Assez décodé !
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………Ire partie. ………Un problème insoluble …… Des trois grandes parties que l'on peut distinguer dans les Pensées, c'est certainement la dernière qui apparaît maintenant la plus caduque, et c'est la première qui reste la plus susceptible d'intéresser, voire de toucher l'homme d'aujourd'hui. C'est d'ailleurs dans cette première partie que se trouvent la plupart des fragments les plus connus, ceux notamment que l'on étudie dans les lycées, ou du moins que l'on y étudiait autrefois. Mais, si le lecteur de ces textes peut se trouver souvent d'accord avec ce que dit Pascal de notre condition, non seulement il ne sera pas nécessairement mieux préparé à admettre l'explication et à accepter le remède que Pascal entend ensuite lui proposer, mais peut-être se sentira-t-il au contraire encore un peu moins enclin à le faire. …… Dans cette première partie, Pascal veut convaincre l'incrédule qu'il y a un mystère de la condition humaine, en lui présentant l'homme comme un être essentiellement contradictoire et donc radicalement incompréhensible. Il annonce son dessein lorsqu'il écrit dans le fragment 420-130-163 : « S'il se vante, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le vante; et le contredis toujours jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible ». Les animaux n'ont, semble-t-il, pas d'autres aspirations que celles que les moyens dont la nature les a pourvus, leur permettent de satisfaire. Même si pratiquement ils ont souvent de grandes difficultés à y parvenir, ils n'aspirent jamais qu'à des choses possibles : manger, s'accoupler, élever leurs petits. Ils ne forment pas de souhaits irréalisables, et, notamment, ne sachant pas qu'ils doivent mourir, ils ne rêvent pas de ne pas mourir. Ils ne se posent point non plus d'insolubles questions sur leur condition d'animal, leur place dans l'univers et le sens de leur existence. À la différence de l'animal, qui apparaît ainsi comme une créature parfaitement adaptée, l'homme est, lui, un être foncièrement inadapté, parce qu'il n'a pas seulement des aspirations que la nature lui permet de satisfaire. Il aspire en outre à la Vérité et au Bonheur, avec un grand V et avec un grand B, et c'est ce qui fait sa grandeur, mais il ne peut jamais y parvenir, et c'est ce qui fait sa misère. À la fois grand et misérable, l'homme est, pour Pascal, une créature hybride, profondément anormale et proprement monstrueuse. …… Pour résumer la peinture, assurément très sombre, que Pascal nous propose de la condition humaine dans la première partie des Pensées, on peut donc citer le début du fragment 437-401-20 qui présente les deux grands points que Pascal va développer : « Nous souhaitons la vérité et ne trouvons qu'incertitude. Nous cherchons le bonheur, et ne trouvons que misère et mort ». Les arguments auxquels Pascal fait appel pour montrer que nous ne pouvons atteindre la vérité sont divers, mais, bien que de valeur très inégale, ils sont assurément très forts. Malheureusent tous peuvent se retourner contre Pascal lui-même qui prétend bien posséder, lui, la vérité et entend nous la proposer dans la deuxième partie des Pensées. Si Pascal réussit à convaincre l'incrédule que l'homme ne peut atteindre la vérité, il le convainc en même temps continuellement que l'auteur des Pensées , lui non plus, n'échappe pas à cette règle. Comme le dit fort bien Jean-François Revel, « si Pascal a raison, si l'homme est ce que dit Pascal, pourquoi croirait-on Pascal ? Il nous dit lui-même que l'homme se décide pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la raison. Dès lors pourquoi les siennes [1]? » Mais voyons quels sont ses arguments. …… Pour nous convaincre de notre impuissance à atteindre la vérité, Pascal invoque d'abord ce qu'il appelle « les puissances trompeuses » au premier rang desquelles il met l'imagination. Comme beaucoup de potaches, j'ai abordé l'étude des Pensées par le célèbre fragment 82-44-78, dans lequel, en s'inspirant très étroitement de Montaigne [2], il dénonce l'imagination comme une « maîtresse d'erreur et de fausseté [3]». Mais tout de suite je me suis étonné de le voir affirmer que, si les magistrats « avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n'auraient que faire de bonnets carrés [4]», et s'habilleraient comme le commun des mortels, sans songer que le même raisonnement pouvait aussi s'appliquer aux prêtres et aux religieux de toutes confessions, ainsi qu'aux sorciers, aux mages et aux gourous de tous les pays et de toutes les époques. Et, faut-il le dire ? l'abbé qui faisait tant bien que mal office de professeur et qui portait la soutane, n'y avait jamais songé, lui non plus. …… Plus généralement ce qui frappe dans ce fragment, c'est que Pascal qui, pour montrer l'influence trompeuse de l'imagination, s'emploie à rassembler les exemples les plus divers possibles, s'abstient pourtant soigneusement de les prendre dans le domaine où il aurait dû, semble-t-il, les chercher en priorité, parce que c'est à l'évidence là que se manifeste le mieux la puissance de l'imagination comme « maîtresse d'erreur et de fausseté » : celui des croyances religieuses. Il observe ainsi que l'imagination « suspend les sens et les fait sentir [5]», mais il se garde bien de parler ici des miracles qui pourraient lui fournir des exemples encore bien plus étonnants que ceux qu'il prend. Et il ne se souvient apparemment pas, quand il s'écrie dans le fragment 813-872-440 : « Que je hais ceux qui font les douteux des miracles! », qu'il nous a lui-même donné les meilleures raisons d'en douter lorsqu'il a longuement évoqué les effets trompeurs de l'imagination. Mais, ô Blaise ! à quoi tu penses ? Tu nous dis dans le fragment 259-815-659 que « le monde ordinaire a le pouvoir de ne pas songer à ce qu'il ne veut pas songer ». Certes, ô Blaise ! certes. Mais il n'y a pas que « le monde ordinaire » qui ait ce pouvoir : tu nous prouves tout au long de tes Pensées que de très grands esprits peuvent l'avoir aussi. …… Pascal est assurément très convaincant aussi, quand il nous explique, toujours après Montaigne, pourquoi l'imagination triomphe si souvent de la raison. C'est, dit-il, parce qu' « elle remplit ses hôtes d'une satisfaction bien autrement pleine et entière […] Les habiles par imagination se plaisent tout autrement à eux-mêmes que les prudents ne se peuvent raisonnablement plaire [6]». Rien n'est plus vrai, mais, et il ne veut pas le voir, c'est précisément la raison pour laquelle, depuis qu'il y a des hommes, ils n'ont cessé d'ajouter foi aux croyances les plus absurdes; c'est précisément ce qui a assuré le succès de toutes les fables, de toutes les légendes, de toutes les mythologies et de toutes les religions qu'ils n'ont cessé d'inventer. L'histoire des religions n'est autre chose que l'histoire des victoires que l'imagination n'a cessé de remporter sur la raison. Et une des plus grandes victoires que l'imagination a sans doute jamais remportées sur la raison, c'est d'avoir réduit un esprit aussi fort que celui de Pascal, une intelligence aussi supérieure, un génie aussi grand à croire de toutes ses forces en des fables infantiles. « Elle ne peut rendre sages les fous, nous dit-il, mais elle les rend heureux, à l'envi de la raison, qui ne peut rendre ses amis que misérables ». Comment ne pas applaudir à ce propos, mais comment aussi ne pas l'appliquer à son auteur lui-même ? Car la preuve que l'imagination rend les fous heureux, c'est Pascal lui-même qui nous la fournit avec le fameux fragment sur lequel il a consigné les sentiments qu'il a éprouvés dans la nuit du 23 novembre 1654 : « Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demie. Feu. Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob. non des philosophes et des savants. Certitude, certitude, sentiment, joie, paix […] Joie, joie, joie, pleurs de joie » (913-742 [7]). Ces « pleurs de joie » que Pascal a connus au moins une fois dans sa vie, je dois reconnaître que je ne les ai, moi, jamais connus, et je sens bien, et je sais bien à l'âge où je suis, que je ne les connaîtrai jamais. Je n'aurais pourtant vraiment pas demandé mieux. Des pleurs de joie, j'aurais aimé en verser tous les jours; j'aurais aimé en verser du matin au soir et du soir au matin; j'aurais aimé pouvoir en remplir des seaux, des bonbonnes, des baquets, des bassines, des lessiveuses, des baignoires entières. Le malheur, c'est qu'à la différence de Pascal, je n'ai pas assez d'imagination et suis beaucoup trop raisonnable pour pouvoir croire que Dieu me rend visite. …… Après l'imagination, l'autre grande puissance trompeuse que dénonce Pascal est la coutume. Certes, à la différence de l'imagination, la coutume ne crée pas l'opinion fausse, mais elle la fait perdurer. Et Pascal insiste à juste titre sur le fait que la plupart des opinions fausses ont leur origine dans la coutume lorsqu'il écrit dans le fragment 434-131-164 : « les impressions de la coutume, de l'éducation des mœurs, du pays, et les autres semblables qui, quoiqu'elles entraînent la plus grande partie des hommes communs, qui ne dogmatisent que sur ces vains fondements, sont renversées par le moindre souffle des pyrrhoniens ». Cette fois-ci pourtant, Pascal ne craint pas, dans le fragment 98-193-226, de prendre pour exemples les croyances religieuses : « C'est une chose pitoyable de voir tant de Turcs, d'hérétiques, d'infidèles, suivre le train de leurs pères par cette seule raison qu'ils ont été prévenus chacun que c'est le meilleur ». Quand on lit ce fragment, on pense bien sûr tout de suite à objecter à Pascal que les chrétiens eux aussi le sont presque toujours parce que leurs pères l'étaient déjà. Mais il le reconnaît lui-même dans le fragment 252-821-661 : « La coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues; elle incline l'automate, qui entraîne l'esprit sans qu'il y pense. Qui a démontré qu'il sera jour demain, et que nous mourrons ? Et qu'y a-t-il de plus cru ? C'est donc la coutume qui nous en persuade; c'est elle qui fait tant de chrétiens, c'est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats ». Passons sur le fait que Pascal met ici sur le même plan des croyances très différentes, puisqu'à côté de croyances religieuses qui sont entièrement fondées sur la coutume, il invoque des croyances qui reposent sur l'observation, sur l'expérience universelle, que chacun peut vérifier par lui-même et que l'on peut donc légitimement considérer comme des savoirs plutôt que comme des croyances. Mais si, dans ce fragment, il évoque les chrétiens à côté des Turcs et des païens, cela ne veut, bien sûr, pas dire qu'il accorde la même valeur aux croyances des uns et des autres. C'est la coutume qui fait presque toujours que les uns sont chrétiens et les autres Turcs ou païens, mais, pour Pascal, il ne revient évidemment pas du tout au même d'être ou bien chrétien ou bien Turc ou païen. S'il trouve « pitoyable » que les Turcs, les hérétiques et les infidèles ne soient tels que parce que leurs pères l'étaient avant eux, c'est parce que, de ce seul fait, ils sont, selon lui, condamnés à la damnation éternelle, tandis que, s'ils avaient été chrétiens pour la seule raison que leurs pères l'étaient avant eux, ils auraient pu espérer accéder à la béatitude éternelle. En attirant ainsi très justement l'attention sur le rôle que joue la coutume dans les croyances religieuses, Pascal attire en même temps l'attention sur l'injustice criante de toutes les religions qui ne promettent le salut qu'à ceux qui les pratiquent, et condamment tous les autres à la damnation, faisant ainsi dépendre le salut ou la damnation du hasard de la naissance à telle ou telle époque, dans tel ou tel pays, dans telle ou telle famille. Dans le fragment 294-60-94, Pascal ironise sur les lois et des coutumes qui peuvent changer du tout au tout quand on passe une frontière : « Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ! » Mais ce qui est vrai pour les lois et les coutumes l'est aussi pour les religions. Ainsi ce que Pascal dit de la justice humaine, on pourrait le dire de la justice divine, telle qu'il la conçoit : on est sauvé ou damné suivant qu'on est né d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée. Encore une fois, ô Blaise ! on se demande à quoi tu penses. …… Mais, en soulignant l'importance de la coutume, Pascal ne suggère pas seulement une objection majeure à l'incrédule, il lui fournit aussi un excellent argument pour répondre à une objection que les apologistes chrétiens utilisent traditionnellement contre les incrédules et que Pascal utilisera lui-même dans la troisième partie des Pensées, celle de la permanence de leur religion [8]. Les apologistes aiment à dire, en effet, que si les croyances chrétiennes n'étaient qu'un tissu d'absurdités, comme le prétendent les incroyants, elles n'auraient jamais pu perdurer pendant tant de siècles : elles n'ont pu le faire que parce qu'elles sont vraies, que parce que leur origine est divine. Mais, si, comme Pascal a raison de le rappeler, quantité de croyances qui ont une origine très ancienne, n'en sont pas moins évidemment dénuées de fondement, pourquoi faire une exception pour les croyances chrétiennes ? Pourquoi, lorsqu'il s'agit des croyances chrétiennes, Pascal éprouve-t-il le besoin d'expliquer par une origine divine ce que, dans tous les autres cas, il explique par la coutume ? Ou pourquoi ne pas admettre alors que toutes les croyances qui ont perduré pendant des siècles, sont nécessairement vraies, en dépit de leur apparente absurdité ? …… Si l'imagination et la coutume sont les deux principales puissances trompeuses, d'autres facteurs, plus occasionnels, peuvent aussi fausser notre jugement, comme les maladies qui, dit Pascal dans le fragment 82-44-78, « nous gâtent le jugement et les sens » ou notre intérêt qui « est encore un merveilleux instrument pour nous crever les yeux agréablement [9]». Mais, s'il a certes raison de noter que les maladies peuvent perturber le jugement, il ne songe apparemment pas à se demander si cela ne peut pas expliquer bien des phénomènes réputés surnaturels comme les transes, les extases et les visions. Car, si l'on faisait des statistiques, il est hautement probable que l'on trouverait à toutes les époques et dans dans les pays, chez les sorciers, les mages de toute espèce, les gourous de toute sorte, les mystiques, les prophètes, les visionnaires, les fondateurs de sectes ou de religions, une proportion anormalement élevée d'individus dont la santé physique et mentale laissait fort à désirer. Or ce phénomène n'épargne pas la religion chrétienne. Nous avons trop peu de renseignements sur la vie et la personne du Christ et ils sont surtout beaucoup trop incertains, pour que nous puissions porter un jugement valable sur la santé physique et mentale du fondateur du christianisme. En revanche, celui qui, après le Christ lui-même a sans doute joué le plus grand rôle dans le développement du christianisme, saint Paul, était, de son propre aveu, un malade [10] et semble avoir notamment souffert de crises d'épilepsie (qui pourraient bien expliquer l'épisode fameux du chemin de Damas), comme sans doute Thérèse d'Avila et un certain nombre d'autres grands mystiques chrétiens [11]. Et, bien sûr, quand Pascal nous dit que les maladies « nous gâtent le jugement et les sens », comment ne pas se rappeler alors que les Pensées ont été écrites par un homme malade, profondément malade, de plus en plus malade [12], et que la maladie a emporté alors que sa grande œuvre n'était encore qu'à l'état d'ébauche ? Claudel, on le sait, qui reprochait à Pascal d'avoir « maltraité et calomnié la nature humaine », disait de la religion de Pascal : « Ce n'est pas du christianisme, c'est une mauvaise humeur de malade [13]». Et il y a sans doute une certaine part de vérité dans ce jugement, même si l'on aurait sans doute tort de vouloir expliquer la foi de Pascal d'abord par la maladie? Car l'explication principale, l'explication essentielle, j'y reviendrai, est ailleurs. …… Mais, quand bien même notre jugement ne serait pas sans cesse faussé par les puissances trompeuses, il resterait que, de toute façon, selon Pascal, la condition même de l'homme, sa situation dans l'univers font qu'il ne peut atteindre que des vérités très partielles, très limitées et finalement dérisoires. L'obstacle le plus important, l'obstacle vraiment capital, l'obstacle insurmontable que rencontre et rencontrera toujours l'homme dans sa quête de la vérité, réside dans ce que Pascal appelle « la disproportion de l'homme ». Dans le célèbre fragment dit des « deux infinis » (72-199-230), il nous peint avec beaucoup de force l'homme perdu dans l'espace, incapable de se situer entre l'infiniment grand et l'infiniment petit. Pour pouvoir comprendre le monde, il faudrait qu'il puisse atteindre les extrêmes, embrasser toute l'étendue de l'infiniment grand et descendre tout au fond de l'infiment petit, au lieu qu'il peut seulement « apercevoir quelque apparence du milieu des choses, dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin [14]». Ce qui est vrai de l'espace l'est aussi du temps. Incapable de se situer dans l'espace, l'homme est aussi incapable de se situer dans le temps; comme il se sent perdu entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, il se sent aussi perdu entre l'éternité du temps qui l'a précédé et l'éternité du temps qui le suivra, comme Pascal le dit avec éloquence dans le fragment 205-68-102 : « Quand je considère la petite durée de ma vie, absorbée dans l'éternité précédant et suivant, le petit espace que je remplis et même que je vois, abîmé dans l'infinie immensité des espaces que j'ignore et qui m'ignorent, je m'effraie et je m'étonne de me voir ici plutôt que là, car il n'y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors ». …… Cet argument est assurément très fort. Malheureusement pour Pascal, il n'atteint que trop bien son but. Car cette « disproportion de l'homme » qu'il déplore avec tant de véhémence, elle n'apparaît sans doute nulle part aussi fortement que