Assez décodé !
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…………………………Avant-propos



Ce livre réunit quatre articles relativement récents, dont seul le premier a été publié, dans une version au demeurant très abrégée. Ils ont en commun d'avoir été dictés par la colère. Certes ! la colère avait déjà bien souvent inspiré mes articles ou mes livres, mais sans doute jamais à un degré aussi fort. Jusque-là, en effet, les élucubrations que j'avais dénoncées étaient relativement, voire totalement inoffensives. C'était le cas notamment des sornettes de Pierre Caminade, de Philippe Lejeune, de Jacques-Henri Périvier, de Michel Picard, de Josette Rey-Debove, d'Anne Ubersfeld, ou de Georges Zayed auxquelles j'avais fait un sort dans Assez décodé !. Elles étaient trop loufoques pour être vraiment contagieuses, et, d'ailleurs, personne ou presque ne les aurait connues, si je ne m'étais employé à faire ressortir leur valeur comique que leurs auteurs n'avaient pas su déceler. Par la suite il est vrai, j'ai pris pour cibles des auteurs, comme Lucien Golmann et Roland Barthes, beaucoup plus néfastes dans la mesure où ils ont eu, le second surtout, une audience considérable et ont ainsi contribué à fausser beaucoup d'esprits et inspiré quantité de 'travaux' consternants. Et j'avoue avoir longtemps cru que Roland Barthes était le plus grand grotesque de notre temps, du moins parmi les intellectuels français : je ne connaissais pas encore les écrits de Georges Molinié. Le jour où je les ai découverts, j'ai véritablement cru que le sol se dérobait sous moi. Je n'en croyais pas mes yeux : je n'avais jamais rien lu et je n'aurais jamais imaginé pouvoir lire un jour quelque chose d'aussi innommable. Non que Georges Molinié débite davantage d'inepties ou montre davantage d'inintelligence des textes littéraires que Roland Barthes. Celui-ci a établi dans ce domaine des records qu'il sera bien difficile de battre et Georges Molinié, malgré ses dons, est très loin de l'égaler sur ce point. En revanche, sa supériorité est non seulement incontestable, mais absolument écrasante dans l'usage du jargon. Michel-Antoine Burnier et Patrick Rambaud ont, à très juste titre, tourné en ridicule celui de Roland Barthes dans un pastiche d'un drôlerie irrésistible, Le Roland Barthes sans peine. Pourtant, la langue de Roland Barthes est un modèle de clarté et d'élégance, à côté de celle de Georges Molinié. Si la première prête souvent à sourire ou à rire, la seconde est tellement effroyable, tellement monstrueuse et, en outre, tellement remplie d'impropriétés et d'incorrections qu'elle ne peut que susciter une continuelle répulsion et une colère d'autant plus grande que Georges Molinié est professeur de Philologie française et devrait, en tant que tel, faire tout le contraire de ce qu'il fait et donner l'exemple d'une langue, non seulement toujours parfaitement correcte, mais aussi claire et élégante que possible.

C'est cette colère que j'ai exprimée dans le premier article recueilli dans ce livre, « Nouvelle Stylistique ou nouvelle imposture ». Mais, au-delà du cas, heureusement tout à fait exceptionnel de Georges Molinié et qui relèverait de la tératologie, j'ai voulu dénoncer le développement d'une stylistique dévoyée, malheureusement de plus en plus envahissante, qui cherche à imposer un vocabulaire abscons et de prétendus outils parfaitement inutiles. Dans ses différents ouvrages sur la stylistique Georges Molinié cite une quantité faramineuse de livres et d'articles, qu'il nous présente tous, à commencer par les siens, comme des travaux « fondateurs » et fondamentaux qu'on ne saurait se dispenser de lire. Mais il se plaît en même temps à répéter que le chantier ouvert par ces travaux est immense et que tout, ou presque, reste encore à faire. On aimerait comprendre. Car, si tout ou presque reste à faire, c'est que rien, oui presque, n'a encore été fait. Mais si rien, ou, presque n'a encore été fait, les innombrables études auxquelles nous renvoie Georges Molinié, à commencer par les siennes, ne servent à rien ou à presque rien. Ces ouvrages prétendument indispensables ne sauraient nous dispenser d'avoir à en lire beaucoup d'autres qui malheureusement ne sont pas encore écrits et qui, pour certains, les plus importants peut-être, ne paraîtront que longtemps après notre mort. Mais, heureusement, le fait que Georges Molinié affirme une chose et son contraire ne l'empêche pas de se tromper deux fois. Car il a doublement tort : il a tort de nous présenter comme « fondateurs »et fondamentaux des travaux en réalité aussi indigestes qu'inutiles, les siens étant les plus indigestes et les plus inutiles de tous, et il a tort de prétendre que les études essentielles sont encore à venir. Dieu merci ! on n'a besoin pour apprécier le style des grands écrivains que l'on aime ou pour déplorer l'absence de style de tant d'auteurs à la mode ni de lire Georges Molinié et les autres stylisticiens actuels, ni de devoir attendre la parution d'hypothétiques travaux qui risquent fort d'être aussi indigestes et aussi inutiles. Il n'est pas besoin d'avoir fait des études de stylistique pour admirer la prose de Bossuet ou celle de Chateaubriand. Il n'est pas besoin d'avoir fait des études de stylistique pour se rendre compte que Christine Angot atteint sans cesse des sommets dans la platitude. Il n'est pas besoin d'avoir fait des études de stylistique pour s'apercevoir immédiatement, dès qu'on lit quelques lignes de Georges Molinié, qu'on on affaire à la langue la plus affreuse, la plus effroyable qu'on ait sans doute jamais écrite avant lui et que, sans lui, on n'aurait sans doute jamais écrite.

