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Études sur les Maximes de la Rochefoucauld


À Henri Bonnet


Avant-propos

…… Ces Études sur les Maximes de La Rochefoucauld sont constituées exclusivement d'explications de textes. Il y a à cela trois raisons principales. La première, d'ordre général, tient au fait que je suis convaincu que cet exercice est de loin le plus propre à éclairer vraiment les textes, à nous aider à retrouver les intentions d'un auteur et à apprécier son talent et son travail. Rien d'étonnant par conséquent s'il est généralement dédaigné par tous ceux, si nombreux, qui, peu soucieux de ce que l'auteur a voulu et a su dire, ne se servent de ses textes que, pour essayer de briller à ses dépens, en prétendant lui faire dire le plus de choses possibles, à la seule exception de celles qu'il a vraiment dites. Plutôt que de suivre un auteur pas à pas et de chercher à refaire son travail, ils préfèrent survoler les textes de haut pour, çà et là, piquer à leur gré, une phrase, un vers ou une expression qui, isolés de leur contexte, serviront de prétexte aux interprétations les plus arbitraires, voire aux élucubrations les plus rocambolesques, à l'instar du grand barbacole de la baliverne et de la faribole que fut Roland Barthes. Aussi le meilleur moyen de ruiner leurs interprétations et de démanteler leurs élucubrations est-il généralement de replacer les citations sur lesquelles ils prétendent s'appuyer, dans leur contexte et ensuite de se livrer à chaque fois à une petite explication de texte.

…… La deuxième raison tient au fait qu'à ma connaissance les critiques ne se sont guère livrés jusqu'ici sur les Maximes à l'analyse précise et minutieuse que constitue ou que devrait constituer l'explication de texte [1], alors qu'ils ont, en revanche, beaucoup écrit sur tous les problèmes d'ordre général que peuvent soulever les Maximes, à commencer, bien sûr, par celui de savoir quelle est la philosophie de l'auteur, au point qu'on peut estimer que, sur ces problèmes, si certes tout n'a pas encore été dit, l'essentiel a déjà été dit et souvent fort bien dit [2]. J'ajouterais qu'avant de s'interroger longuement pour savoir quelle était la philosophie de La Rochefoucauld, il faudrait d'abord se demander s'il en avait vraiment une. Car il y a de bonnes raisons d'en douter, même s'il ne fait guère de doute qu'il ait été fortement marqué par l'augustinisme. Sans parler de toutes les contradictions que l'on peut relever dans les Maximes, celui qui affirme, dans la maxime 203, que « le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien », ne saurait appartenir à une école de pensée bien définie. La Rochefoucauld a-t-il même vraiment une pensée ? Rien n'est moins sûr. Tout le monde n'a pas une pensée et beaucoup de ceux qui en ont une feraient mieux de n'en point avoir. On peut être un écrivain et même un très grand écrivain, et n'avoir point de pensée. Racine en avait-il vraiment une ? Il n'est donc pas évident du tout qu'il y ait vraiment une « intention des Maximes». La seule véritable intention de l'auteur des Maximes pourrait bien avoir été d'écrire des maximes [3].

…… La troisième raison tient à la nature même de la maxime qui, de tous les genres, est un de ceux qui se prêtent le mieux au travail d'analyse textuelle, pour ne pas dire qu'il est peut-être le genre qui appelle le plus un tel travail, dans la mesure où elle est d'abord un art de la concision, de la concentration où l'auteur laisse souvent au lecteur de soin de deviner ce qu'il a vraiment voulu dire et de donner ensuite, s'il y a lieu, à la vérité généralement paradoxale qu'il lui propose, tous les prolongements dont elle est grosse [4]. Et c'est particulièrement vrai des Maximes de La Rochefoucauld qui font si volontiers appel à l'ironie et dont les plus réussies sont d'ordinaire celles où l'on s'aperçoit qu'il veut dire tout le contraire de ce qu'il semble d'abord vouloir dire, comme le montreront souvent les analyses qui vont suivre.