dans le considérable contraste, le décalage colossal qu'il y a entre l'immensité, l'insurmontable difficulté des questions qui se posent à l'homme et l'étonnante naïveté, l'extrême puérilité, l'extraordinaire infantilisme des réponses que celui-ci croit leur apporter dans les diverses religions qu'il a imaginées et notamment dans celle que Pascal entend proposer ensuite à l'incrédule. Comment l'auteur des Pensées ne se rend-il pas compte qu'en insistant avec tant de force sur le caractère incompréhensible de notre condition, il ne fait que mieux ressortir le caractère dérisoire de la réponse qu'il prétend trouver dans la religion ? Comment ne se rend-il pas compte qu'en soulignant avec tant de vigueur la « disproportion de l'homme », il n'en fait que mieux éclater la « disproportion de la religion ». Ce n'était pas la peine de rappeler à l'incrédule quelle place infime il occupe dans l'univers et de l'obliger à avouer qu'il est « dans une ignorance terrible de toutes choses » (194-427-681 [15]) pour ne rien trouver de mieux ensuite à lui proposer ensuite que les vieilles légendes et les fables puérilement anthropomorphiques de la Bible. À quoi tu penses ? ô Blaise ! O Blaise ! à quoi tu penses ? …… Certes, en regardant le ciel étoilé et en pensant à ces milliards et à ces milliards de systèmes solaires qui composent notre galaxie, à ces milliards et à ces milliards de galaxies qui composent l'univers, comment l'incrédule pourrait-il ne pas se dire qu'il aurait bien droit à quelques explications ? Comment pourrait-il, devant « le silence éternel de ces espaces infinis » (206-201-233), ne pas éprouver, à défaut d'effroi, une espèce de sourde mais intense rage ? Mais, en même temps, comment cette rage pourrait-elle ne pas se changer en une véritable fureur à l'égard de tous ceux qui, comme Pascal, prétendent détenir la clé de l'énigme et essaient de lui refiler, en guise d'explications, des fables enfantines et des légendes anachroniques qui n'ont pu naître et se propager que grâce à une « ignorance terrible » non seulement de la cosmologie, mais même de la géographie ? Dieu le Père a envoyé son fils sur la terre sans même, semble-t-il, lui dire qu'elle était ronde; il l'a chargé de sauver tous les hommes, mais il ne lui a pas donné les moyens de les trouver : il a purement et simplement oublié de lui révéler l'existence de deux des cinq continents qui attendaient sa venue, et, pour les trois autres, il ne lui a donné que des cartes très incomplètes. …… L'Eglise, qui a condamné Galilée, avait une très bonne raison pour le faire : le christianisme n'aurait sans doute jamais pu apparaître, si l'on avait su alors que la terre tournait autour du soleil et que, dans l'univers, d'innombrables planètes tournaient autour d'innombrables soleils. À quoi sert de tant répéter à l'incrédule qu'il est perdu dans l'univers ? Il ne le sait que trop ! C'est à d'autres gens qu'il aurait fallu pouvoir le dire ! C'est au puéril et ignare auteur de la Genèse, c'est à tous les auteurs de l'Ancien et du Nouveau Testament qu'il aurait fallu pouvoir le dire ! C'est à Abraham, à Isaac et à Jacob, c'est à Moïse, c'est à Isaïe, à Jérémie et à Ezéchiel, c'est à saint Pierre, à saint Jean et à tous les apôtres, c'est au Christ lui-même enfin qu'il aurait fallu pouvoir le dire! Car rien n'indique qu'aucun d'eux se soit jamais senti perdu dans l'univers. Et pourquoi se seraient-ils sentis perdus ? Il était d'une taille très raisonnable, il était tout à fait rassurant, leur univers ! Pour eux, il n'y avait point d'autre terre que celle qui était sous leurs pieds : une terre beaucoup plus petite que la nôtre, plate, immobile, éclairée par un puissant projecteur, le jour, et, la nuit, par une grosse veilleuse et quantité de minuscules lumignons. Certes, de mauvais esprits pourraient être portés à croire que beaucoup d'entre eux n'avaient peut-être pas toute leur raison. On peut penser pourtant que, s'ils avaient eu quelque idée de la place dérisoire qu'ils occupaient dans l'univers, ils n'auraient sans doute pas cru à tous les prodiges auxquels ils ont cru et se seraient probablement abstenus de se livrer à certaines excentricités qui les ont rendus célèbres. On peut penser notamment qu'Abraham ou Moïse auraient été moins facilement portés à croire que le créateur de l'univers leur parlait à tout bout de champ et que Jacob ne se serait jamais mis dans la tête qu'il lui avait envoyé un ange pour qu'il s'entraîne à la lutte gréco-romaine. On peut penser surtout que Jésus de Nazareth, si porté à fabuler qu'il ait pu être, n'aurait peut-être pas eu l'outrecuidance de se prendre pour le fils de Dieu. …… D'ailleurs le même Pascal qui invite avec tant d'insistance et tant d'éloquence l'incrédule à prendre conscience de la place infime qu'il occupe dans l'univers, ce même Pascal écrit dans le fragment 218-164-196 : « Je trouve bon qu'on n'approfondisse pas l'opinion de Copernic ». Et l'on peut penser que, s'il ne veut pas qu'on approfondisse l'opinion de Copernic, ce n'est sans doute pas seulement parce qu'il estime que c'est inutile, la seule chose vraiment importante étant « de savoir si l'âme est mortelle ou immortelle » (ibidem). On peut penser, en effet, que plus ou moins consciemment, il se rend compte que les découvertes de l'astronomie risquent d'ébranler, voire de saper, les fondements de la foi chrétienne. Pascal pense que la science ne peut répondre aux grandes questions que se pose l'homme sur sa destinée. Et il a assurément raison, mais du moins peut-elle fort souvent nous aider très efficacement à récuser les fausses réponses et notamment celles que les gourous de toute espèce ou les diverses religions prétendent apporter. Même s'il ne veut pas se l'avouer, c'est sans doute là qu'il faut chercher la principale raison de la désaffection et du dédain que l'auteur des Pensées manifeste envers la science à laquelle pourtant il s'était tant adonné. Quoi qu'il en soit, l'attitude de Pascal fait qu'il paraît singulièrement mal placé pour reprocher, comme il le fait, à l'incrédule de ne pas chercher à s'informer et de fuir la vérité qu'il pourrait trouver [16]. …… En effet, si l'on peut s'étonner que Pascal dépense tant d'éloquence à essayer de convaincre l'incrédule que l'homme est incapable de parvenir à la vérité, ce n'est pas seulement parce qu'il se prépare à lui annoncer ensuite que, lui, Pascal sait fort bien où elle se trouve et qu'il va la lui révéler en long et en large, c'est aussi parce qu'il présente et se représente l'incrédule comme quelqu'un qui refuse foncièrement, non seulement de voir la vérité, mais même de faire le moindre effort pour la chercher. Dans le grand fragment 194-427-681, pour discréditer l'incrédule et montrer son inconséquence, Pascal lui prête un discours en deux parties nettement contradictoires. Dans la première partie, il lui fait reconnaître et déplorer longuement son ignorance, sur un ton pathétique et angoissé, en des phrases haletantes : « Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, ni que moi-même; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses; je ne sais ce que c'est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je dis et ne se connaît non plus que tout le reste. Je vois ces effroyables espaces de l'univers qui m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m'est donné à vivre m'est assigné à ce point plutôt qu'à un autre de toute l'éternité qui m'a précédé et de toute celle qui me suit […] Voilà mon état plein de faiblesse et d'incertitude ». Et, dans la seconde partie, il lui fait dire sur un ton tranquille, désinvolte et complaisant qu'il se trouve très bien dans son ignorance et qu'il ne voudrait surtout pas en sortir, même s'il le pouvait : « Et de tout cela, je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à chercher ce qui doit m'arriver. Peut-être que je pourrais trouver quelque éclaircissement dans mes doutes, mais je n'en veux pas prendre la peine ni faire un pas pour le chercher […] ». Et il a beau jeu, alors, de dire qu'il « est glorieux à la religion d'avoir pour ennemis des hommes si déraisonnables »[17]. …… Certes, si un incrédule acceptait de tenir les propos qu'il lui fait tenir ici, assurément Pascal serait en droit de se demander « comment se peut-il faire que ce raisonnement se passe dans un homme raisonnable ? [18]» et de dire qu'il n'a « point de termes pour qualifier une si extravagante créature [19]». Mais la contradiction qu'il entend dénoncer dans le discours de l'incrédule, est factice et artificielle. Car l'incrédule qui accepterait de dire ce que Pascal lui fait dire dans la première partie, refuserait sans doute de dire ce qu'il lui fait dire dans la seconde partie, et celui qui accepterait de dire ce que Pascal lui fait dire dans la seconde partie, ne serait sans doute pas disposé à parler comme il le fait parler dans la première. Le même homme qui adopterait le ton que Pascal lui prête dans la première partie, ne saurait adopter celui qu'il lui prête dans la seconde et réciproquement. …… Tout