à pleurer, bien sûr, mais, en même temps, à prier en ayant recours à un zeugma (« versez des larmes avec des prières »). L'expression banale « verser des larmes » fait naître l'image audacieuse des prières que l'on verse, comme des larmes. Ils sont invités ensuite à se souvenir des vertus de Condé, de son courage, bien sûr, que tout le monde connaît, mais aussi et surtout de sa bonté qu'ils ont connue plus particulièrement. 
Mais les amis de Condé ne sont pas seulement invités à se souvenir de ses vertus : ils sont aussi et surtout invités à les imiter : « Ainsi puisse-t-il vous être toujours un cher entretien ! Ainsi puissiez-vous profiter de ses vertus ! et que sa mort, que vous déplorez, vous serve à la fois de consolation et d'exemple ! » Mais plus encore que le courage, plus encore que la bonté sans laquelle le courage n'est rien [12], c'est essentiellement la piété de Condé, piété qu'il a particulièrement manifestée au moment de mourir, que ses amis sont invités à imiter, car sans elles toutes les autres vertus restent sans valeur. Bossuet a volontairement recours à une formule paradoxale : « que sa mort, que vous déplorez, vous serve […] de consolation ». Car comment une chose que l'on déplore peut-elle servir de consolation ? Mais il est aisé de comprendre ce qu'il veut dire. Le mot « mort » a ici deux sens différents : il désigne à la fois le fait que Condé est mort, sa disparition, et, en ce sens, ses amis ne peuvent que la déplorer, et la façon dont il est mort, c'est-à-dire très chrétiennement, dans de pieuses dispositions et muni des sacrements de l'église, et cette mort là, dans la mesure où elle laisse présager qu'il est maintenant appelé à jouir de la félicité céleste, doit les consoler de sa disparition.
« Pour moi, s'il m'est permis après tous les autres de venir rendre les derniers devoirs à ce tombeau, ô Prince, le digne sujet de nos louanges et de nos regrets, vous vivrez éternellement dans ma mémoire : votre image y sera tracée, non point avec cette audace qui promettait la victoire ; non, je ne veux rien voir en vous de ce que la mort y efface. Vous aurez dans cette image des traits immortels : je vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier jour sous la main de Dieu, lorsque sa gloire sembla commencer à vous apparaître ». Dans ce dernier mouvement, Bossuet, qui s'est adressé à des groupes de personnes de plus en plus restreints, ne s'adresse plus maintenant qu'à une seule personne, Condé lui-même. Le ton se fait donc encore plus intime. La même hésitation à s'approcher du tombeau que Bossuet avait cru deviner chez les compagnons d'armes de Condé et plus encore chez ses amis, il semble l'éprouver, lui aussi. S'il se croit pourtant autorisé à le faire, c'est seulement « après tous les autres ». Mais, en même temps, il est censé, en quelque sorte, s'approcher encore plus près du tombeau de Condé que ses compagnons d'armes, plus près même que ses amis, puisqu'il vient lui parler en tête à tête.
Si c'est « après tous les autres » que Bossuet s'approche du catafalque, ce n'est pas seulement par discrétion et par modestie, c'est en même temps et surtout parce c'est à lui, plus qu'à tous les autres, que revient le privilège de célébrer la seule véritable grandeur de Condé aux yeux d'un chrétien, non pas celle qui s'est manifestée à la cour ou sur les champs de bataille, mais celle dont ont témoigné ses pieuses dispositions la fin de sa vie et sur son lit de mort. Cette dernière image de Condé est la seule dont Bossuet veut se souvenir. Il veut écarter l'image du Condé glorieux, du Condé victorieux pour ne garder que celle du Condé vaincu, mais vaincu par Dieu (« sous la main de Dieu »). Il veut oublier le Condé couvert de gloire pour ne se rappeler que le Condé découvrant la gloire de Dieu. Il veut oublier toutes les qualités humaines de Condé, la grandeur de son nom, la vigueur de son esprit sa bravoure légendaire, son génie de stratège et même son humanité et sa bonté, pour ne se souvenir que se sa piété, parce qu'elle seule peut tromper de la mort.
« C'est là que je vous verrai plus triomphant qu'à Fribourg ou à Rocroi ; et, ravi d'un si beau triomphe, je dirai en actions de grâces ces belles paroles du bien-aimé disciple : "Et hæc est victoria quæ vincit mundum, fides nostra : La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c'est notre foi". Jouissez, Prince, de cette victoire, jouissez-en, éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice ». Pour célébrer cette dernière victoire de Condé, qui constitue en réalité sa seule « véritable victoire », Bossuet a, une dernière fois, recours à des sonorités triomphales, grâce au jeux de consonnes vibrantes et de voyelles aiguês ou éclatantes [13], même si l'orateur, qui maintenant est censé ne s'adresser qu'à la seule ombre de Condé, ne peut évidemment plus donner toute la puissance de sa voix. Il cite saint Jean [14] et, comme c'est souvent le cas lorsqu'il cite l'écriture sainte, il en donne ensuite une transcription plus énergique. En traduisant « hæc est victoria […] fides nostra» (« la voici la victoire […] notre foi»), par la « véritable victoire […] c'est notre foi », il va plus loin que saint Jean en suggérant que, comme il l'a dit plus haut, les autres victoires ne sont rien sans celle-ci, ne sont rien à côté de celle-ci. Il rend de même « quæ vincit mundum», par une formule (« qui met sous nos pieds le monde entier ») qui donne plus de force à sa traduction et plus de volume à la phrase.
