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III


Autant, et peut-être plus encore que ce qu'elle croit voir, ce qu'elle croit entendre devrait, si elle était capable de faire preuve d'esprit critique à l'égard de ce qu'elle considère comme des phénomènes surnaturels, la convaincre aisément qu'elle est bien la victime de son imagination. Car ce qu'elle croit entendre ne lui apprend jamais rien qu'elle ne savait ou qu'elle ne croyait déjà. Certes elle affirme souvent que le Christ lui révèle parfois beaucoup de choses très compliquées [1] et fait que les mystères les plus incompréhensibles, et notamment celui de la Trinité [2], lui deviennent soudain parfaitement clairs, au point qu'elle se sentirait capable de soutenir une discussion avec les théologiens les plus réputés [3]. Mais cela ne dure que le temps que dure l'extase [4]. Dès que celle-ci est finie, elle se sent parfaitement incapable de commencer seulement à expliquer si peu que ce soit ce qu'elle comprenait si parfaitement un instant avant [5]. Parfois, dit-elle, elle « se trouve instruite en un instant de tant de choses à la fois qu'eût-elle travaillé de longues années à les agencer à l'aide de l'imagination et de l'intelligence, elle n'aurait pu en produire la millième partie [6]». Malheureusement, loin de pouvoir nous en dire ne serait-ce que la millième partie, elle ne peut jamais rien nous en dire du tout. Comment ne pas en conclure qu'en réalité elle n'en a rien compris du tout, mais qu'elle a seulement rêvé qu'elle comprenait, comme pendant son sommeil, on croit fermement que l'on vole ou que l'on fait des choses que l'on est tout à fait incapable de faire quand on est éveillé ?

Qu'elle ne se souvienne jamais de ce que le Christ lui dit, quand il s'agit de choses très importantes et très difficiles, est d'autant plus étonnant qu'elle s'en souvient toujours parfaitement lorsqu'il ne lui dit que des banalités ou des fadaises. Elle est incapable de reproduire ses propos quand il lui révèle de profonds mystères, mais elle les répète fidèlement quand il enfonce des portes ouvertes ou débite des lieux communs. Elle prétend que le Christ lui-même lui demande parfois de noter soigneusement ce qu'il lui dit pour que cela puisse servir aux autres [7], mais les propos qu'elle nous rapporte ne sauraient rien apprendre à personne, comme ils ne lui apprennent rien à elle-même. Le Christ ne fait que lui répéter ce qu'on lui a appris, il ne fait que lui dire ce qu'elle se dit sans cesse à elle-même et qu'on n'a cessé de lui ressasser depuis qu'elle est enfant. On n'a cessé de lui dire que, pour accepter ses souffrances, il faut penser à celles du Christ, toutes nos souffrances, si grandes qu'elles puissent être, n'étant jamais rien à côté des siennes, et le Christ se plaît à le lui rappeler avec insistance [8]. On lui a toujours dit qu'il ne faut pas imaginer les choses spirituelles à partir des choses temporelles et le Christ ne manque pas de le lui confirmer [9]. S'il arrive au Christ de citer saint Paul, c'est un passage qu'elle connaît bien [10]. Pour lui apprendre quelque chose, il aurait mieux fait de lui citer un passage qu'elle ne connaissait pas. Bien entendu il ne songe jamais à lui citer des auteurs qu'elle n'a jamais lus ou qu'elle n'a jamais entendus citer. Il ne songe non plus jamais à lui dire que sa mère n'était pas vierge et qu'il avait des frères et des sœurs. Il lui aurait pourtant appris quelque chose et lui aurait permis, en lui révélant ce que les chrétiens d'aujourd'hui sont tous les jours un peu plus nombreux à admettre, d'être pour une fois en avance sur son temps. À quoi sert que le Christ lui parle, s'il ne corrige jamais ses erreurs, s'il ne comble jamais ses ignorances ?

Bien loin de lui apprendre quoi que ce soit, le Christ, lorsqu'il lui parle, semble se complaire dans les lapalissades ou les platitudes comme « Cette courte vie prend fin [11]»; « Songe, ma fille qu'après ta mort tu ne pourras plus accomplir pour mon service ce que tu fais maintenant [12]»; « La véritable domination consiste à ne rien posséder [13]»; « Tu te tromperas beaucoup, ma fille, si tu as égard aux lois du monde [14]»; « Efforce-toi d'avoir une intention droite en toutes choses, et d'être détachée [15]». Et l'on pourrait en citer beaucoup d'autres [16]. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la culture du Christ de Thérèse d'Avila doit laisser beaucoup à désirer. S'il avait lu quelques bons auteurs, il n'aurait jamais osé énoncer, sur un ton pénétré, de pareilles pauvretés.

Ces pauvretés reflètent, bien sûr, celles que Thérèse d'Avila a elle-même lues ou entendues et qu'elle ne manque pas de répéter à ses religieuses. Les propos du Christ semblent, d'ailleurs, faire bien souvent écho aux siens. Ainsi, elle raconte comment, alors qu'elle s'inquiétait à la pensée que les faveurs que Dieu lui accordait, ne vinssent à s'ébruiter, le Christ a su la rassurer : « Un jour que j'étais plus désolée qu'à l'ordinaire, Notre-Seigneur me demanda ce que je craignais, car de deux choses l'une : ou l'on murmurerait contre moi, ou on lui rendrait gloire, voulant par là me faire comprendre que ceux qui ajouteraient foi à ces faveurs l'en béniraient et que les autres me condamneraient sans sujet. Ainsi, d'une façon comme de l'autre, il y avait profit pour moi; je n'avais donc nul motif de m'affliger. Ces paroles me tranquillisèrent, et elles me consolent encore toutes les fois que j'y pense [17]». Or le dilemme auquel le Christ a ici recours pour la réconforter, rappelle celui auquel elle avait eu naturellement recours elle-même lorsqu'on lui disait que le démon était sans doute à l'origine de ses visions : « Si c'était Dieu qui agissait, le profit était clair; si c'était le démon, tant que je tâcherais de plaire à Notre-Seigneur et de ne pas l'offenser, l'ennemi ne pourrait me nuire que fort peu, et même il ne ferait qu'y perdre [18]». Quand le Christ lui donne des instructions pour l'organisation et le gouvernement de ses monastères, on s'aperçoit qu'il partage tout à fait les préoccupations qu'elle exprime elle-même sans cesse dans ses livres et dans sa correspondance et prône les mêmes règles de conduite [19].