Le deuxième article, « Le Théâtre expliqué par la mère Ubu », se situe dans le prolongement du premier. En effet, parmi tous les innombrables ouvrages censés faciliter une 'approche' des textes littéraires qu'ils ne font, en réalité, que compliquer et que retarder, les trois volumes de Mme Ubersfeld intitulés Lire le théâtre, sont sans doute ceux que les étudiants utilisent le plus. Cette lecture leur est, en effet, présentée comme indispensable par de nombreux enseignants qui, pour la plupart sans doute, s'ils ont un jour essayé de s'y mettre, l'ont très rapidement abandonnée, comme beaucoup me l'ont avoué. Et on les comprend, car la prose pesante et jargonnante de Mme Ubersfeld est particulièrement rebutante. Mais alors ils ne devraient pas en recommander la lecture à leurs étudiants. Car ils vont perdre beaucoup de temps à lire ou à essayer de lire un ouvrage qui ne peut rien leur apporter. Outre qu'on y trouve de fâcheuses erreurs qui montrent que Mme Ubersfeld n'a parfois qu'une connaissance très approximative d'œuvres pourtant fort célèbres, outre qu'elle propose des interprétations erronées qui témoignent de bien peu d'intelligence des textes, sa principale, sa véritable spécialité, c'est de dire très longuement et obscurément, à grand renfort de jargon et de schémas, des choses tellement évidentes que jamais personne avant elle n'avait éprouvé le besoin de les dire, et l'on ressent parfois le besoin de se frotter les yeux pour s'assurer qu'on a bien lu ce qu'on a lu. C'est le cas avec l'explication aussi savante que désarmante que Mme Ubersfeld nous propose du fameux : « Prends un siège, Cinna », explication qu'il est fortement recommandé de ne lire qu'après avoir pris la précaution de s'asseoir, et, pour plus de sûreté encore, de s'asseoir par terre. On y apprend tout d'abord que, et cela pour se conformer aux volontés de l'auteur qui tient absolument à ce que tous les acteurs les respectent scrupuleusement, on y apprend donc que l'acteur qui joue le rôle du personnage qui dans la pièce s'appelle Auguste, doit, en prononçant ces mots, s'adresser à l'acteur qui joue le rôle du personnage qui s'appelle Cinna. On y apprend ensuite qu'en même temps, et toujours pour se conformer aux volontés de l'auteur, le même acteur doit, mais sans en avoir l'air, faire en sorte d'être entendu des spectateurs, et c'est là, un point tout fait capital, puisque le théâtre obéit à la loi de « la double énonciation », comme l'a démontré Mme Ubersfeld, découverte à laquelle son nom restera pour toujours attaché. Mais Mme Ubersfeld ne nous laisse pas le temps de digérer vraiment ces deux révélations si surprenantes qu'elle nous en assène une troisième : en faisant dire à Auguste : « Prends un siège, Cinna », l'auteur, qui décidément pense à tout, a aussi voulu faire comprendre au metteur en scène qu'il devait prendre ses dispositions pour qu'il y eût un siège sur la scène. Certes c'est une forme d'humour tout à fait classique, je la pratique à l'occasion, que d'énoncer des lapalissades sur le ton le plus sérieux et le plus sentencieux. Et Mme Ubersfeld pourrait être une adepte de ce type d'humour, auquel cas, son livre offrirait quelques très grandes réussites. Mais il suffit d'avoir lu quelques pages de Mme Ubersfeld pour être tout à fait sûr qu'il n'en est rien. Mme Ubersfield est aussi peu portée à faire de l'humour que ne le furent Moïse ou Mahomet.