On peut s'étonner de cette phrase : « Jouissez, Prince, de cette victoire, jouissez-en, éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice ». Car elle semble impliquer que Bossuet ne doute pas un seul instant du destin éternel de Condé, à savoir qu'il a fait son salut. Or la doctrine chrétienne enseigne que l'on ne peut jamais être assuré de son salut [15]. Bossuet le savait mieux que personne. Mais le discours funèbre incite à ce genre de pieux mensonge [16] et c'est sans doute une des raisons pour lesquelles Bossuet a décidé d'y renoncer
« Agréez ces derniers efforts d'une voix qui vous fut connue. Vous mettrez fin à tous ces discours. Au lieu de déplorer la mort des autres, Grand Prince, dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte : heureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie, les restes d'une voix qui tombe, et d'une ardeur qui s'éteint. ». La fin de l'Oraison funèbre de Condé ne ressemble assurément à aucune autre. Au lieu de s'achever sur une dernière évocation du défunt ou une dernière célébration de la gloire de Dieu, l'Oraison funèbre de Condé nous laisse sur l'image du prédicateur dont les cheveux blanchissent et dont les forces déclinent et sur l'annonce qu'il ne prononcera plus d'oraisons funèbres. Il est pour le moins inhabituel qu'un prédicateur termine une oraison funèbre en nous parlant, non du défunt ni de Dieu, mais de lui-même. Cela pourrait paraître très incongru et tout à fait déplacé. Mais Bossuet a su faire en sorte qu'il n'en fût rien et que cette annonce personnelle apparût, au contraire, comme l'hommage le plus émouvant qu'il pouvait rendre au défunt en même temps que comme l'aboutissement non seulement de la péroraison, mais de toute l'oraison funèbre.
Bossuet commence par rappeler avec discrétion les relations personnelles qu'il a eues avec Condé : « Agréez ces derniers efforts d'une voix qui vous fut connue ». En employant le mot « efforts », Bossuet suggère qu'il a fait de son mieux pour célébrer dignement la mémoire de Condé, mais qu'il n'est pas sûr d'avoir été à la hauteur de sa tâche. C'est, bien sûr, de la fausse modestie, car il est certainement conscient d'avoir écrit un de ses plus grands chefs-d'œuvre. Quand Bossuet dit que ces « efforts » seront les « derniers », on est d'abord porté à croire que c'est seulement parce qu'il s'adresse à Condé pour la dernière fois. C'est la phrase suivante qui donne à l'adjectif tout son sens : « Vous mettrez fin à tous ces discours ». L'annonce est volontairement lapidaire et formulée en des termes dépréciatifs : l'expression « mettre fin à » s'emploie le plus souvent lorsqu'il s'agit de faire cesser quelque chose qui n'a que trop duré, l'adjectif « tous » va dans le même sens, le démonstratif « ces » est dédaigneux et le mot « discours » suggère volontiers la prolixité et évoque l'éloquence profane plutôt que celle de la chaire [17].
Bossuet a toujours considéré que l'oraison funèbre devait être d'abord et surtout un sermon sur la mort. C'est ce qu'il dit avec force au commencement de la première de ses oraisons funèbres, celle d'Yolande de Monterby [18]. Mais, s'il est relativement aisé de rester dans le cadre d'un sermon lorsque l'on prononce l'oraison funèbre de personnages, comme Yolande de Monterby, le père Bourgoing ou Nicolas Cornet, qui ont consacré leur vie à la religion, cela devient beaucoup plus malaisé lorsque l'on l'éloge des grands de ce monde. Il est alors bien difficile, pour ne pas dire impossible, d'éviter les « plaintes étudiées » (quelle plainte fut jamais plus « étudiée » que celle que Bossuet nous a offerte avec le premier récit de la mort de Madame !) et les « vains éloges des morts » qui flattent « l'ambition des vivants ». Quand il s'agit d'un très haut personnage, on est inévitablement amené à exagérer non seulement les mérites du défunt, mais la grandeur de sa famille et quand, de surcroît, il s'agit d'un membre de la famille royale, c'est aussi l'occasion de passer de la pommade sur la personne royale ce que Bossuet a toujours fait avec beaucoup de libéralité.
 L'oraison funèbre d'un grand personnage est aussi, bien sûr, une puissante incitation à déployer toutes les ressources de la plus haute éloquence et c'est une tentation à laquelle Bossuet est moins que personne capable de résister. Lui qui, dans le Panégyrique de saint Paul, ne peut s'empêcher d'écrire des pages magnifiques, aux cadences soigneusement calculées et qui font appel à tous les sortilèges de la plus somptueuse éloquence, pour célébrer la simplicité de la parole paulinienne et affirmer qu'à l'instar de l'apôtre, le prédicateur doit dédaigner « tous les artifices de la rhétorique » [19], comment pourrait-il ne pas libre cours à son génie oratoire, lorsqu'il s'agit d'honorer devant toute la cour la mémoire des plus hauts personnages ?