Mais si le Christ aime à lui dire ce qu'elle se dit à elle-même, ce n'est pas seulement lorsque ses propos font effectivement écho à ce qu'elle écrit. Même quand ce n'est pas le cas, il est souvent bien facile de deviner qu'elle lui prête ses propres sentiments ou ses propres raisonnements. C'est tout à fait évident lorsque, s'étonnant de ne plus avoir de ravissements en public, elle entend le Christ lui dire : « Cela ne convient point maintenant; tu as assez de crédit pour ce que je prétends. Nous avons égard à la faiblesse de ceux qui interprètent tout avec malignité [20]». Elle regrette manifestement de ne plus avoir de ravissements en public, et elle essaie de se consoler en se disant, d'une part, que sa réputation de sainte et de visionnaire est maintenant suffisamment bien établie, et, d'autre part, que ce qui la sert auprès des uns, les "spirituels", peut lui nuire auprès des autres. C'est encore le cas lorsque, regrettant que son confesseur n'ait pas assez de temps à lui consacrer, elle s'inquiète alors que ce regret ne soit le signe qu'elle n'est pas encore tout à fait détachée du monde, et entend bientôt le Christ qui la rassure : « Comme, d'autre part, il me semble que je n'ai d'attache à aucune créature en ce monde, j'en eus du scrupule et me demandai si je ne commençais pas à perdre quelque chose de cette parfaite liberté. Ceci se passait hier au soir. Aujourd'hui Notre-Seigneur a répondu à ma pensée et m'a dit "de ne pas m'étonner : de même que les mortels désirent trouver avec qui s'entretenir de leurs satisfactions sensibles, ainsi l'âme, lorsqu'elle a quelqu'un qui la comprend, désire lui communiquer ses joies et ses peines, et elle s'attriste de n'avoir personne avec qui le faire" [21]». De même, quand le Christ lui dit : « Que craignez-vous ? Pouvez-vous perdre autre chose que vos vies ? Et vous me les avez tant de fois offertes! [22]», il ne fait que lui dire ce qu'elle se dit à elle-même et ce qu'elle dit à ses religieuses quand, en voyage surtout, il leur arrive d'avoir peur [23].

Comme le font souvent les humains et comme elle le fait elle-même, le Christ de Thérèse d'Avila ne craint pas aussi de se contredire parfois. Ainsi tantôt il dit que tout est vrai dans l'Ecriture jusqu'au moindre tilde [24], tantôt pour écarter un passage de saint Paul gênant pour Thérèse, il lui dit qu'il ne faut pas juger d'après un seul passage de l'Ecriture, mais d'après l'ensemble [25]. À l'évidence les propos contradictoires du Christ ne font ici que refléter, une fois de plus, les propos eux-mêmes contradictoires que Thérèse d'Avila a souvent entendus elle-même. Car les catholiques aiment à dire que, la Bible étant la parole de Dieu, tout y est vrai, que chaque verset, chaque mot est chargé de sens. Mais, comme par hasard, dès qu'on leur objecte un passage précis qui se trouve être gênant pour eux, et ils sont légion, alors ils ne manquent de vous répondre sur un ton condescendant qu'il ne faut pas faire un sort à chaque verset, à chaque mot de l'Ecriture, mais savoir prendre un peu de hauteur et avoir une vision plus large.

Mais, si les propos que le Christ tient à Thérèse d'Avila sont généralement affligeants, ce n'est pas seulement par leur contenu : c'est aussi par la forme. Le Christ des Evangiles a le sens de la formule. Rien d'étonnant à cela : pour rassembler des disciples autour de soi, il faut avoir un certain don de la parole et d'ordinaire les gourous ne manquent pas de bagout. Mais ce sens de la formule, le Christ qui s'adresse à Thérèse d'Avila semble l'avoir complètement perdu. Sans doute cela vient-il du fait que, depuis qu'il est remonté, au ciel, l'atmosphère affadissante de la vie paradisiaque a peu à peu déteint sur lui. Quoi qu'il en soit, il n'a vraiment rien d'un orateur, et ne s'exprime jamais que sur un ton plat, paterne et patelin, parfaitement insipide et soporifique. Il parle à Thérèse d'Avila comme elle-même parle à ses religieuses, dans le mauvais style des manuels de piété qu'elle a pu lire ou des sermons qu'elle a entendus [26]. Quand, par hasard, il recherche l'effet de style, le résultat est affligeant, comme en témoigne ce propos : « Ne tiens pas compte du froid. Je suis la chaleur véritable [27]».

Non content de débiter des platitudes, il aime à se plaindre; non content d'être gnan-gnan, il se montre volontiers geignard. Il rappelle avec insistance combien il a souffert [28], il aime à montrer ses plaies [29], il va même jusqu'à se plaindre d'avoir dû parfois coucher à la belle étoile [30]. On peut certes s'étonner que le Christ soit si pleurnicheur, mais on comprend aisément pourquoi, si l'on admet que c'est Thérèse d'Avila qui le fait parler, elle qui passe une bonne partie de son temps à méditer sur la Passion, et à se dire qu'aucune souffrance humaine n'a jamais égalé, ni même approché les souffrances du Christ. N'étant pas croyant je ne suis guère gêné qu'elle fasse dire au Christ tant de fadaises et de niaiseries de religieuse. Mais, si j'étais croyant, je ne manquerais pas de lui en vouloir.

Bien sûr, on peut toujours prétendre que, si Dieu lui parle comme elle parle elle-même, comme parlent ses confesseurs, les prédicateurs qu'elle a entendus ou les auteurs qu'elle a lus, ce n'est pas parce que c'est elle qui le fait parler, mais parce qu'en bon pédagogue, il veut se mettre à sa portée [31]. Mais alors je crains fort qu'il ne se comporte comme ces professeurs si soucieux de rester toujours à la portée de leurs élèves qu'ils évitent soigneusement de leur dire quoi ce soit qui pourrait leur apprendre quelque chose ou les amener si peu que ce soit à réfléchir. Pour vouloir être de parfaits pédagogues, ils en viennent à ne plus être du tout des professeurs. Ce n'est vraiment pas la peine que Dieu lui-même parle sans cesse à une de ses créatures, si ces entretiens ne lui apprennent jamais rien, et ne l'amènent jamais à réfléchir, ne faisant que la confirmer dans des opinions et des croyances dont elle n'a jamais douté et dont elle n'est aucunement tentée de douter.