…… Cela m'amène à indiquer quels sont les critères qui ont présidé au choix des maximes que j'ai étudiées. Il y en a trois : j'ai retenu tout d'abord celles qui me paraissaient les plus réussies, les plus piquantes; j'ai retenu ensuite celles qui pouvaient poser des problèmes d'interprétation, sur lesquelles les commentateurs hésitaient ou étaient divisés; j'ai retenu enfin quelques maximes qui me paraissaient artificielles et contestables. Car le travail du critique n'est pas seulement de souligner les réussites et d'essayer d'en rendre compte; il est aussi, quand il y a lieu, de relever les ratés et de les expliquer. Or le goût du paradoxe, le parti-pris de dénigrer la nature humaine, l'utilisation trop mécanique des mêmes schémas formels amènent parfois La Rochefoucauld à fabriquer des maximes qu'il est permis de juger bien peu convaincantes.

…… J'ai utilisé pour ces Études principalement l'édition de Jacques Truchet [5] qui, en dépit de quelques affirmations contestables [6], constitue un excellent outil de travail permettant de comparer très aisément le dernier état du texte, celui de la cinquième édition, avec celui donné par les éditions antérieures ou avec celui, souvent encore plus ancien donné par les divers manuscrits (les plus intéressants étant le manuscrit Liancourt et le manuscrit Gilbert) ou par les lettres de La Rochefoucauld. Une autre édition reste très utile, notamment à cause des nombreux rapprochements qu'elle suggère entre les différentes maximes, celle de la « Collection des Grands Écrivains de La France [7]».


 

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NOTES :

[1] Les remarques très succinctes que fait Lanson dans L'Art de la prose (réédition Nizet, 1968, pp. 133-139) ne sauraient être considérées comme des explications de textes. Quant à celles de J. Vianey (L'Explication française, 7° édit., Hatier, 1947, pp. 353-364), elles ne portent que sur la comparaison des maximes de La Rochefoucauld avec celles avec des auteurs (Jacques Esprit, Mme de Sablé) dont il a pu s'inspirer, ainsi que sur les corrections qu'il a effectuées.

[2] Je pense, bien sûr, en premier lieu, aux travaux de M. Jean Lafond, à sa thèse La Rochefoucauld, Augustinisme et littérature (Klincksieck, 1977) qui est et restera sans doute longtemps l'ouvrage fondamental sur La Rochefoucauld, ainsi qu'à ses nombreuses articles qui viennent d'être heureusement rassemblés (L'Homme et son image. Morales et littérature de Montaigne à Mandeville, Champion, collection 'Lumière classique', 1996); je pense aussi aux travaux de M. Louis van Delft, à sa thèse (Le Moraliste classique, Essai de définition et de typologie, Droz, 1982) et à ses articles, aux travaux de M. Corrado Rosso et notamment à son livre Procès à La Rochefoucauld et à la maxime (Pisa, editrice libreria goliardica; Paris, Nizet, 1986), dans lequel on trouvera une précieuse bibliographie critique, ainsi qu'à l'article de M. Henri Coulet 'La Rochefoucauld ou la peur d'être dupe' (Hommage au doyen Gros, Ophrys, Gap, 1959). D'autres travaux, pour intéressants qu'ils puissent être, n'en prêtent pas moins à discussion comme l'article de M. Paul Bénichou 'L'Intention des Maximes',(L'Ecrivain et ses travaux, Corti, 1967, pp. 3-37) ou celui de M. Jean Starobinsky 'La Rochefoucauld et les morales substitutives' (N.R.F., juillet 1966, pp. 16-34 et août 1966, pp. 211-229).

[3] Je souscrirais assez volontiers à ce que dit M. Pierre Kuentz, après avoir relevé la diversité des tendances morales que l'on peut déceler dans les Maximes : « ces interprétations contradictoires reflètent l'ambiguïté fondamentale d'un ouvrage sans message. Le caractère discontinu du recueil, la polyvalence de bien des maximes, qui permet des combinaisons contradictoires, la destruction volontaire des contextes explicatifs, tout contribue à faire des Maximes un texte intransitif. Ce n'est pas l'auteur qui nous parle ici; c'est nous-mêmes que nous rencontrons » (La Rochefoucauld, Maximes, classiques Bordas, p. 40).