Pour un prédicateur, l'oraison funèbre d'un grand de ce monde est donc un genre impur qu'il ne peut pratiquer qu'au prix de quelques compromissions. C'est un événement mondain et littéraire autant et plus qu'un moment de la vie religieuse et un homme d'église ne peut y participer sans éprouver un certain malaise et en conserver quelque remords. Et, de toutes les oraisons funèbres que Bossuet a prononcées, celle de Condé est peut-être celle qui lui le plus donné l'impression de s'être trop éloigné de sa vocation pastorale, si elle n'avait été aussi celle qui l'a amené à prendre la décision de renoncer désormais à l'éloquence mondaine.
« Au lieu de déplorer la mort des autres, Grand Prince, dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte : heureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie, les restes d'une voix qui tombe, et d'une ardeur qui s'éteint. » Après avoir invité les grands, les compagnons d'armes de Condé et ses amis à tirer des leçons de sa mort, c'est Bossuet lui-même qui souhaite s'en inspirer lui aussi. Lui qui vient, comme il l'a fait si souvent dans ses sermons et ses oraison funèbres, d'exhorter son auditoire à penser à la mort et à se préparer à l'affronter dans les meilleures dispositions possibles, décide de mettre lui-même mieux en pratique ses instructions. Lui qui, dans le Sermon sur la mort, nous invite à ne pas négliger tous les signaux que la nature ne cesse de nous envoyer pour nous rappeler quelle est notre destinée finale [20], se dit qu'il lui faut tenir compte de l'avertissement que sont pour lui les cheveux blancs qui couvrent son chef.
Mais il ne se contente pas de prendre des bonnes résolutions, il commence à les mettre aussitôt en pratique en décidant de renoncer désormais à l'éloquence trop mondaine des grandes oraisons funèbres et de mettre ses forces déclinantes au seul service de son « troupeau » qu'il a trop souvent négligé [21]. Ce troupeau, il doit le « nourrir», et pour ce faire, lui offrir non des « discours », mais « la parole de vie ». Alors que les « discours » sont volontiers prolixes, apprêtés, redondants, la « parole » est simple, directe, sans artifices : elle va droit à l'essentiel. « Il ne faut chercher dans les chaires que la vérité éternelle » dit Bossuet dans le Sermon sur la parole de Dieu [22], qui fait quasiment de la prédication un huitième sacrement en la comparant tout au long à l'Eucharistie [23].
Cette dernière phrase de l'Oraison funèbre de Condé est particulièrement célèbre et très justement. Bossuet a su jusqu'à la fin nous fa ire entendre toute la beauté de l'instrument dont il a décidé de ne plus jouer qu'avec retenue et devant des assistances restreintes. Cette dernier phrase, bien que volontairement simple, n'en garde, en effet, pas moins une allure périodique et un caractère oratoire. Sans être vraiment longue, elle n'en a pas moins une structure relativement complexe et s'achève sur un dernier balancement rhétorique (« d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint »). Si ce n'est plus le moment pour Bossuet de faire donner les grandes orgues et aux trompettes, il n'en fait pas moins une dernière fois un discret appel aux contrastes de sonorités dont il sait si bien jouer, en terminant, après un petit jeu voyelles aiguês et de vibrantes (« nourrir de la parole de vie ») sur des sonorités volontairement assourdies (« tombe… s'éteint »).
Les derniers mots de l'Oraison funèbre de Condé (« les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint ») sont, sans doute, avec la célèbre exclamation « Madame se meurt, Madame est morte » de l'Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre les plus fameux des l'aigle de Meaux. Si Bossuet évoque d'abord sa « voix qui tombe » et non son « ardeur qui s'éteint », c'est parce que l'affaiblissement de la voix, si fâcheux qu'il soit pour le prédicateur qu'il est, n'est qu'une des manifestations d'un affaiblissement général, d'une diminution de la vitalité. On peut s'étonner qu'il emploie le pluriel (« les restes ») alors qu'on attendrait plutôt le singulier (« le reste »). Mais le pluriel a un caractère plus concret et rend le mot plus expressif. Sans parler du fait qu'on l'emploie souvent, et Bossuet tout le premier, pour évoquer les morts, il suggère plus de choses que ne le ferait le singulier. « Le reste d'une voix » aurait évoqué seulement une voix plus faible, moins audible, tandis que le pluriel évoque une voix non seulement affaiblie, mais entrecoupée, une voix qui n'est plus capable de se faire entendre que par à coups. De même, « le reste d'un ardeur » évoquerait seulement une ardeur diminuée, tandis que le pluriel suggère en même temps une ardeur intermittente, une ardeur qui est non seulement diminuée, mais qui, par moments, semble avoir totalement disparu. Bossuet ne dit pas, non plus, que sa voix baisse, qu'elle faiblit : il dit qu'elle « tombe » ce qui est beaucoup plus expressif. De même, il ne dit pas que son ardeur diminue : il dit qu'elle « s'éteint », redonnant ainsi au mot « ardeur » sa force étymologique. Le vaste decrescendo que constitue cette magnifique péroraison ne pouvait mieux finir que sur ce mot.