Mais, si on a du mal à comprendre pourquoi Dieu lui parlerait, on n'a, en revanche, aucun mal à comprendre pourquoi elle le fait parler. Ce qui, en effet, frappe le plus dans les paroles que lui dit le Christ, c'est qu'elles correspondent toujours, même lorsqu'il paraît la contredire, à ce qu'elle a besoin, à ce qu'elle envie d'entendre. C'est le cas, on l'a vu, dès la première parole qu'elle croit entendre de lui et il en sera de même de toutes celles qui suivront. Aussi Mme Rosa Rossi est-elle singulièrement mal inspirée lorsqu'elle écrit à propos de la « voix » que Thérèse d'Avila croit sans cesse entendre : « La "voix" éclairait beaucoup de choses et les disait carrément avec beaucoup de courage. Thérèse était toute joyeuse d'entendre cette voix dans son esprit et d'être complètement d'accord avec elle; ainsi elle pouvait faire "Sa" volonté [32]». Outre que la "voix" n'éclaire jamais rien, la conclusion de Mme Rossi ne serait fondée que si l'on supprimait les guillemets et la majuscule : ce n'est pas "Sa" volonté, c'est-à-dire la volonté de Dieu que Thérèse d'Avila est toute heureuse de pouvoir faire, mais bien sa volonté à elle.

Comme par hasard, c'est presque toujours lorsqu'elle est préoccupée et inquiète qu'elle croit entendre le Christ [33], et ce qu'il lui répond toujours parfaitement à ses préoccupations et à ses inquiétudes [34]. Evoquant les oppositions qu'elle a rencontrées lorsqu'elle a voulu fonder le couvent de Saint-Joseph d'Avila, elle écrit naïvement : « Venais-je à rencontrer quelqu'un qui entrât dans mes vues, je m'en réjouissais beaucoup [35]». À la différence des hommes qui s'opposent souvent à ses vues ou qui, entrent dans certaines de ses vues et s'opposent à d'autres, ou émettent des réserves sur des points de détail, le Christ, lui, entre toujours et totalement dans ses vues [36]. Il ne cesse de l'approuver, il ne cesse de l'encourager et de l'inciter à faire ce qu'elle a envie de faire. Il lui donne toujours raison contre tous ceux, confesseurs, autorités ecclésiastiques, etc. qui veulent s'opposer à ses projets, et la pousse allègrement à ne tenir aucun compte de leurs avis. Toujours à propos de la fondation de Saint Joseph d'Avila, elle écrit ceci : « Il m'est arrivé de me trouver en butte à des tribulations et à des persécutions bien cuisantes […] Au milieu de cette épreuve et de circonstances bien faites pour me troubler, j'entendais Notre-Seigneur m'adresser ces paroles, qui eurent depuis leur entier accomplissement : Pourquoi crains-tu ? Ne sais-tu pas que je suis tout-puissant ? J'accomplirai ce que je t'ai promis. À l'instant, je me sentais remplie d'une telle vigueur, que j'étais prête, dût-il m'en coûter bien davantage, à m'engager pour son service en d'autres entreprises encore et à recommencer tout de nouveau à souffrir. Ceci s'est renouvelé tant de fois que je n'en saurai dire le nombre [37]». Comme elle le dit elle-même, l'appui sans réserves que le Christ lui a apporté lors de sa première fondation, ne s'est jamais démenti par la suite. À chaque fois qu'elle voudra fonder un monastère, non seulement le Christ ne songera pas une fois à l'en dissuader, mais il ne lui dira jamais que des paroles d'approbation et d'encouragement [38].

Mais il convient de revenir sur la fondation de Saint-Joseph d'Avila, car ce couvent, parce que c'était le premier, est celui pour lequel elle a rencontré le plus d'oppositions et a dû le plus lutter. Elle n'a donc jamais eu autant besoin d'être encouragée par le Christ, et celui-ci, l'ayant bien compris, ne lui a sans doute jamais autant adressé de paroles d'approbation et d'encouragement qu'en cette occasion. Non content de l'encourager, il va jusqu'à lui donner « l'ordre exprès » de faire ce qu'elle avait tant envie de faire : « Un jour, après la communion, Notre-Seigneur me donna l'ordre exprès de travailler de toutes mes forces à cette affaire, en me disant, avec de grandes promesses, que le monastère s'établirait et qu'il lui procurerait beaucoup de gloire. "Il devait être dédié à saint Joseph : ce saint nous garderait à une porte, Notre-Dame à l'autre, et lui-même se tiendrait au milieu de nous." Enfin, il voulait que je fisse connaître à mon confesseur ce qui m'était enjoint, en lui disant qu'il le priait de ne pas s'y opposer et de ne point m'empêcher d'en venir à l'exécution [39]». Elle n'attendait évidemment que cet « ordre exprès ». Mais le Christ lui ordonne aussi de dédier son premier couvent à saint Joseph. Est-il besoin de le dire ? en ce faisant, il ne fait, bien sûr, que ratifier un choix qu'elle avait fait depuis le début, ayant pour ce saint, à qui, pense-t-elle, elle doit d'avoir été guérie de la longue et très grave maladie qu'elle avait eue peu après sa profession, une dévotion toute particulière [40]. Enfin le Christ, sachant qu'elle craint fort que son confesseur ne s'oppose à son projet, a l'heureuse idée de lui ordonner de lui dire de ne pas s'y opposer. Assurément le Christ n'aurait pas mieux répondu à ses attentes, si elle lui avait dicté à l'avance ce qu'elle voulait qu'il lui dise.

Rien d'étonnant donc si elle est se sent comblée : « Cette vision produisit en moi de si grands effets, et les paroles de Notre-Seigneur furent telles qu'il me fut impossible de douter qu'elles ne vinssent de lui [41]». On le voit, le fait que les paroles du Christ correspondent exactement à ce qu'elle souhaitait entendre, loin de l'amener à se demander si elles ne seraient pas le produit de sa propre imagination, ne fait, au contraire, que mieux la convaincre qu'elles viennent bien de lui. Le Christ ne va d'ailleurs pas cesser de l'exhorter à agir jusqu'à ce qu'elle se décide à en parler à son confesseur [42]. Et, bien entendu, le Christ ne va pas la laisser tomber dans la lutte qu'elle va devoir mener, mais continuer à l'approuver et a l'encourager d'autant plus qu'elle rencontrera plus d'oppositions [43].