d'abord, si l'incrédule serait souvent prêt sans doute à redire en substance ce que Pascal lui fait dire dans la première partie, il refuserait de le dire dans les mêmes termes et sur le même ton. Il accepterait sans doute très volontiers de reconnaître sa faiblesse et son ignorance, mais il refuserait sans doute d'adopter le ton angoissé que Pascal lui prête. Pour ma part, quand Pascal fait dire à l'incrédule : « je suis dans une ignorance terrible de toutes choses », je consentirais bien volontiers à prendre ce propos à mon compte, mais j'utiliserais un autre adjectif. Je serais tout disposé à dire, par exemple, que « je suis dans une ignorance fâcheuse » ou que « je suis dans une ignorance regrettable de toutes choses ». J'irais même jusqu'à dire que « je suis dans une ignorance très regrettable », voire « infiniment regrettable de toutes choses ». Et, si l'on insistait un peu, je pourrais employer une expression un peu plus forte et dire par exemple que « je suis dans une ignorance oh combien ! irritante de toutes choses ». Je consentirais même à employer des adjectifs comme « scandaleuse » ou « intolérable ». Et, pour faire plaisir à Pascal, je pourrais même aller jusqu'à employer tous ces adjectifs à la fois et dire que « je suis dans une ignorance infiniment regrettable, oh combien ! irritante, proprement scandaleuse et pour tout dire intolérable de toutes choses ». Mais ce n'est tout de même pas la même chose que de dire : « je suis dans une ignorance terrible de toutes choses ». Le fait d'être dans l'ignorance de toutes choses me paraît devoir engendrer un sentiment d'amertume, de rage, de colère, plutôt que de peur ou d'angoisse. Je ne parlerais pas non plus des « effroyables espaces de l'univers » et je ne dirais pas qu'ils « m'enferment ». En le faisant parler sur ce ton, c'est sa propre angoisse que Pascal prête abusivement à l'incrédule, angoisse qui lui a inspiré le célèbre cri du fragment 206-201-233 : « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie ». Certes on peut se demander, si cette phrase comme quelques autres [20], n'était pas destinée à être prêtée à l'incrédule, comme le petit discours du fragment 194-427-681. C'est ce que pensent Jeanne Russier [21], Albert Béguin [22] ou M. Jean Mesnard [23]. Mais outre que, si rien n'interdit de le penser, rien non plus ne permet de l'affirmer, il y a d'autres fragments où l'on retrouve la même angoisse, exprimée dans des termes très proches et où il est clair que Pascal parle, non pas au nom de l'incrédule, mais bien en son propre nom [24]. …… Mais, je le reconnais, il importe au fond assez peu de savoir si l'incrédule peut être ou non disposé à adopter le ton angoissé que lui prête Pascal pour reconnaître son ignorance. Car ce qui rend sophistique le procédé qu'utilise Pascal pour déconsidérer l'incrédule, c'est essentiellement, après lui avoir fait avouer son ignorance avec tant de force et d'insistance, de lui faire dire : « Peut-être que je pourrai trouver quelque éclaircissement dans mes doutes; mais je n'en veux pas prendre la peine, ni faire un pas pour le chercher ». Je ne sais s'il existe des incrédules tels que celui que Pascal fait parler. Mais je doute fort qu'il y en ait beaucoup. Dans l'immense majorité des cas, l'incrédule n'est pas quelqu'un qui refuse de voir la vérité, qui refuse même de la chercher. C'est quelqu'un qui sait pertinemment qu'il n'a aucune chance de la trouver. L'incrédule se dit que, s'il était vraiment possible de trouver la vérité, on ne l'aurait pas attendu pour le faire. Comment pourrait-il espérer réussir là où jamais aucun homme n'a réussi avant lui ? Car, si quelqu'un avait vraiment trouvé la vérité, si quelqu'un était vraiment capable de nous expliquer qui nous a mis au monde, ce que c'est que le monde et qui nous sommes vraiment, assurément cela se saurait. Si quelqu'un avait proposé un jour une explication vraiment convaincante, toutes les autres explications auraient très rapidement fait long feu, comme Renan l'a fort bien dit dans la 'Prière sur l'Acropole' : « Si une société, si une philosophie, si une religion eût possédé la vérité absolue, cette philosophie, cette société, cette religion aurait vaincu les autres et vivrait seule à l'heure qu'il est. Tous ceux qui, jusqu'ici, ont cru avoir raison se sont trompés, nous le voyons clairement. Pouvons-nous sans folle outrecuidance croire que l'avenir ne nous jugera pas comme nous jugeons le passé [25]? » …… Pascal invite d'abord les incrédules, et avec quelle vigueur, avec quelle véhémence, à prendre conscience de la « disproportion de l'homme », mais ensuite il ne veut pas admettre que les incrédules puissent en tirer effectivement toutes les conséquences et en conclure qu'ils n'ont aucune chance de sortir de leur ignorance. Bien plus, il les accuse de « [se] faire gloire d'être dans cet état » (194-427-681 [26]), imputant ainsi à l'orgueil des incrédules ce qui est, au contraire, le fruit du juste sentiment de leur faiblesse et de leur impuissance, faiblesse et impuissance dont Pascal s'est lui-même tellement employé à les convaincre. Il veut croire qu'ils n'ont que de mauvaises raisons à lui opposer : « faites-leur rendre compte de leurs sentiments et des raisons qu'ils ont de douter de la religion; ils vous diront des choses si faibles et si basses qu'ils vous persuaderont du contraire » (194-427-681). Malheureusement pour Pascal, les meilleures raisons qu'ont les incrédules de douter de la religion, sont d'abord celles qu'il leur fournit ou qu'il leur rappelle lui-même. …… Pascal accuse l'incrédule de ne pas vouloir chercher la vérité, mais c'est lui Pascal qui ne veut pas admettre, malgré tout ce qu'il a pu dire lui-même, que celle-ci est inaccessible à l'homme. Et c'est son propre comportement qu'il décrit sans se l'avouer, lorsqu'il dit dans le fragment 18-744-618 : « quand on ne connaît pas la vérité d'une chose, il est bon qu'il y ait une erreur commune qui fixe l'esprit des hommes […] Car la maladie principale de l'homme est la curiosité inquiète des choses qu'il ne peut pas savoir. Et il ne lui est pas si mauvais d'être dans l'erreur que dans cette curiosité inutile ». Il ne croit pas si bien dire : parce qu'il ne peut supporter de rester dans l'ignorance, il préfère se rallier à ce qui constitue à son époque et dans son pays l'erreur la plus commune, comme il se serait rallié à une autre, s'il avait vécu dans un autre temps ou dans un autre lieu. Et, au-delà de son cas personnel, il nous explique une fois de plus pourquoi dans tous les temps et dans tous les lieux les hommes ont toujours cru aux choses les plus incroyables. L'homme a besoin de réponses, il a besoin de certitudes, et quand il n'y a pas de réponses satisfaisantes, il se contente trop souvent de fables et se raccroche trop volontiers à des légendes. …… Concluons donc sur ce premier point, que Pascal a très certainement raison lorsqu'il dit que l'homme aspire à la vérité et qu'il ne peut l'atteindre. Malheureusement, pour lui, il a encore beaucoup plus raison qu'il ne le pense lui-même. Car, s'il croit, lui, savoir où est la vérité, c'est parce qu'il se laisse lui-même abuser par les puissances trompeuses qu'il a si vigoureusement dénoncées et parce qu'il refuse de regarder lui-même vraiment en face cette « disporportion de l'homme » qu'il brandit si malencontreusement pour ébranler l'incrédule. Aussi, loin de préparer l'incrédule à accepter la vérité qu'il entend lui proposer ensuite, lui donne-t-il à l'avance les meilleures raisons de la récuser. Vraiment, ô Blaise, vraiment, on se demande à quoi tu penses. …… Qu'en est-il du second point ? Est-il vrai que l'homme n'atteint jamais le bonheur auquel il aspire, comme Pascal l'affirme avec tant de force dans le fragment 425-148-181 : « Tous les hommes recherchent d'être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu'ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. […] La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes jusqu'à ceux qui vont se pendre. Et cependant depuis un si grand nombre d'années jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions ». On le voit, pour Pascal, celui qui semble tout avoir pour être heureux, jeunesse, santé, savoir, richesse, noblesse, ne trouve pas plus le bonheur que celui à qui tout manque. C'est que, comme il le dit dans le fragment 139-136-168, « ou on pense aux misères qu'on a ou à celles qui nous menacent [27]». Ainsi toutes les situations, toutes les conditions sont finalement équivalentes, car toutes les satisfactions, tous les plaisirs, tous les biens terrestres étant toujours précaires et éphémères, il en résulte que, si l'on est d'autant plus insatisfait qu'on en a moins, on est aussi d'autant plus inquiet qu'on en a plus. Et celui qui a tout est aussi celui qui risque à tout instant de tout perdre. …… C'est pourquoi, alors que pour être vraiment heureux, il faudrait d'abord qu'il vive vraiment, et pour ce faire qu'il vive dans le seul temps vraiment réel, le présent, l'homme en est réduit à fuir le présent. « Le