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Une fois de plus, si l'Oraison funèbre de Condé mérite encore de retenir notre attention et suscite toujours notre admiration, ce n'est aucunement à cause des leçons que le prédicateur entend nous y donner. Il veut nous convaincre que Dieu seul « fait les conquérants, que seul il les fait servir à ses desseins ». Mais il est permis de ne pas partager cette vision providentialiste de l'histoire. Il veut surtout nous convaincre que toutes les plus belles qualités ne sont rien sans la piété et nous inciter à imiter celle de Condé dans les derniers jours de sa vie. Mais il est permis de penser que, loin d'être une « victoire », la piété est une démission, une défaite, une capitulation et qu'il y a d'autres choses à admirer et à imiter dans l'histoire de l'humanité que la piété qu'un grand seigneur, imbu des préjugés de sa caste, a manifestée in extremis dans l'espoir de retrouver dans l'autre monde une partie au moins des privilèges exorbitants dont il avait joui dans celui-ci.
Bossuet a donc totalement manqué le but qu'il s'était fixé. Si l'Oraison funèbre de Condé a survécu, c'est seulement pour des raisons toutes littéraires et profanes, pour le souffle épique qui anime les récits de bataille, pour l'admirable architecture de la péroraison, pour la belle phrase finale par laquelle Bossuet dit adieu aux belles phrases et qui n'aurait peut-être pas été si belle ni si émouvante, s'il n'avait senti inconsciemment qu'il disait adieu au meilleur de lui-même, s'il n'avait sans doute su, sans vouloir se l'avouer, que seule la beauté de ses phrases pouvait le faire passer à la postérité.