Les vives oppositions qu'elle va rencontrer ne viendront pas seulement du fait qu'elle veut fonder un couvent de déchaussées, mais aussi au fait qu'elle veut le fonder sans revenus. « Selon ma coutume dit-elle, je demandai conseil de plusieurs côtés; mais je ne trouvais presque personne, ni parmi les confesseurs ni parmi les théologiens qui fût de mon avis. On m'opposait tant de raisons que je ne savais que faire [44]». Manifestement, et c'est humain, très humain, quand elle demande un conseil alors qu'elle a très envie de faire quelque chose, elle a du mal à admettre qu'on ne lui conseille pas de faire ce qu'elle a si envie de faire. En dernier recours, elle s'adresse donc à un religieux, le père Pierre Ibanez, dont elle espère une réponse plus conforme à ses vœux : « J'en écrivis à ce religieux dominicain qui nous assistait. Il m'envoya deux feuilles de papier chargées d'arguments et de principes de théologie, pour me dissuader de mon dessein, m'assurant qu'il avait étudié à fond la question. Je lui répondis que, s'il entreprenait de me détourner de la parfaite fidélité à ma vocation, à mon vœu de pauvreté et aux conseils de Jésus-Christ, je renonçais au bénéfice de la théologie et le priais, pour cette fois, de me faire grâce de sa science [45]». Ces lignes sont véritablement ahurissantes, surtout si l'on se souvient qu'elle a fait quelques pages plus haut un très vif éloge de Pierre Ibanez, « mon bon Père dominicain, ce grand théologien à l'avis duquel je pouvais m'en remettre en toute assurance [46]». Elle qui fait le plus grand cas du père Ibanez et de la théologie, qui dit volontiers que les femmes, trop faibles pour pouvoir se permettre d'avoir des opinions personnelles doivent s'en remettre aux théologiens et se laisser guider par eux [47] , voilà que, soudain, déçue par une réponse longuement argumentée mais qui ne correspond pas à ce qu'elle attendait, elle se met à parler de la théologie avec une désinvolture ironique et presque avec mépris !

Heureusement pour elle, quand personne ne veut le faire, le Christ, lui, se montre toujours prêt à entrer pleinement dans ses vues, et c'est ce qui va se produire uns fois de plus : « Un jour, tandis que je recommandais cette affaire à Dieu avec beaucoup d'insistance, Notre-Seigneur me dit que je ne devais nullement hésiter à fonder le monastère sur le pied de la pauvreté, que telle était la volonté de son Père et la sienne et qu'il m'aiderait. Ces paroles que j'entendis dans un grand ravissement firent sur moi une impression si puissante, qu'il me fut impossible de douter le moins du monde qu'elle ne vinssent de Dieu [48]». Une nouvelle fois, au lieu de se demander si elle n'est pas le jouet de son imagination qui lui fait croire qu'elle entend ce qu'elle a envie entendre, elle se persuade au contraire, que ces paroles qui répondent si bien à ses souhaits, ne peuvent venir que de Dieu. Mais, bien que le Christ insiste [49], elle est sur le point de céder et de se prêter à contre-cœur à un arrangement, lorsqu'au dernier moment, le Christ intervient de nouveau pour l'empêcher de faire ce qu'elle n'aurait fait qu'en désespoir de cause : « Enfin l'on en vint à dire que si le couvent avait des revenus, on tolérerait la fondation et nous pourrions la poursuivre. J'étais bien lasse des peines qui pesaient sur nos amis, plus, en vérité, que des miennes; aussi inclinais-je à penser qu'il n'y aurait pas de mal à prendre des revenus en attendant que le calme fût rétabli, sauf à y renoncer ensuite. […] Ainsi je n'étais pas loin de souscrire à cet accommodement. Etant en oraison la veille au soir du jour où l'affaire devait se traiter, et les négociations déjà entamées, Notre-Seigneur me dit de bien me garder de conclure, parce que si nous commencions à prendre des revenus, on ne nous permettrait plus d'y renoncer; à quoi il ajouta d'autres raisons encore [50]». En cette occasion, le Christ reçoit d'ailleurs l'appui de Pierre d'Alcantara, mort depuis peu, qui apparaît à Thérèse d'Avila pour lui dire d'une manière très ferme qu'elle ne devait « sous aucun prétexte […] accepter des revenus [51]».

Si c'est sans doute lors de la fondation de Saint-Joseph d'Avila que le Christ lui donne le plus d'encouragements ou d'instructions, il le fera souvent aussi pour les autres fondations, et, de nouveau, il lui conseillera ou lui ordonnera à chaque fois de faire ce qu'elle a envie de faire, ce qu'au fond d'elle-même elle a déjà décidé de faire. Ce sera notamment le cas lors de la fondation du monastère de Saint-Joseph de Notre-Dame de la Rue à Palencia. Le Christ va tout d'abord intervenir pour la décider à se mettre à l'œuvre, alors qu'elle connaît un moment d'incertitude et de découragement, du moins à ce qu'elle nous dit : « Un jour qu'après avoir communié, j'étais tout aussi indécise, et prête à renoncer à quelque fondation que ce soit, je suppliais Notre-Seigneur de me donner lumière pour accomplir en tout sa volonté, car, je dois le dire, jamais ce grand abattement où j'étais réduite ne refroidissait le moins du monde ces désirs dans mon âme. Le divin Maître me dit alors, avec une sorte de reproche : Que crains-tu ? Quand est-ce que je t'ai manqué ? Je suis le même aujourd'hui que j'ai toujours été. Ne laisse pas de faire ces deux fondations [52]. O grand Dieu ! Que vos paroles sont différentes de celle des hommes ! À l'instant même je me trouvai si résolue et si courageuse que le monde entier n'aurait pas eu le pouvoir de ma faire obstacle [53]». Elle dit qu'elle demande au Christ de l'éclairer afin qu'elle puisse « accomplir en tout sa volonté ». Mais, quand elle demande à Dieu de lui faire connaître sa volonté, comme par hasard celle-ci correspond toujours à sa propre volonté, du moins à sa volonté profonde, même si elle dit, même si elle affecte de croire le contraire. Car, depuis qu'elle s'est mise dans la tête de fonder son premier couvent, sa volonté profonde, sa volonté constante, sa principale raison de vivre, c'est de fonder toujours plus de couvents. Quand donc elle prétend demander à Dieu de lui faire connaître sa volonté, en réalité, elle lui demande de la conforter dans sa propre volonté. Et, si, pour elle, les paroles de Dieu diffèrent de celles des hommes, c'est précisément parce qu'à la différence de celles des hommes, à la différence notamment de celles de ses confesseurs ou de ses supérieurs, il lui dit toujours ce qu'elle veut s'entendre dire. Et, quand il le lui dit sur un ton de reproche, en cela aussi il répond parfaitement à son attente, en l'aidant ainsi à mieux se convaincre que c'est bien lui qui lui parle et non elle qui le fait parler.