présent d'ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige; et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper », dit Pascal dans le fragment 172-47-80, après avoir affirmé que l'homme ne vit jamais dans le présent, parce qu'il vit toujours dans le regret du passé ou dans l'attente de l'avenir : « Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l'arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste ». On le voit, dans ce début du fragment, Pascal semble mettre sur le même plan le regret du passé et l'attente de l'avenir qui contribueraient dans la même proportion à nous détourner du présent. Et l'on pourrait s'en étonner puisque, du moins pour la grande majorité des hommes, c'est, semble-t-il, l'attente de l'avenir beaucoup plus que le regret du passé qui les empêche de penser au présent. Mais Pascal y a pensé, puisqu'il conclut en disant : « Le présent n'est jamais notre fin […] le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais ». …… Mais malheureusement la pensée de l'avenir n'est un refuge contre les déceptions, les inquiétudes et les souffrances que le présent peut nous causer, qu'à la condition de s'arrêter à temps et de ne pas la pousser trop loin. Car l'avenir de tout homme se termine toujours de la même façon. Non seulement celui qui a tout pour être heureux risque aussi à chaque instant de tout perdre, mais il est même assuré qu'un jour viendra où il perdra tout, puisqu'il sait que, comme le dit Pascal dans le fragment 210-165-197 : « le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais ». Aussi la mort est-elle, bien sûr, l'argument le plus fort que Pascal puisse invoquer pour convaincre l'homme de la misère de sa condition et il s'en sert d'une manière particulièrement saisissante dans le fragment 199-434-686 : « Qu'on s'imagine un nombre d'hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant l'un l'autre, avec douleur et sans espérance, attendent à leur tour ». …… La condition de l'homme est donc si misérable qu'il ne peut la regarder en face sans tomber dans le désespoir, comme le dit Pascal dans le fragment 131-622-515 : « Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passion, sans affaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l'ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir ». Aussi s'emploie-t-il à ne pas y penser et, selon Pascal, il ne s'emploie en réalité pendant toute sa vie qu'à cela, toutes les activités humaines, des plus futiles aux plus sérieuses, relevant de ce qu'il appelle le 'divertissement', dans la mesure où elles n'ont toutes pour fin réelle que de nous permettre de fuir « le malheur naturel de notre condition faible et mortelle et si misérable que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près » (139-136-168 [28]). L'homme croit poursuivre des buts précis, alors qu'il n'agit jamais en réalité que pour agir, c'est-à-dire que pour s'étourdir et s'empêcher de réfléchir à sa condition, ce qui fait dire à Pascal qu'on « aime mieux la chasse que la prise [29]» , que « rien ne nous plaît que le combat mais non pas la victoire », que « nous ne cherchons jamais les choses mais la recherche des choses » (135-773-637). …… Au total, la peinture que Pascal nous présente de notre condition est assurément très noire. Est-elle ou non trop noire, et dans quelle mesure ? Est-il vrai que tout le monde cherche le bonheur et que personne ne le trouve jamais ? Il serait, me semble-t-il, difficile de nier qu'il n'y ait une part, et même une large part, de vérité dans cette affirmation. Si l'on parle d'un bonheur absolu, plein et sans mélange, il est clair que personne ne le connaît jamais, que personne ne l'a jamais connu. Tout homme, s'il est sincère, est bien obligé d'avouer qu'il n'a jamais goûté au bonheur dont il avait rêvé. Pour ma part, je ne pourrais pas dire à quel moment précis je l'ai clairement compris, mais, plus ou moins confusément, j'ai toujours eu le sentiment qu'il y avait une chose pour laquelle j'étais vraiment fait, et que c'était même la seule chose pour laquelle j'étais vraiment fait; j'ai toujours cru, j'ai toujours su que j'avais vraiment une vocation. Cette vocation, c'était tout simplement, tout bonnement, tout bêtement de nager, de nager tous les jours que Dieu fait, et il en fait tous les jours, de nager par tous les temps, qu'il fasse soleil, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige, de nager du matin au soir et du soir au matin, de nager sans cesse, de nager sans trêve, de nager sans fin, de nager non pas dans une piscine, non pas dans un lac, dans une rivière ou dans la mer : ma vraie vocation ma seule vocation, c'était de nager, de nager et de nager… dans la joie. Hé bien, je te le concède, ô Blaise, cette vocation, je ne l'ai jamais réalisée. …… D'ailleurs dans la mesure où l'incrédule a commencé par admettre qu'il est incapable de répondre aux questions qui l'intéressent le plus, comment pourrait-il ensuite prétendre qu'il est tout à fait satisfait de sa condition ? Reconnaître que l'homme est incapable d'atteindre à la vérité, c'est déjà reconnaître qu'il est incapable d'atteindre au vrai bonheur. Certes on peut trouver que Pascal noircit un peu trop le tableau. Ainsi, on peut se demander si l'on ne pourrait pas retourner, pour leur donner un sens optimiste, les dilemmes dans lesquels il entend nous enfermer. C'est ce que fait Roger-E Lacombe : lorsque Pascal nous dit : « Ou bien le présent nous afflige, ou bien, s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper », il fait remarquer qu'on pourrait aussi bien dire : « Ou bien le présent nous est agréable ou bien, s'il nous est pénible, nous nous consolons en songeant qu'il disparaîtra », de même qu'au lieu de dire : « Ou l'on pense aux misères qu'on a ou à celles qui nous menacent », on pourrait dire : « Ou l'on pense au bonheur dont on jouit ou à celui dont on espère jouir [30]». …… De même, s'il est vrai que l'homme a tendance à vivre souvent dans le futur plutôt que dans le présent, ainsi que d'autres l'avaient dit avant lui, comme Sénèque [31] et Montaigne [32] dont il s'inspire, et ainsi que d'autres le rediront après lui, comme La Bruyère [33], on peut trouver que la conclusion qu'en tire Pascal, à savoir que l'homme n'est jamais heureux, est, elle aussi, trop pessimiste. On peut considérer, en effet, qu'espérer être heureux, c'est déjà une certaine forme de bonheur, même si elle est très imparfaite : tant qu'on espère être heureux, du moins n'est-on pas entièrement malheureux. Bien qu'il soit lui-même assez peu porté à voir la vie en rose, La Rochefoucauld n'en estime pas moins que « l'espérance, toute trompeuse qu'elle est, sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un chemin agréable [34]». De plus, on ne saurait affirmer, comme le fait Pascal, que « nous ne nous tenons jamais au temps présent », et il est facile sur ce point d'opposer Pascal à lui-même, puisque, dans son désir de prouver que la condition humaine est foncièrement misérable, il n'hésite pas à utiliser parfois des arguments qui sont tout à fait contradictoires. Quand on lit, en effet, tous les fragments sur le divertissement, on se dit que beaucoup de gens arrivent très facilement à vivre dans le présent., et cela alors même qu'ils devraient, semble-t-il, avoir les plus grandes difficultés à le faire. …… C'est assurément le cas de l'homme que Pascal nous dépeint dans le fragment 139-136-168 : « D'où vient que cet homme, qui a perdu depuis peu de mois son fils unique et qui accablé de procès et de querelles était ce matin si troublé, n'y pense plus maintenant ? Ne vous en étonnez pas, il est tout occupé à voir par où passera ce sanglier que les chiens poursuivent avec tant d'ardeur depuis six heures. Il n'en faut pas davantage. L'homme, quelque plein de tristesse qu'il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps-là [35]». On le voit, pour mieux montrer la force et l'efficacité du divertissement, Pascal imagine un cas tout à fait exemplaire. Voilà, en effet, un homme qui a de très fortes raisons de penser à la fois au passé et à l'avenir (il a perdu très récemment son fils unique et il est « accablé de procès et de querelles »). Il devrait donc lui être particulièrement difficile de s'intéresser au présent, et l'on pourrait croire, du moins, que seul un événement ou une circonstance d'un intérêt ou d'un caractère tout à fait exceptionnel pourraient l'arracher à son chagrin et à ses soucis. Or la question pour laquelle il se passionne, celle de savoir par où va passer un sanglier, au point d'en oublier tout le reste, est apparemment bien futile. On pourrait croire aussi qu'il ne saurait se laisser distraire ainsi de son chagrin et de ses soucis que pour un temps très court. Or Pascal précise que les chiens poursuivent le sanglier « depuis six heures ». Il y a donc déjà six heures que la chasse bat vraiment son plein. Mais ce sanglier n'a sans doute pas été levé tout de suite, et, si, de plus, l'on tient compte des préparatifs, on peut penser qu'il y a peut-être huit heures déjà ou