[4] Je ne puis mieux faire que de citer ici M. Jean Lafond : « Le travail du lecteur, qui est aussi jeu et plaisir du jeu, consiste donc à reconstituer l'essentiel du discours sous-jacent à la maxime afin de la mieux situer dans son contexte, et à prolonger la réflexion de tous les développements libres, favorables ou critiques, qu'elle peut susciter. L'explication est bien ici, les métaphores le disent assez, un parcours de l'esprit et un déploiement de sens. Car, contrairement à la sentence banale qui, étant simpe vérité d'expérience, est fermée sur elle-même, la maxime appelle la réflexion, et la discussion. On ne comprend vraiment que ce qu'on 'achève', que ce qu'on parfait, telle est sa leçon implicite, et l'obscurité qui est la sienne est de même ordre que celle de l'énigme ou de la devise, pratiquée dans les mêmes années par le même public qui s'est passionné pour la maxime » (op. cit., p. 125).

[5] La Rochefoucauld, Maximes, classiques Garnier, édition revue et augmentée, 1974.

[6] Certaines ne tirent guère à conséquence, comme lorsque Jacques Truchet écrit que « la nature n'est pas absente des Maximes» (p. LI) sous prétexte que La Rochefoucauld dit que « le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement » (maxime 26) et que « les vertus se perdent dans l'intérêt comme les fleuves dans la mer » (maxime 171). À ce compte-là, autant dire que Pascal avait un grand sentiment de la nature sous prétexte qu'il a dit que l'homme était un roseau pensant. D'autres sont plus gênantes comme lorsque Jacues Truchet entend remettre en cause l'idée généralement admise que l'amour-propre constitue le thème essentiel des Maximes. L'argument qu'il utilise est assez étonnant, pour ne pas dire qu'il est consternant : « Un coup d'œil, écrit-il, jeté sur les tables alphabétiques établies sous le contrôle de l'auteur montrerait effectivement que le mot amour-propre n'est pas celui qui vient en tête pour le nombre des références; c'est ainsi qu'amour, amitié, passions le distancent de loin; même dans la première édition, il ne se classait qu'à égalité avec esprit, vertus, bonté, fortune, et ne venait qu'après louange, constance, tromperie, reconnaissance». Un raisonnement aussi simpliste laisse pantois. Jacques Truchet oublie tout simplement qu'il n'est pas nécessaire que le mot amour-propre se trouve dans une maxime pour que celle-ci traite de l'amour-propre. La maxime 303 (« Quelque bien qu'on nous dise de nous, on ne nous apprend rien de nouveau ») dit la même chose que la maxime 2 (« L'amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs») mais le mot amour-propre ne s'y trouve pas. C'est le cas de très nombreuse maximes, et notamment parmi celles où l'on trouve des mots qui reviennent aussi souvent et même beaucoup plus souvent que le mot amour-propre. C'est le cas bien sûr de toutes les maximes qui parlent de l'orgueil ou de la vanité. C'est le cas des maximes sur la flatterie. C'est le cas de la plupart, de la quasi totalité des maximes sur la reconnaissance. C'est le cas des maximes sur la louange. Jacques Truchet fait remarquer que le mot louange revient plus souvent que le mot amour-propre. Faudrait-il donc en conclure que le thème de la louange est plus important que celui de l'amour-propre ? Ce serait absurde puisque toutes les maximes sur la louange sont, en fait, des maximes sur l'amour-propre, même si le mot ne s'y trouve pas. C'est le cas enfin de bien d'autres maximes encore. Si le mot amour-propre n'apparaît, en effet, que relativement rarement, c'est parce que, nous le verrons, La Rochefouauld laisse d'ordinaire au lecteur le soin de découvrir par lui-même qu'il faut chercher dans l'amour-propre l'explication du paradoxe qui lui est proposé. Il ne s'agit pas, bien sûr, de prétendre que l'amour-propre est le seul thème des Maximes et qu'il n'y a pas d'autres thèmes très importants, comme celui de la fortune ou celui des humeurs. Mais, et c'est une des conclusions générales que l'on pourrait tirer de ces Études, c'est le thème qui revient le plus souvent, et notamment dans les maximes les plus réussies.

[7] La Rochefoucauld, Œuvres complètes, éd. D.L. Gilbert, J Gourdault, A. et H. Régnier, Paris, hachette, 1868-1883.

 

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