Thérèse d'Avila se met alors en quête d'un local et le même phénomène ne manque pas de se reproduire : le Christ semble de nouveau lui dicter une décision alors qu'en réalité il ne fait de nouveau que ratifier la sienne. Ecoutons son récit : « Il y a dans Palencia un lieu de piété, dédié à la sainte Vierge, sorte d'ermitage qu'on appelle Notre-Dame de la Rue […]. Sa Seigneurie [l'évêque de Palencia] et tous nos amis estimèrent que nous serions fort bien auprès de cette église. Il n'y avait aucune maison qui en dépendît, mais tout près il s'en trouvait deux, qui, avec l'église, pouvaient nous suffire […] Je voulus aller les voir, mais elles nous firent si mauvaise impression, à moi et à ceux qui nous accompagnaient, que pour rien au monde je n'aurais pu me décider à les acheter. On a clairement reconnu depuis que le démon y était pour beaucoup, parce qu'il enrageait de nous voir nous établir en ce lieu [54]». On le voit, une fois qu'elle aura pris conscience d'avoir fait une erreur, Thérèse d'Avila ne manquera pas d'en rendre responsable le démon.

En attendant, elle se décide pour une autre maison, celle d'un certain Tamayo, bien qu'elle soit trop petite. Heureusement le Christ va s'en mêler : « Peut-être, poursuit-elle, s'étonnera-t-on de me voir donner tant de détails sur l'acquisition d'une maison. Mais on va voir le but que se proposait le démon en nous détournant de nous établir dans celle de Notre-Dame. Chaque fois que j'y pense, la crainte m'étreint le cœur. Ainsi, je le répète, nous étions tous décidés à prendre la maison de Tamayo, et point d'autre. Mais voici que le lendemain, pendant la messe, je me sens saisie au sujet de notre affaire d'une vive inquiétude, accompagnée d'un trouble qui ne me laisse presque aucun repos durant le saint sacrifice. Je me levai pour aller recevoir le très-saint-Sacrement. À peine l'avais-je reçu que j'entendis ces paroles qui me décidèrent à laisser la maison que j'avais en vue et à prendre celle de Notre-Dame : Celle-ci te convient. J'entrevis la difficulté que j'allais rencontrer, l'affaire étant déjà très avancée et ardemment désirée de ceux qui l'avaient suivie avec tant de dévouement. Mais Notre-Seigneur reprit : Ils ne savent pas combien je suis offensé en ce lieu, et cet établissement y apportera un grand remède. Il me vint à l'esprit que c'était peut-être une illusion, mais je ne pouvais le croire, parce qu'à l'effet produit en mon âme, je reconnaissais clairement l'action de Dieu. aussitôt Notre-Seigneur ajouta : C'est moi. Je me trouvai alors dans une grande paix, et complètement délivrée du trouble qui m'avait agitée [55]». Ce texte est particulièrement révélateur. Thérèse d'Avila veut nous faire croire que c'est le Christ qui l'a fait revenir sur sa décision. Pourtant tout ce quelle nous dit de la « vive inquiétude », dans laquelle elle se trouve, de ce « trouble qui ne [lui] laisse aucun repos », montre clairement qu'elle s'est déjà convaincue qu'elle avait commis une grosse erreur en refusant d'acheter le premier local. En lui disant : « Celle-ci te convient », le Christ lui dit ce que, depuis le début de la messe, elle ne cesse de se dire à elle-même avec de plus en plus de conviction. Mais elle hésite encore parce que l'acquisition du second local est « déjà très avancée ». Heureusement le Christ intervient de nouveau pour lui dire ce qu'elle devra répondre à ceux qui s'étonneraient de son revirement : « Ils ne savent pas combien je suis offensé en ce lieu, et cet établissement y apportera un grand remède ». Mais c'est, bien sûr, l'argument qu'elle avait précisément l'intention de faire valoir. Et c'est justement parce que ce que le Christ lui dit répond trop bien à son attente qu'elle a un petit moment de doute et se demande un court instant si elle n'est pas victime d'une illusion. Qu'à cela ne tienne ! Le Christ n'a qu'à reprendre la parole pour lui dire : « C'est moi », et toute possibilité de doute est aussitôt écartée. On reste confondu par tant de naïveté. On est tout d'abord tenté d'admirer quelle habileté met Thérèse d'Avila à se tromper elle-même. Ensuite on se dit que, tout compte fait, elle n'a pas beaucoup de mérite à tromper quelqu'un d'aussi peu futé.

Mais, ce n'est pas la première fois que le Christ n'a qu'à lui dire : « C'est moi », pour la persuader qu'elle entend bien celui qu'elle croit entendre. Il l'avait déjà fait pour lui donner raison contre tous ceux qui en doutaient. Car, même si c'est surtout à propos de ses fondations qu'il lui manifeste un appui sans réserves, et j'aurai d'ailleurs de nouveau l'occasion de citer des paroles du Christ qui reflètent fidèlement les préoccupations de Thérèse d'Avila sur ce sujet et lui apportent les réponses qu'elle attendait, le Christ n'entre pas dans ses vues seulement quand il s'agit de fonder des couvents : il ne manque pas de lui donner systématiquement raison sur toutes les questions et toutes les fois où elle se trouve en désaccord avec ses confesseurs ou d'autres religieux. Ainsi, quand, elle se demande, dans les premiers temps, si les voix qu'elle entend ou les visions qu'elle a, ne sont pas le produit de son imagination, et que ses confesseurs lui disent, eux, qu'elle viennent du démon, le Christ s'empresse à chaque fois de la rassurer, en lui disant que c'est bien lui qu'elle entend ou qu'elle voit et tous ses doutes disparaissent immédiatement et complètement [56]. On ne saurait trop souligner l'incroyable absence d'esprit critique et de sens logique dont, une fois de plus, fait preuve ici Thérèse d'Avila. Elle ne se demande pas un seul instant comment, si elle n'est pas sûre que le Christ lui parle, elle peut être davantage sûre que c'est bien lui qui lui dit : « C'est moi » ? Elle ne songe pas à se dire que c'est peut-être encore le démon qui se fait passer pour le Christ, ou que, si son imagination a pu la persuader que le Christ lui parlait, elle peut aussi la persuader qu'il lui dit : « C'est moi ». Comment ne pas voir pourtant que c'est là le complément logique de la comédie qu'elle se joue à elle-même ? Après s'être imaginé que le Christ lui parlait, on conçoit qu'elle soit plus portée à imaginer qu'elle entend une voix qui lui dit : « C'est moi », plutôt qu'une voix qui lui dirait : « Ce n'est pas le Christ. Tu devrais te faire soigner ». Mais, quand, pour se persuader qu'elle entend bien le Christ, elle choisit simplement de se persuader qu'elle entend alors celui-ci lui dire : « C'est moi », comment ne pas nous dire, quant à nous, qu'elle se prend vraiment elle-même pour une imbécile, et qu'elle a bien raison de se prendre pour une imbécile, puisque cela marche ?