davantage que notre homme est distrait par cette partie de chasse; et cela peut durer quelque temps encore. On peut penser enfin que, quand il rentrera chez lui, la fatigue d'une longue journée lui permettra de trouver dans le sommeil, pendant quelques heures encore, l'oubli du passé et de l'avenir. Pascal voudrait-il montrer que, tout compte fait, l'homme est une créature bien adaptée à sa condition, puisque des distractions parfaitement futiles peuvent si aisément lui faire oublier de grandes douleurs et de grands soucis, il ne s'y prendrait pas autrement. …… Dans sa volonté de rabaisser l'homme, Pascal le présente comme un être essentiellement futile, puisque « la moindre chose comme un billard et une balle qu'il pousse suffisent pour le divertir » (139-136-168 [36]). Mais pour mieux montrer sa misère, il le présente aussi comme un être toujours insatisfait et angoissé, et, à cause de cela, incapable de s'attacher au présent. Or on ne peut pas dire à la fois que nous ne vivons jamais dans le présent et que la moindre chose suffit pour nous divertir; on ne peut pas prétendre, comme le fait Pascal, que l'homme en général est profondément, foncièrement futile et en même temps qu'il est profondément, foncièrement insatisfait et angoissé. Pascal peut estimer que les hommes qui se passionnent pour la chasse, le billard ou le jeu, sont des êtres futiles, mais du moins vivent-ils dans le présent, chaque fois qu'ils s'adonnent à leur passion, et peuvent-ils trouver ainsi une certaine forme de bonheur. …… Beaucoup d'hommes, pour ne pas dire la plupart des hommes, n'ont d'ailleurs aucun besoin de s'adonner à un passe-temps ou à une passion pour vivre dans le présent. Les dures nécessités de l'existence qui les obligent à travailler très dur pour assurer leur subsistance et celle de leur famille, ne leur laissent guère le loisir de s'évader du présent. On peut donc penser que, s'il avait eu le temps de poursuivre son travail et de pousser sa réflexion plus avant, Pascal aurait certainement compris qu'il lui fallait fortement atténuer et nuancer la thèse qu'il avait énoncée dans le fragment 172-47-80. Et il l'aurait sans doute fait d'autant plus volontiers qu'il n'avait, en réalité, pas besoin d'affirmer que nous ne vivons jamais dans le présent pour pouvoir prétendre que nous ne pouvons pas regarder notre condition en face. Car, en contraignant beaucoup d'hommes à vivre dans le présent, le besoin leur évite aussi de pouvoir penser à leur condition. C'est le sens du fragment 130-415-34 : « Quand un soldat se plaint de la peine qu'il a ou un laboureur, etc… qu'on les mette sans rien faire ». Plus une activité est pénible, contraignante, assujettissante, et plus elle nous empêche de penser à nous. …… Mais on peut penser que, si, aux yeux de Pascal, toutes les activités des hommes, celles qui leur sont imposées par la nécessité comme celles qu'ils choisissent librement, relèvent du divertissement puisqu'elles ont pour effet ou pour but principal de les détourner de penser à leur condition, c'est parce que lui-même, quand il écrit les Pensées, a achevé de se détacher de tous les intérêts terrestres, comme le dit fort bien Roger-E. Lacombe : « Pour Pascal, puisque le seul bonheur valable est celui que promet le christianisme dans la vie éternelle, la seule activité sérieuse en cette vie est celle qui a pour objet le salut. Tout le reste, l'art que Pascal n'a jamais aimé, la science qu'il avait aimée mais n'aimait plus, la poursuite d'un idéal social qu'il ne prenait pas au sérieux, la joie de fonder une famille qu'il n'a jamais connue et sans doute jamais souhaitée, tout ce qui fait la vie des meilleurs des incrédules, Pascal l'a ignoré ou méprisé : il ne pouvait y voir qu'un divertissement [37]». …… On peut, avec Roger-E. Lacombe, ne pas partager ce sentiment et estimer que toutes les activités humaines ne sont pas seulement des activités négatives en ce sens que leur fonction essentielle serait de nous empêcher de penser à notre condition. On peut juger que, contrairement à ce que pense Pascal, tous les plaisirs terrestres ne sont pas foncièrement décevants, à l'exception de ceux, bien peu folichons, qu'on peut goûter dans la religion. On peut, quand il les condamne en bloc dans le fragment sur le pari, en décidant qu'ils sont tous « empestés [38]», avoir envie de protester et de lui dire : « Tu déblatères, ô Blaise, tu pestes, tu tempêtes, tu vitupères contre les plaisirs terrestres que tu détestes, et tu décrètes qu'ils sont tous empestés. Mais qu'il ne t'en déplaise, ô Blaise, tous les plaisirs terrestres ne sont pas empestés et les plus pauvres d'entre eux valent sans doute encore mieux que les piètres plaisirs que tu leur préfères : l'eau bénite et l'abêtissement ». …… Mais, bien sûr, à défaut d'être nécessairement empestés, les plaisirs terrestres sont tous périssables et détruits par la mort. Si heureuse, si remplie de satisfactions de toute sorte que puisse être une existence, elle n'en finit pas moins comme toutes les autres, et c'est évidemment l'argument majeur de Pascal. Certes, l'attitude de l'incrédule en face de la mort ne saurait être celle que Pascal lui prête, lorsqu'il lui fait dire dans le fragment 194-427-681 : « Comme je ne sais d'où je viens aussi je ne sais où je vais; et je sais seulement qu'en sortant de ce monde, je tombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en partage [39]». Pascal n'envisage pour l'incrédule que deux possibilités : le néant et l'enfer, et ces deux possibilités sont mises quasiment sur le même plan, la première étant pour Pascal presque aussi effrayante que la seconde. Mais l'incrédule ne saurait redouter ni l'enfer ni le néant. Il ne saurait redouter l'enfer, du moins en tant qu'incrédule, car, quand bien même, et cette hypothèse lui paraît bien peu vraisemblable, il devrait rendre compte de ses actes après sa mort, ce ne serait, en tout cas, ni au dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et de Pascal, ni à Allah, ni au dieu de quelque religion que ce soit, et il ne voit vraiment pas comment on pourrait lui reprocher de s'être servi du cerveau qui lui avait été fourni et d'avoir refusé, de ce fait, d'adhérer à des croyances parfaitement ridicules. Quant au néant, dont l'hypothèse lui paraît, en revanche, nettement plus probable, l'incroyant ne saurait éprouver à son égard l'espèce de terreur qu'il inspire à Pascal, lequel ne peut s'empêcher de se le représenter comme une forme seulement atténuée de l'enfer, puisqu'on y « tombe pour jamais ». …… Car le néant n'est pas le « grand gouffre » dont parle Bossuet et c'est seulement pour le poète qu'il est « vaste et noir ». Le néant n'est pas un tunnel dont on ne verrait jamais la fin. Toutes les images, toutes les comparaisons, toutes les métaphores que l'on utilise à son sujet sont par nature impropres. On ne « tombe » pas dans le néant, on ne « descend » pas dans le néant, on n'y « entre » même pas. On ne saurait donc le faire « pour jamais ». Comme cela lui arrive si souvent, Pascal tombe lui-même dans la faute qu'il reproche à ceux qui « font de fausses fenêtres pour la symétrie » (27-559-466). Ce qui est vrai de l'enfer, du moins s'il existe, ne l'est pas du néant et c'est d'une manière totalement abusive que Pascal les met ici en parallèle, comme il l'avait déjà fait un peu plus haut lorsqu'il écrivait : « la mort, qui nous menace à chaque instant, doit infailliblement nous mettre dans peu d'années dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis ou maheureux » (194-427-681 [40]). Assurément, si l'on doit être malheureux, et même infiniment malheureux, comme on l'est en enfer, c'est une chose « horrible » de l'être « éternellement ». Mais on n'est pas « éternellement anéanti »: on l'est instantanément; bien loin d'être éternel, le néant est dépourvu de toute durée. Avec lui tout finit au moment même où ça commence, tout est fini avant même d'avoir commencé. Pascal n'arrive pas à comprendre que le néant n'est rien. « Il est indubitable, écrit-il, que le temps de cette vie n'est qu'un instant, que l'état de la mort est éternel de quelque nature qu'il puisse être » (195-428-682). Certes la vie n'est rien par rapport à l'éternité, et Pascal a raison, si, comme il le croit, l'âme est immortelle et se retrouvera pour toujours au paradis ou en enfer. Mais il a tort de considérer qu'il en est de même, si ce qui nous attend c'est le néant. Or c'est ce qu'il fait puisqu'il dit que « l'état de la mort est éternel de quelle nature qu'il puisse être ». Dans ce cas, ce n'est plus la vie, mais la mort qui n'est plus rien. Si longue qu'elle puisse être, une vie n'est rien en face de l'éternité; mais le néant n'est rien en face d'une vie, si brève qu'elle puisse être. Le néant n'est pas un « état éternel »; il n'est même pas un « état »: il est bien plutôt la négation de tout « état ». …… Pascal qui a dénoncé si vivement l'imagination comme une « maîtresse d'erreurs et de faussetés », est lui-même victime de son imagination qui lui fait se représenter le néant comme une