Si grande que puisse avoir été la colère qui a dicté les deux article précédents, c'est une colère sans doute encore plus grande qui a dicté le troisième intitulé « La pédagogie contre l'enseignement ». Quelques dégâts, en effet, que puissent avoir faits tous les cuistres jargonneurs avec leur panoplie d'outils sémiotico-stylistiques, et ils sont très grands, ils restent pourtant beaucoup plus limités que ceux causés par les pédagogues des prétendues sciences de l'éducation. Car on ne saurait dire seulement qu ceux-ci ont causé des dégâts considérables : ils sont responsables d'un véritable désastre, peut-être irréparable, la ruine de notre enseignement. Il y a cinquante ans, les futurs enseignants ne recevaient pratiquement aucune formation pédagogique, mais, à l'exception de ceux qui n'étaient vraiment pas faits pour affronter une classe et qu'aucune formation pédagogique n'aurait jamais pu rendre propres à enseigner, ils s'acquittaient généralement de leur tâche d'une façon tout à fait satisfaisante. Depuis que les adeptes de la secte pédagogique et son impayable gourou, Philippe Meirieu, avec l'appui d'universitaires démagogues comme Alain Viala, ont décrété que les futurs enseignants devaient d'abord apprendre à enseigner et, qui plus est, apprendre à « enseigner autrement », c'est-à-dire à ne plus faire de cours mais à laisser les élèves s'abandonner librement à leur spontanéité, bien rares sont les professeurs qui peuvent encore enseigner vraiment. De nombreux et excellents livres, beaucoup d'intellectuels de renom et de personnalités éminentes, de très grands savants, comme Laurent Lafforgue ont dénoncé leurs méfaits avec la plus grande vigueur. Cela n'a jusqu'ici pas servi à grand chose. Car les pédagogues qui ont colonisé le ministère de l'Education et les IUFM sont toujours en place, et ils ne sont pas prêts à la céder. Il serait d'ailleurs bien difficile de recaser des gens qui n'ont aucune véritable compétence, qui ne maîtrisent aucune discipline, ne sachant faire q'une seule chose : empêcher ceux qui ont acquis, dans leur domaine, un savoir précieux de le transmettre à la jeune génération. Il faut pourtant continuer à combattre sans relâche des imposteurs aussi néfastes.

Le quatrième article, « Le Français en capilotade », évoque très rapidement un autre désastre, qui est sans doute pour une large part une conséquence du précédent, celui de la destruction de la langue française. Beaucoup d'auteurs, comme Renaud Camus, Maurice Druon, Claude Duneton, Jean Dutourd ou Michel Mourlet, ont déjà décrit et dénoncé l'état calamiteux de notre langue et un certain nombre d'associations comme Défense de la langue française, présidée par Jean Dutourd, luttent désespérément pour essayer d'enrayer le mal. Je me suis, pour ma part, contenté de relever occasionnellement pendant un certain temps quelques échantillons de charabia que j'ai entendus à la télévision principalement aux journaux d'information de 13 h. et de 20 h. J'en ai, bien sûr, entendu beaucoup d'autres depuis que j'ai rédigé cet petit article. et je voudrais encore en citer quelques-uns. J'ai entendu le premier dans la bouche de M. Gilles de Robien, ministre de L'Education qui, à l'émission 'C dans l'air' du 23 mars 2006 a déclaré : « c'est ce ressort-là qu'il faut mettre sur la table « . Mais la phrase la plus calamiteuse que j'ai entendue récemment est certainement celle du maire de Paris, M. Bertrand Delannoé qui, sur Canal +, le 13 mars 2006, n'a pas craint de dire : « c'est l'événement le plus fondateur de mon énergie décuplée ». Je voudrais également citer un échantillon de charabia entendu à l'émission Escales le 10 décembre 2005  : « on va parler de où est leur avenir ». C'est là, en effet, un type de construction, si l'on peut employer un mot en l'occurrence aussi impropre, qui tend malheureusement à se généraliser et j'en ai d'ailleurs donné un certain nombre d'exemples dams mon article. Le temps n'est pas loin où, sur le coup de midi, on entendra dans beaucoup de familles, le père, la mère ou l'un des enfants dire à la cantonade : « et si on se posait la question de quoi c'est qu'on mange ! ». Mais j'ai gardé pour la fin une phrase entendue sur FR2 le 15 janvier 2006, dans l'émission l'hebdo du médiateur et qui sortait de la bouche d'un éminent linguiste M. Alain Rey, maître d'œuvre du dictionnaire Robert, qui, voulant, sans doute joindre l'exemple à la parole, a cru devoir dire : « On parle tous à travers beaucoup de fautes ». Hélas ! trois fois hélas !

 

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