On ne s'en étonnera pas, le Christ ne lui dit jamais d'obéir aux ordres de ses confesseurs qu'autant qu'elle se sent disposée à le faire. Ainsi, lorsqu'ils lui ordonnent de faire le signe de croix chaque fois qu'elle a une vision, elle accepte, bien qu'à contre-cœur, mais elle ne veut pas entendre parler de renoncer à l'oraison, comme ils le lui ordonnent aussi. Fort heureusement, si le Christ l'approuve d'obéir sur le premier point, il se déclare en total désaccord avec ses confesseurs sur le second [57] et lui dit de le leur faire savoir. Et quand le confesseur résiste encore, le Christ revient à la charge jusqu'à ce qu'il se rende [58]. Mais il peut aussi arriver, à l'occasion, que le Christ lui dise de ne pas suivre le conseil de son confesseur alors que, dit-elle, elle avait envie de le faire. C'est le cas, semble-t-il du moins à premier vue, lorsque son confesseur lui dit un jour qu'elle ferait mieux désormais de garder le silence sur ses visions et sur les paroles qu'elle entend : « Cet avis me plut, dit-elle, car j'éprouvais une peine terrible chaque fois qu'il me fallait les dire à mon confesseur […] Il me fut dit alors "que ce confesseur m'avait très mal conseillée : je ne devais cacher quoi que ce fût à celui qui me conduisait; là était la sécurité; tandis qu'en suivant la conduite contraire, je courrais le risque de me tromper" [59]». Pour une fois, donc, le Christ paraît ne pas entrer dans ses vues. Mais on n'est pas forcé de la croire lorsqu'elle dit qu'elle a envie de suivre le conseil de son confesseur, ou plutôt on peut penser que, si elle peut effectivement ressentir une certaine gêne à se confier à lui et donc éprouver une certaine envie de suivre son conseil, elle n'en doit pas moins éprouver une envie plus forte encore de lui faire connaître les insignes faveurs qu'elle reçoit de Dieu. Mais elle ne veut pas avouer, elle ne veut pas s'avouer à elle-même qu'elle a envie, qu'elle a besoin de parler de ces faveurs qui sont les événements essentiels de sa vie, et dont elle est manifestement très fière, même si elle ne le dit pas clairement. Il est évident que, pour elle, le plus grand privilège, la plus grande gloire que Dieu puisse conférer à une créature, c'est de se montrer à elle et de lui parler. Aussi se plaît-elle à ironiser sur ces confesseurs qui s'effraient et se scandalisent de ce qui devrait les réjouir au plus haut point et les remplir de la plus grande admiration [60]. Non content de lui ordonner une fois de plus de faire ce qui répond à son vœu profond, le Christ lui fournit de plus une raison bien propre à satisfaire sa conscience. Faisant preuve de beaucoup de tact et de psychologie, il se garde bien de lui dire qu'il faut parler, puisqu'elle meurt d'envie de le faire : il préfère invoquer le devoir de tout dire à son confesseur.

De même que le Christ lui donne raison contre son confesseur, lorsque celui-ci est assez mal inspiré pour lui conseiller ou lui ordonner de faire ce qu'elle n'a pas envie de faire, il lui donne aussi raison contre les auteurs qui expriment des points de vue qui ne lui conviennent pas. C'est le cas notamment lorsque certains condamnent le goût pour les images, qui, chez elle, est particulièrement vif : « Ayant lu dans un livre qu'il y a de l'imperfection à user de belles images, je me décidai à ne plus garder une de ce genre qui était dans la cellule que j'habitais. Avant cela, il me semblait déjà que la pauvreté oblige à n'en avoir que de papier; mais depuis cette lecture que je fis l'un de ces jours, j'aurais voulu ne plus en avoir d'autres. Dans un moment où je ne pensais point à cela, j'entendis ce qui suit : Cette mortification n'était pas bonne. De la pauvreté ou de la charité, laquelle était la meilleure ? Puisque c'était l'amour qui l'emportait, je ne devais ni me priver ni priver mes religieuses de ce qui pouvait l'exciter en nos âmes; le livre que j'avais lu n'entendait parler que des moulures et enjoliments dont on enrichit les images, et non des images elles-mêmes; une des ruses du démon à l'égard des Luthériens était de leur enlever tout ce qui peut porter à la piété, et ainsi ils allaient à leur perte. Ma fille, maintenant plus que jamais, mes chrétiens doivent faire le contraire de ce qu'ils font [61]». On le voit, le Christ sait une nouvelle fois trouver de bonnes raisons non seulement pour l'autoriser, mais même pour l'exhorter à s'abandonner librement à son penchant. Tout en lui suggérant une interprétation restrictive du passage qui l'a plongée dans la perplexité (la condamnation ne porterait pas sur les images elle-mêmes, mais seulement sur leur cadre [62]), il invoque, en faisant allusion à la méfiance des luthériens à l'égard des images, un argument particulièrement bienvenu à une époque où les autorités catholiques, les Inquisiteurs en tête, pourchassent avec tant de zèle dans les opinions et dans les pratiques religieuses tout ce qui, de près ou de loin, pourrait s'apparenter au protestantisme. Mais comment ne pas se dire que, de nos jours, où la mode est à l'œcuménisme et où l'Eglise catholique cherche à se réconcilier avec les autre églises chrétiennes, les propos que Thérèse d'Avila prête au Christ sont devenus bien embarrassants, pour ne pas dire profondément choquants ? Et puisque l'Eglise, saisie par la repentance, semble vouloir demander pardon pour tous les crimes et toutes les erreurs qu'elle a commis dans le passé, ne conviendra-t-il pas que le jour où elle l'aura fait pour toutes les fautes les plus graves (mais cela, il est vrai, prendra beaucoup de temps), elle songe aussi, à l'occasion, à s'excuser auprès des protestants pour les propos que le Christ a tenus à leur égard ?