autre vie qui durerait éternellement, comme celle des élus ou celle des damnés. Et c'est pourquoi l'idée du néant lui fait tellement horreur. Mais, si le néant est assurément incapable de nous apporter la plus légère satisfaction, il est tout aussi incapable de nous causer le plus petit désagrément. Totale et définitive, l'innocuité du néant est la mieux garantie qui soit. Même l'éternel insatisfait, le râleur né, le rouspéteur invétéré, tout le monde s'y fait. Tout le monde s'y fait très bien, tout le monde s'y fait très vite, tout le monde s'y fait une fois pour toutes. Aussi la perspective de son anéantissement ne saurait-elle inspirer au mécréant ni angoisse, ni frayeur, ni la moinde inquiétude. …… Mais ne pas être inquiet est une chose; être tout à fait satisfait en est une autre. Certes, dès qu'on sera dans le néant, il se chargera de nous faire oublier immédiatement, complètement et définitivement tous les griefs que l'on aura pu nourrir contre lui. Cependant, tant qu'on n'y est pas, on peut légitimement estimer, me semble-t-il, que le néant est une solution assurément commode, économique, facile à mettre en œuvre (on ne saurait en dire autant de la Résurrection!), mais qui n'en présente pas moins de graves et très fâcheuses insuffisances. Sans parler des raisons affectives - qui sont pourtant les plus fortes, car, soyons francs, quel incrédule admet vraiment la mort d'un proche ? - il y a des raisons morales de ne pas être entièrement content. Quand on pense à tant et tant de millions d'hommes qui n'ont connu que la misère et la souffrance, à tant d'êtres qui auraient été si heureux de l'être un peu, comment ne pas se dire qu'avant d'entrer dans le néant, ils auraient bien eu droit aussi à connaître un moment le goût du bonheur ? Et comment ne pas se dire, en même temps, que, grâce au néant, Hitler, Staline et beaucoup d'autres, eux, s'en tirent vraiment à trop bon compte ? S'il est sans doute vrai qu'aucun homme ne peut avoir tout à fait mérité ce que l'Eglise a si longtemps promis, et promet parfois encore, à ceux dont le seul tort était de ne pas croire à ce qu'elle enseigne, voire de n'en avoir pas été informés, c'est-à-dire des souffrances infinies en durée et en intensité, on peut pourtant regretter que le néant assure une impunité totale et définitive à tant de crimes, ceux des puissants le plus souvent, qui n'ont pas été payés. …… De plus, si le néant met dans le même sac les criminels et leurs victimes, les croyants et les incroyants aussi y sont traités de la même façon. Et ce n'est pas très juste. Car enfin, si jamais il y a une autre vie après la mort, les croyants sauront qu'ils ont eu raison et les incroyants sauront qu'ils ont eu tort. Et l'on peut compter sur les croyants pour avoir le triomphe bien peu discret. Ils seront plus bassinants que jamais. Il nous faudra supporter d'entendre Maurice Clavel clamer pendant toute l'éternité : « Dieu est Dieu, nom de Dieu ! » et on aura toujours André Frossard à nos trousses pour nous tirer par la veste et nous dire : « Je vous l'avais bient dit que je L'avais rencontré ». Mais les plus pénibles seront sans doute les Bossuet et les Claudel, sans parler de Pascal lui-même et des fous de Dieu de toute sorte : se les farcir pendant toute l'éternité sera assurément un enfer ! En revanche, s'il n'y a rien après la mort, les croyants ne sauront jamais qu'ils se sont trompés. Certes, pour tous ceux qui n'ont pas eu la possibilité de faire des études, pour tous ceux qui n'ont pas eu le loisir de s'interroger sur les prétendues 'vérités' qu'on leur avait enseignées, il vaut mieux qu'ils ne sachent jamais qu'on les avait abusés. Mais pour tous les autres, pour tous les intellectuels, les philosophes et les écrivains croyants, pour les talapoins de tout poil, pour tous les druides, tous les lamas, pour tous les lévites, tous les rabbins, tous les imans, tous les muftis, tous les mollahs, tous les ayatollahs, pour tous les moines, toutes les nonnes, tous les ermites, pour tous les popes, tous les pasteurs, tous les prêtres, tous les évêques, tous les archevêques, tous les cardinaux, pour tous les pontifes, pour tous les papes, pour tous ceux surtout qui ont expédié dans ce qu'ils croyaient être l'autre monde ceux qui n'y croyaient pas, il serait pour le moins souhaitable qu'avant d'entrer dans le néant, ils en fussent dûment avertis et qu'on leur laissât bien le temps d'en digérer l'idée. …… Enfin, si nous devons entrer dans le néant, nous n'aurons jamais de réponse aux questions que nous nous sommes vainement posées toute notre vie. Puisque, sans nous demander notre avis, on nous a fait jouer un rôle, si court, si insignifiant qu'il fût, dans le grand scénario, on devrait nous permettre au moins de le feuilleter rapidement. On devrait nous expliquer, fût-ce très sommairement, comment cela a commencé et nous dire, en gros, quelle sera la suite. J'admets fort bien qu'on ne veuille pas nous la révéler tant que nous sommes en vie. Cela ne me paraît guère possible et ne serait sans doute pas souhaitable. Je me dis souvent, en effet, que, si les hommes préhistoriques avaient su qu'il étaient préhistoriques, ils auraient probablement tous fait de la dépression; beaucoup se seraient suicidés, les autres auraient dépéri et l'espèce se serait éteinte. Mais la moindre des choses - malheureusement je ne crois guère que cela ait été prévu - serait, au tout dernier moment, juste avant d'entrer dans le néant, de nous résumer les épisodes à venir et, par la même occasion, de nous donner fût-ce très sommairement, tous les éclaircissements auxquels indiscutablement nous aurions droit. …… C'est pourquoi, tout compte fait, même si l'on peut parfois le mettre en contradiction avec lui-même, même si l'on peut contester telle ou telle de ses affirmations ou juger très excessif tel ou tel de ses propos, il se pourrait bien que, pour l'essentiel, Pascal ait raison. Il a sans doute tort de dire que toutes les activités humaines sont des divertissements dans la mesure où elles n'auraient pour but profond, pour but réel que de nous empêcher de regarder en face notre condition, mais il n'a sans doute pas tort de penser qu'elles ont cet effet, et l'on peut, me semble-t-il, lui accorder, ce qui est finalement le point le plus important de sa théorie, à savoir que si nous ne trouvions pas les moyens de penser à autre chose ou si nous n'étions pas obligés de le faire, la vue prolongée de notre condition serait insoutenable. Pourquoi ne pas te l'avouer ? ô Blaise, il ne m'arrive que trop souvent de me rappeler que « je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, ni que moi-même » et que je mourrai sans l'avoir jamais su, et, à chaque fois, je sens monter en moi une colère et sourdre une douleur qui pourraient devenir insupportables, si je ne m'empressais alors de penser à n'importe quoi d'autre. …… Et c'est certainement la meilleure et la seule chose à faire, quoi que puisse dire Pascal, qui écrit dans le fragment 168-133-166 : « Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser ». Il se moque, il ironise : « ils se sont avisés… de n'y point penser ». Ils ont beaucoup cherché et, à force de chercher, ils ont réussi, croient-ils, à trouver enfin la solution : ne plus chercher. Ils ont beaucoup réfléchi pour arriver à la conclusion qu'il fallait avant tout ne pas réfléchir. La solution était simple : ne pas y penser, mais encore fallait-il y penser ! Pascal suggère évidemment que la solution miracle que les hommes croient avoir trouvée, est tout à fait dérisoire et parfaitement absurde : ils se sont crus très futés et très subtils, alors qu'ils étaient futiles et inconscients; ils ont cru être très malins, alors qu'ils ne pouvaient être plus mal avisés. Mais c'est, lui, Pascal qui est singulièrement mal avisé d'ironiser. Quand on arrive à la conclusion que personne n'a de réponse aux questions qu'on se pose, que personne n'en a jamais eue et que selon toute apparence, personne n'en aura jamais, quand on sait que l'on n'a aucune chance de réussir là où tout le monde a toujours échoué, il faudrait être bien mal avisé pour ne pas en conclure qu'il vaut mieux cesser une fois pour toutes de se poser de telles questions. Pascal dit, dans le fragment 395-406-25, qu'il ne peut « approuver que ceux qui cherchent en gémissant ». Mais ô Blaise, à quoi sert de chercher, quand on est sûr de ne pas trouver ? Plutôt que de gémir inutilement, il vaut bien mieux se divertir. …… La condition de l'homme paraît certes profondément anormale, on peut la juger scandaleuse, monstrueuse; mais elle est ce qu'elle est, et il faut avoir le courage de la regarder en face une bonne fois, quitte à ne plus la regarder ensuite que très occasionnellement et du coin de l'œil. C'est ce courage qui manque en réalité à Pascal, comme à tous les croyants. Pascal dénonce le divertissement comme un refus de prendre conscience de notre condition, comme une fuite devant la vérité, mais c'est lui, mais ce sont les croyants qui refusent de prendre vraiment conscience de notre condition