 

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NOTES :

[1] Certes ! Condé, né le 8 septembre 1621, n'avait pas encore soixante six ans, mais, au XVIIe siècle, on était considéré, sinon comme un vieillard, du moins comme un homme vraiment âgé passé soixante ans.

[2] Cette symphonie ne comporte ni trompettes ni timbales. En dehors des cordes, elle ne fait appel qu'à deux hautbois et à deux cors.

[3] Op. cit., tome V, p. 515.

[4] Madame de Sévigné décrit cette décoration dans une lettre à Bussy-Rabutin du 10 mars 1687 : « Voici encore de la mort et de la tristesse, mon cher cousin. Mais le moyen de ne vous pas parler de la plus belle, de la plus magnifique et de la plus triomphante pompe funèbre qui ait jamais été faite depuis qu'il y a des mortels ? C'est celle de feu Monsieur le Prince qu'on a fait aujourd'hui, à Notre-Dame. Tous les beaux esprits se sont épuisés à faire valoir tout ce qu'a fait ce grand prince, et tous ce qu'il a été. Ses pères sont représentés par des médailles jusqu'a saint Louis, toutes ses victoires par des basses-tailles, couvertes comme sous des tentes dont les coins sont ouverts et portés par des squelettes dont les attitudes sont admirables. Le mausolée, jusque près de la voûte, est couvert d'un dais en manière de pavillon encore plus haut, dont les quatre coins retombent en guise de tentes. Toute la place du chœur est ornée de ces basses-tailles, et de devises au-dessous, qui parlent de tous les temps de sa vie. Celui de sa liaison avec les Espagnols est exprimé par une nuit obscure, où trois mots de latin disent : Ce qui est fait loin du soleil doit être caché. Tout est semé de fleurs de lis d'une couleur sombre, et au-dessous une petite lampe qui fait dix mille étoiles […] Tout le monde a été voir cette pompeuse décoration. Elle coûte cent mille francs à Monsieur le Prince, mais cette dépense lui fait bien de l'honneur. C'est Monsieur de Meaux qui a fait l'oraison funèbre ; nous la verrons imprimée »(Correspondance, bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1978, tome III, pp. 283-284). Madame de Sévigné, qui n'a pas assisté à la cérémonie, n'a donc pas entendu Bossuet. Mais elle en a entendu parler par un prélat : « Je viens de voir un prélat quoi était à l'oraison funèbre. Il nous a dit que Monsieur de Meaux s'était surpassé lui-même, et que jamais on n'a fait valoir ni mis en œuvre si noblement une si belle matière » (ibid., p. 284). Voici ce qu'elle en dira à Bussy-Rabutin dans sa lettre du 27 avril 1687 lorsqu'elle l'aura lue : « Elle est fort belle et de la main de maître. Le parallèle de Monsieur le Prince et de M. de Turenne est un peu violent, mais il s'en excuse en niant que ce soit un parallèle et en disant que c'est un grand spectacle qu'il présente de deux grands hommes que Dieu a donné au Roi, et tire de là une occasion fort naturelle de louer Sa Majesté, qui sait se passer de ces deux grands capitaines, tant est fort son génie, tans ses destinées sont glorieuses. Je gâte encore cet endroit, mais il est beau » (ibid., p. 293). On le voit, ce qu'elle semble avoir le plus apprécié dans l'oraison funèbre, c'est la pommade passée à Louis XIV. C'est consternant, mais ce n'est guère étonnant de sa part.

[5] C'est Bossuet lui-même qui nous l'apprend dans l'exorde : « Louis le Grand […] veut que ma faible voix anime toutes ces tristes représentations et tout cet appareil funèbre » (op.cit., p. 424).

[6] Op. cit., tome I, pp. 103-104.

[7] « ô vous qui courez avec tant d'ardeur dans la carrière de la gloire, âmes guerrières et intrépides ».