Sans doute un peu gêné d'être obligé de lui donner raison contre son confesseur lorsqu'elle n'est pas d'accord avec lui, le Christ finit par lui choisir le confesseur que son cœur attendait, le père Jérôme Gratien, comme nous l'apprend cette vision que j'ai déjà brièvement signalée au chapitre précédent : « En 1575, au mois d'avril, tandis que je me trouvais à la fondation de Veas, le maître Frère Jérôme Gratien vint en cette ville. Je commençai à me confesser quelquefois à lui, sans cependant le mettre au rang d'autres confesseurs que j'avais eus et sans me conduire en tout d'après ses avis. Un jour que je prenais mon repas […] il me sembla voir près de moi Notre-Seigneur Jésus-Christ […], le maître Gratien était à son côté droit. Notre-Seigneur prit sa main droite et la mienne, puis les unit en me disant "qu'il voulait que je prisse ce père pour me tenir sa place toute ma vie et que nous devions avoir en tout la même manière de voir, parce que cela convenait ainsi". Je sentis une grande assurance que cette vision venait de Dieu. Pourtant, en songeant à deux confesseurs que j'avais eus, à diverses reprises, pendant un temps considérable, dont j'avais suivi la direction et auxquels j'étais très obligée - en songeant à l'un d'eux surtout, à qui je porte beaucoup d'affection - je sentais, une terrible répugnance. Malgré tout, je n'arrivais pas à me persuader que cette vision fût trompeuse, parce qu'elle avait opéré en moi avec beaucoup de force. Notre-Seigneur, en outre, me dit par deux fois et en des termes différents, de ne pas craindre, que telle était sa volonté. Comprenant qu'il le voulait ainsi, je me résolus à faire ce qui m'avait été dit, et à suivre le sentiment de ce père toute ma vie […] Une fois ma résolution prise, je me trouvai dans une paix et un soulagement qui m'ont causé une grande surprise, et montré avec évidence que telle est bien la volonté de Dieu. Et de fait, je ne crois pas que le démon puisse donner tant de paix et de consolation spirituelle [63]». Une fois de plus, on peut penser que Thérèse d'Avila fait preuve d'une grande mauvaise foi Elle veut nous faire croire que le Christ lui a en quelque imposé de prendre comme confesseur attitré, Jérôme Gratien, qui n'était jusque-là pour elle qu'un confesseur occasionnel, et qu'elle n'y a consenti qu'avec « une terrible répugnance ». Mais on devine aisément que, selon son habitude le Christ lui a ordonné de faire ce que, sans oser se l'avouer, elle souhaitait de tout son être [64]. Et c'est ce qui explique qu'elle éprouve une telle impression de paix et de consolation : l'injonction du Christ est venue combler son vœu le plus cher. Celui qui en douterait, n'aurait qu'à relire le récit qu'elle fait dans les Fondations de sa rencontre avec le père Gratien, qui fait penser à la première rencontre de Mme de Clèves avec M. de Nemours [65].

Lorsqu'il arrive à Thérèse d'Avila de changer complètement d'avis avec le temps, le Christ alors ne manque pas d'en changer lui aussi, et elle alors ne manque pas non plus de s'étonner de voir le Christ lui ordonner de faire le contraire de ce qu'il lui ordonnait de faire des années auparavant. C'est le cas lorsqu'elle raconte, à la fin des Fondations, comment le monastère de Saint-Joseph d'Avila passa de la juridiction de l'Ordinaire, c'est-à-dire de l'évêque, à celle de l'Ordre : « Dix-sept ans, ou environ, car mon souvenir n'est pas très précis, s'écoulèrent de la sorte, sans qu'il me vînt en pensée de faire passer ce couvent sous une autre juridiction [ que celle de l'Ordinaire]. Au bout de ce temps, l'évêque d'Avila fut transféré au siège de Palencia […] Notre-Seigneur me dit "qu'il convenait que les religieuses de Saint-Joseph se missent sous la juridiction de l'Ordre et que je devais y travailler, parce qu'autrement le relâchement ne tarderait pas à s'introduire dans cette maison". Me souvenant des paroles par lesquelles il m'avait été dit qu'il fallait le mettre sous la juridiction de l'Ordinaire, je croyais voir là une contradiction, et je ne savais à quoi me résoudre. J'en parlai à mon confesseur […] Il me dit que cela ne devait pas m'arrêter, que sans doute la première mesure était nécessaire alors et que celle-ci l'était à l'heure présente […] Depuis, les religieuses et tous les autres avec elles, ont vu clairement que ce couvent était perdu sans cette mesure. Béni soit le Seigneur qui daigne s'occuper avec tant de sollicitude de ce qui regarde ses servantes ! béni dans tous les siècles ! Amen [66]». On le voit, elle prétend qu'elle a été très surprise et tout à fait déconcertée par le revirement du Christ. et qu'elle n'a compris qu'après coup, ainsi que toutes les religieuses, le bien-fondé de ses nouvelles instructions. Mais il est permis de ne pas la croire et de penser qu'une fois de plus, elle se fait ordonner par le Christ de faire ce qu'au fond d'elle-même, elle a déjà décidé de faire. On a bien du mal à imaginer, en effet, que l'idée de transférer la monastère de Saint-Joseph d'Avila sous la juridiction de l'ordre ne l'ait encore jamais effleurée. Quand une situation change complètement, on est généralement amené à s'adapter à ce changement et à changer de stratégie. Quand le monastère de Saint-Joseph d'Avila a été fondé, il était tout à fait logique de souhaiter qu'il fût placé sous la juridiction de l'évêque plutôt que sous celle de ceux qui avaient tout fait pour s'opposer à la fondation, et l'ordre du Christ n'avait déjà fait que cautionner une décision que Thérèse d'Avila était bien décidée à prendre. Mais maintenant que les Déchaussés ne sont plus assujettis aux Chaussés et constituent une province séparée, il n'y plus vraiment de raison que le monastère reste sous la juridiction de l'évêque, et le transfert de celui-ci à Palencia est une raison supplémentaire de mettre un terme à cette situation.