et de regarder la vérité en face. Ce sont eux qui pratiquent la forme suprême du divertissement; c'est le refuge dans la foi qui est une fuite devant notre condition. Il est tout à fait légitime, une fois qu'on a pris conscience de notre condition et compris qu'on ne saurait ni l'expliquer ni encore moins la changer, d'en prendre son parti et de s'occuper d'autre chose. C'est l'attitude la plus saine et la plus digne. Il est beaucoup moins légitime, et en tout cas beaucoup moins digne, en revanche, de faire, comme Pascal, seulement semblant de regarder notre condition en face, et de se persuader qu'en réalité « le malheur naturel de notre condition, faible et mortelle, et si misérable que rien ne nous peut consoler lorsque nous y regardons de près » (139-136-168 [41]) n'est qu'apparent, puisqu'il y a un remède à ce malheur et qu'il ne tient qu'à nous d'en prendre connaissance. …… « Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser », nous dit Pascal. Sans doute, mais ils se sont aussi, mais ils se sont surtout avisés d'inventer des dieux et des cultes de toute sortes et d'imaginer qu'il y a après la mort une autre vie qui leur apportera enfin, sous certaines conditions, non seulement les réponses à toutes les questions qu'ils se posent, mais le bonheur sans mélange et sans limites dont ils ont toujours rêvé. Dans son analyse du divertissement, comme il l'avait déjà fait lorsqu'il dénonçait la puissance et les méfaits de l'imagination, Pascal s'abstient d'évoquer les croyances religieuses, qui pourtant devraient lui fournir les exemples les plus probants. C'est que les exemples qui pourraient le mieux illustrer son propos, qui est de montrer que l'homme refuse de regarder sa condition vraiment en face, seraient aussi les plus propres à ruiner par avance l'explication qu'il entend nous donner ensuite de cette condition. …… Car, au total, si, dans la première partie des Pensées, Pascal réussit très largement à nous convaincre, la victoire qu'il remporte ainsi ressemble fort à une victoire à la Pyrrhus. En effet, s'il a voulu nons convaincre du caractère profondément injuste et incompréhensible de la condition humaine, c'était pour nous disposer à apprendre ensuite avec d'autant plus de soulagement, dans la deuxième partie, que ce caractère injuste et incompréhensible était seulement apparent. Or, malheureusement pour lui, au lieu de nous rendre impatients de connaître la réponse qu'il entend nous proposer, il nous convainc qu'il ne saurait y avoir de réponse et il nous donne par avance les moyens de comprendre pourquoi lui-même, ne pouvant se résigner à accepter cette évidence, est prêt à se satisfaire d'une réponse qui n'en est pas une. Pascal a voulu ébranler l'incrédule, saper son assurance, miner son moral pour mieux le disposer à accueillir la solution qu'il va lui offrir. Mais c'est cette solution que par avance il ébranle, cette solution qu'il sape, cette solution qu'il mine. Elle n'avait pourtant, nous allons le voir, vraiment pas besoin de cela.
NOTES : [1] Histoire de la philosophie occidentale, Stock, 1970, tome II, pp. 233-234. [2] On a depuis longtemps relevé les emprunts extrêmement nombreux et souvent quasi littéraux que Pascal fait à Montaigne. Mais ce qu'on n'a pas suffisamment remarqué, me semble-t-il, c'est que Pascal ne semble pas avoir vraiment lu d'autre auteur profane que Montaigne. Pratiquement toutes les citations d'auteurs profanes qu'il fait, quand elles ne sont pas des citations de Montaigne lui-même, sont des citations qu'il a trouvées dans Montaigne, notamment toutes les citations d'auteurs anciens. [3] PP. 363, 504 et 173. [4] PP. 366, 505 et 176. [5] PP. 363, 504 et 174. [6] PP. 363, 504 et 174. [7] Ces deux chiffres sont ceux des éditions Lafuma et Sellier. Brunschvicg ne range pas le Mémorial dans les Pensées, mais dans les Opuscules(pp. 142-143). [8] Voir notamment la liasse XXII, 'Perpétuité'. [9] PP. 368, 505 et 178. [10] Voir l'Epître aux Galates : « […] vous le savez, ce fut une maladie qui me donna l'occasion de vous évangéliser pour la première fois, et malgré l'épreuve que vous était ce corps infirme, vous n'avez marqué ni mépris ni dégoût » (IV, 13, trad. de la Bible de Jérusalem, éditions du Cerf, Paris, 1961. Toutes les citations de la Bible seront faites à partir de cette édition). [11] Voir notamment l'article récent du docteur Pierre Vercelletto 'Extase, crises extatiques, à propos de la maladie de saint Paul et de sainte Thérèse d'Avila' (Epilepsies, 1997, n° 9, pp. 27-39). Mais bien d'autres avant lui étaient arrivés aux mêmes conclusions. [12] On peut observer, avec Roger-E. Lacombe qu' « un certain parallélisme semble avoir existé entre l'état de santé de Pascal et son attitude vis-à-vis du chritianisme. La période de la vie mondaine de Pascal, celle pendant laquelle il s'est éloigné de la religion, semble avoir coïncidé avec une amélioration de son état de santé […] Par contre les deux conversions […] coïncident avec des aggravations de la maladie »(Op. cit., p. 189, note 32). [13] Lettre à André Gide du 1° septembre 1910, dans Paul Claudel et André Gide, Correspondance (1899-1926), Gallimard, 1953, p.150. [14] PP. 350, 526 et 249. [15] PP. 413, 553 et 477. [16] Voir aussi le fragment 67-23-57, intitulé 'Vanité des sciences'. [17] PP. 418-119, 553 et 477-478. [18] PP. 418, 553 et 477. [19] PP. 418, 553 et 476. [20] Par exemple le fragment 207-42-76 : « Combien de royaumes nous ignorent ! » [21] La foi selon Pascal, P.U.F., 1949, tome I, pp. 8 sq. [22] Voir Pascal par lui-même, collection 'Ecrivains de toujours', Edit. du Seuil, 1952, pp. 47-48. [23] Les Pensées de Pascal,, 2° éd., S.E.D.E.S., 1993, p. 321. [24] C'est le cas notamment du fragment 693-198-229 : « En voyant l'aveuglement et la misère de l'homme, en regardant tout l'univers muet et l'homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l'univers, sans savoir qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j'entre en effroi comme un homme qu'on aurait porté endormi dans une île d'éserte et effroyable et qui s'éveillerait sans connaître où il est et sans moyen d'en sortir. Et sur cela j'admire comment on n'entre point en désespoir d'un si misérable état. Je vois d'autres personnes auprès de moi d'une semblable nature, je leur demande s'ils sont mieux instruits que moi; ils me disent que non. Et sur cela ces misérables égarés, ayant regardé autour d'eux et ayant vu quelques objets plaisants, s'y sont donnés et s'y sont attachés. Pour moi, je n'ai pu y prendre d'attache, et, considérant combien il y a plus d'apparence qu'il y a autre chose que ce que je vois, j'ai recherché si ce Dieu n'aurait point laissé quelque marque de soi […] ». Il me semble difficile de ne pas partager l'opinion de M. Leszek Kolakowsky qui écrit : « Nous trouvons 'je' au début et à la fin. Est-il probable que ce soient deux personnes différentes qui parlent, un homme désespéré sans Dieu et puis Pascal qui, lui, a trouvé Dieu ? Non, il s'agit de la même personne; il s'agit de l'expérience effective de Pascal, non d'un procédé rhétorique » (Dieu ne nous doit rien Brève remarque sur la religion de Pascal et l'esprit du jansénisme, Albin Michel, 1997, pp. 295-296). [25] Souvenirs d'enfance et de jeunesse, Le Livre de Poche, 1967, p. 55. [26] PP. 421, 554 et 479. [27] PP. 394, 517 et 218. [28] PP. 390, 516 et 216. [29] Ibid., pp. 391,517 et 216. [30] Op. cit., p. 155 [31] « Stulti vita ingrata est et trepida; tota in futurum fertur» (Ad Lucilium, ép. 15, éd. Les Belles Lettres, 1956, tome I, p. 62); « Non enim vivunt, sed victuri sunt : omnia differunt» (Ibid., ép. 45, tome II, p. 14). [32] « Ceux qui accusent les hommes d'aller toujours béant après les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens présents, et nous rasseoir en ceux-là, comme n'ayant aucune prise sur ce qui est à venir,voire assez moins que nous n'avons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des erreurs humaines […] Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà. La crainte, le désir, l'espérance nous élancent vers l'avenir et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus » (Essais, I, 3, 'Nos affections s'emportent au-delà de nous', édition Villey-Saulnier, P.U.F., 1965, p. 15). [33] « La vie est courte et ennuyeuse : elle se passe toute à désirer. L'on remet à l'avenir son repos et ses joies, à cet âge souvent où les meilleurs biens ont déjà disparu, la santé et la jeunesse. Ce temps arrive, qui nous surprend encore dans les désirs; on en est là quand la fièvre nous saisit et nous éteint; si l'on eût guéri, ce n'était que pour désirer plus longtemps » ( Les Caractères, ch 11, De l'Homme, 19); « Les enfants n'ont ni passé, ni avenir, et, ce qui ne nous arrive guère, ils jouissent du présent » (Ibidem, 51). [34] Maxime 168. [35] PP. 395, 518 et 220. [36] PP. 394, 517 et 218 [37] Op. cit., p. 173. [38] Fragment 233-418-680, pp. 441, 551 et 472. [39] PP. 419, 553 et 477. [40] PP. 417, 553 et 476. [41] PP. 390, 516 et 21
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