[8] « ô vous qui courez avec tant d'ardeur dans la carrre de la gloire, âmes guerrières et intrépides ».

[9] « Même » a ici le sens du latin ipse ; il signifie : « par lui-même, à lui seul ».

[10] Cf. Saint Mathieu X, 42 :« Et quicumque potum dederit uni ex minimis istis calicem aquæ frigidæ tantum in nomine discipuli, amen dico vobis, non perdet, mercedem suam». Bossuet avait déjà utilisé ce texte dans le Panégyrique de saint François d'Assise : « Jésus mettra en ligne de compte jusqu'au moindre présent que vous lui ferez avec un cœur plein de charité : un verre d'eau même, offert dans cet esprit, peut vous mériter la vie éternelle » (op cit., tome I, p. 215).

[11] La prédication de Bossuet. étude des Thèmes, éditions du Cerf, 1960, tome I, p. 302 Voir le Sermon sur l'éminente dignité des pauvres dans l église, op cit., tome III, p. 135 : « Tel assiste le pauvre, qui n'est pas intelligent sur le pauvre. Celui qui leur distribue quelque aumône, ou contraint par leurs pressantes importunités, ou touché par quelque compassion naturelle du pauvre, il soulage la misère du pauvre, mais néanmoins il est véritable qu'il n'est pas intelligent sur le pauvre ». Voir aussi Pensées chrétiennes et morales, XVIII, « De l'Aumône », op cit., tome VI, p. 675 : « Touchant l'aumône il semble qu'il y a trois vices principaux […] le second, de ceux qui ne la font point dans l'esprit de Jésus-Christ et par le principe de la foi, mais par quelque pitié naturelle ».

[12] « Loin de nous les héros sans humanité »

[13] Notons seulement l'allitération en r de la première phrase (« je vous verrai plus triomphant qu'à Fribourg ou à Rocroi ») et la très riche assonance de voyelles aiguês, claires ou éclatantes dans la dernière phrase (« Jouissez, Prince, de cette victoire, jouissez-en, éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice »). Notons également que les mots des fins de phrases ont tous des sonorités éclatantes ou aiguês (« Rocroi disciple, victoire, foi, sacrifice »). Si Bossuet évoque « les belles paroles du bien aimé disciple », et non les « belles paroles du disciple bien-aimé, » c'est parce que le mot « disciple » sonne mieux en fin de phrase que « bien aimé », grâce aux voyelles aiguês et à la vibrante l qui fait écho à celles de l'expression « belles paroles ». C'est bien son instinct d'orateur qui pousse Bossuet à terminer sa phrase sur le mot « disciple », car on se serait plutôt attendu à ce qu'il mît en valeur l'adjectif « bien-aimé », régulièrement associé à « disciple » pour parler de saint Jean.

[14] Première épître, V, 4. Bossuet avait déjà utilisé cette citation dans le Panégyrique de saint Gorgon dont elle constituait le « texte »(op cit., tome I, p. 576). Mais appliquée au vainqueur de Rocroi, elle prend une tout autre résonance.

[15] Rappelons ce que dit le concile de Trente :« Nemo quoque, quamdiu in hac mortalitate vivitur, de arcano divinæ prædestinationis mysterio usque adeo praesumere debet, ut certo statuat se omnino esse in numero prædestinorum 38  ». (Sessio VI, 13 Jan. 1547 : Decretum de justificatione, Cap. 12, « Praedestinationis temerariam praesumptionem cavendam esse». Voir Denzinger-Schinmetzer, Enchiridion symbolorum. definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, Editio XXXIV, pp. 364-475).

[16] Voir aussi l'Oraison funèbre d'Yolande de Monterby : « "Ubi est mors, victoria tua ? Ô mort, où est ta victoire ? « Ta main avare n'a rien enlevé à cette vertueuse abbesse, parce que ton domaine n'est que sur le temps, et que la sage dame dont nous parlons, désirant conserver le sien, l'a fait heureusement passer dans l'éternité » (op cit., tome II, p. 271) ; l'Oraison funèbre du père Bourgoing : « et voilà qu'étant arrivé en la bienheureuse terre des vivants, il voit et il goûte en la source même combien le Seigneur est doux ; et il chante, et il triomphe avec ses saints anges, pénétrant Dieu, pénétré de Dieu admirant la magnificence de sa maison, et s'enivrant du du torrent de ses délices » (tome IV, p. 421) ; et l'Oraison funèbre de Nicolas Cornet : « Et vous grandes mânes, je vous appelle, sortez de ce tombeau. Je crois que vous êtes dans la gloire ; mais si vous n'êtes pas encore dans le sanctuaire, vous y serez bientôt ». On le voit, Bossuet se montre plus prudent. Il n'affirme pas que Nicolas Cornet est déjà auprès de Dieu. Mais, s'il est encore au purgatoire, il en sortira bientôt, nous dit-il. Et, de toute façon, si longtemps qu'on y reste, on finit toujours par en sortir. Bossuet se dit donc sûr du salut de Nicolas Cornet. (ibid, p. 490).

[17] Dans un passage des Mémoires d'Outre-tombe Chateaubriand imagine qu'un jour les derniers mots de français prononcés sur la terre le seront par un corbeau à qui un vieux curé aura appris la phrase : « Agréez ces accents d'une voix qui vous fut connue. Vous mettrez fin à tous ces discours ». Comme on le voit, Chateaubriand cite de mémoire, puisqu'il remplace « efforts » par « accents » et laisse tomber l'adjectif. J'ai commenté ce très beau texte dans mes études littéraires (« Le vieux Corbeau et l'Aigle de Meaux », Eurédit, 2009, pp. 105-115)

[18] « Quand l'église ouvre la bouche des prédicateurs dans les funérailles de ses enfants, ce n'est pas pour accroître la pompe du deuil par des plaintes étudiées, ni pour satisfaire l'ambition des vivants par de vains éloges des morts. La première de ces deux choses est trop indigne de sa fermeté, et l'autre trop contraire à sa modestie. Elle se propose un objet plus noble dans la solennité des discours funèbres : elle ordonne que ses ministres, dans les derniers devoirs que l'on rend aux morts, fassent contempler à leurs auditeurs la commune condition de tous les mortels, afin que la pensée de la mort leur donne un saint dégoût de la vie présente, et que la vanité humaine rougisse en regardant le terme fatal que la providence divine a donné à ses espérances trompeuses » (op cit, tome II, p. 266).

[19] Voir mon article « Une éloquence qu'on croirait divine » (études littéraires, pp. 69-80).

[20] « Tout nous appelle à la mort : la nature, presque envieuse du bien qu'elle nous a fait, nous déclare souvent et nous fait signifier qu'elle ne peut pas nous laisser longtemps ce peu de matière qu'elle nous prête, qui ne doit pas demeurer entre les mêmes mains, et qui doit être éternellement dans le commerce : elle en a besoin pour d'autres formes, elle la redemande pour d'autres ouvrages » (op. cit., tome IV, p. 269).

[21] Rappelons seulement que, lorsqu'il était évêque de Condom, il ne s'y est jamais rendu, même pas pour sa consécration qui s'est faite à Pontoise. Peut-être y serait allé un jour s'il n'avait pas démissionné un an plus tard pour mieux se consacrer à sa fonction de précepteur du Dauphin. Mais on peut être sûr qu'il aurait été plus souvent à Paris et à Versailles qu'à Condom.

[22] Op. cit., tome III, p. 622.

[23] Citons seulement ce passage : « Les prédicateurs de l'évangile ne montent pas dans les chaires pour y faire de vains discours qu'il faille entendre pour se divertir. À Dieu ne plaise que nous le croyions ! Ils y montent dans le même esprit qu'ils montent à l'autel ; ils y montent pour y célébrer un mystère, et un mystère semblable à celui de l'Eucharistie. Car le corps de Jésus-Christ n'est pas plus réellement dans le sacrement que la vérité de Jésus-Christ est dans la prédication évangélique. Dans le mystère de l'Eucharistie, les espèces que vous voyez sont des signes, mais ce qui est enfermé dedans, c'est le corps même de Jésus-Christ. Et dans les discours sacrés, les paroles que vous entendez sont des signes, mais la pensée qui les produit et celle qu'elle vous portent, c'est la vérité même du Fils de Dieu » (ibid., p. 625).

 

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