Dans son souci d'entrer toujours dans ses vues, le Christ va parfois jusqu'à lui donner des ordres, qui, s'ils vont au-devant de ses désirs, peuvent apparaître assez surprenants du point de vue chrétien. En voici un exemple assez éclairant : « Un jour, écrit-elle, après avoir passé en oraison un temps considérable, suppliant le Seigneur de m'aider à le contenter en tout, je commençai l'hymne [le Veni Creator]. Pendant que je le disais, je fus surprise par un ravissement soudain, qui me tira presque hors de moi-même. […] C'était la première fois que Dieu m'accordait la faveur d'un ravissement. J'entendis ces paroles : Je ne veux plus que tu converses avec les hommes, mais avec les anges. […] Ces paroles eurent leur accomplissement, car jamais depuis je n'ai pu contracter une amitié durable, me lier d'affection ni trouver de plaisir qu'avec des personnes qui aiment Dieu et le servent. Le contraire m'est tout à fait impossible. Parenté, amitié, rien n'y fait. Dès que ces dispositions manquent et que je n'ai pas affaire à des personnes d'oraison, toute relation quelle qu'elle soit, me devient une croix pénible. Ceci, autant que que j'en puis juger, ne souffre aucune exception [67]». On le voit, selon elle, c'est à la suite des paroles de Dieu, qu'elle n'a plus pu se lier ni se plaire qu'avec ceux qu'elle appelle souvent "les spirituels". Mais, une fois de plus, il est permis de ne pas la croire et de penser qu'elle renverse l'ordre des termes. Les paroles de Dieu ne sont pas la cause du sentiment qu'elle éprouve : elles en sont la conséquence. C'est parce qu'elle supporte de plus en plus difficilement la compagnie de ceux qui ne sont pas des "spirituels" qu'elle croit entendre Dieu lui dire de ne plus converser qu'avec les anges. De plus, sans parler, bien sûr, du fait qu'on peut raisonnablement penser que Dieu n'a jamais parlé à personne, on peut s'étonner, en se plaçant d'un point de vue chrétien que Dieu puisse lui donner un tel ordre. Car, si l'on peut comprendre qu'il lui soit personnellement plus agréable de ne converser qu'avec des "spirituels" comme elle, comment Dieu ne lui dit-elle pas que, puisqu'elle a choisi la voie du sacrifice et de la mortification, elle devrait, au contraire, converser surtout avec les autres, d'autant plus que c'est à eux que cela pourrait être le plus utile. Quand on prétend tellement s'inquiéter du salut des âmes, quand on dit se désespérer à la pensée de toutes celles qui se perdent, quand on se déclare prêt à souffrir mille morts pour en sauver une seule, il est étrange de ne vouloir parler qu'à ceux dont on considère que le salut est quasiment assuré et ne porter la parole de Dieu qu'à ceux qui l'ont déjà entendue.

On peut s'étonner de même de ce que lui dit le Christ un jour où elle est angoissée à la pensée qu'elle pourrait ne pas être en état de grâce : « Je me souviens que ce même soir, pendant les heures que je donnais à l'oraison, je fus saisie d'une tristesse profonde, venant de la pensée que je me trouvais peut-être dans l'inimitié de Dieu, et que je ne pouvais savoir si j'étais ou non en grâce avec lui; […] Il me fut dit alors "que je pouvais me consoler et être certaine que j'étais en grâce, parce qu'un tel amour de Dieu, des faveurs et des sentiments comme ceux dont sa Majesté me gratifiait ne pouvaient se trouver dans une âme en état de péché mortel" [68]». Bien que destinée à devenir docteur de l'Eglise, Thérèse d'Avila n'a qu'une connaissance souvent imprécise et incomplète de la doctrine chrétienne comme elle le reconnaît elle-même. Si elle l'avait mieux connue, elle se serait sans doute abstenue de prêter au Christ des propos qui, s'ils viennent à point pour la tranquilliser, ne s'en trouvent pas moins en contradiction avec le décret du Concile de Trente qui affirme que jamais personne ne peut être sûr de son salut [69]. Manifestement Thèrèse d'Avila ne le connaît pas, mais comment s'expliquer que le Christ, lui non plus, ne le connaisses pas ?

Le Christ pousse le souci de lui donner toujours raison jusqu'à la rassurer et lui confirmer qu'elle est est bien sa préférée, lorsqu'elle s'inquiète à la pensée que d'autres pourraient se mortifier plus qu'elle ne le fait et ainsi se faire mieux voir de lui. C'est ce que montre ce passage : « Considérant un jour la grande pénitence que faisait Dona Catherine de Cardona, et voyant qu'avec les ardents désirs que Dieu m'avait parfois donnés, j'aurais pu faire davantage, si l'obéissance à mes confesseurs ne m'avait arrêtée, je me demandais s'il ne vaudrait pas mieux ne plus leur obéir sur ce dernier point. Mais Notre-Seigneur me dit : Oh ! non, ma fille ! Le chemin que tu suis est excellent et sûr. Tu vois toutes les austérités que pratique cette personne : je préfère ton obéissance [70]». Le moins que l'on puisse dire, c'est que rien de ce qui est humain n'est étranger au Christ de Thérèse d'Avila. On peut certes admirer la compréhension et l'indulgence dont il fait preuve en cette occasion à l'égard des susceptibilités et des jalousies humaines, mais on peut aussi s'étonner de le voir entrer dans un tel jeu.

Mais plus on lit Thérèse d'Avila et plus on s'aperçoit que rien n'arrête le Christ lorsqu'il s'agit de lui dire quelque chose d'agréable, pas même la peur du ridicule , comme en témoignent ces lignes : « Je considérais ensuite avec étonnement les effets de ce feu du véritable amour divin, qui vient d'en haut. […] Comme le phénix, dont j'ai lu quelque part qu'il renaît de ses cendres, l'âme subit ici un renouvellement total. Ses désirs se trouvent entièrement changés, sa vigueur devient extraordinaire. Ainsi elle ne paraît plus la même et se met à marcher avec une pureté toute nouvelle dans le chemin du Seigneur. Tandis que je suppliais Notre-Seigneur de m'en faire la grâce, afin de commencer tout de nouveau de le servir, il me dit : Tu as fait là une bonne comparaison. Aie soin de ne pas l'oublier et de t'en servir pour te perfectionner toujours davantage [71]». Non content de la féliciter pour une prétendue trouvaille de style qui ne fait que reprendre un cliché éculé, le Christ lui recommande de bien veiller à ne pas oublier une image qui traîne partout. Il faut donc admettre ou bien qu'il se paie la tête de Thérèse d'Avila, qui assurément l'aurait bien mérité, ou bien qu'il est profondément inculte.

On le voit, le Christ pousse le souci de lui complaire jusqu'à flatter ses petites vanités d'auteur. Mais, si sensible qu'elle puisse être à ces petits compliments, ils sont, bien sûr, peu de choses à côté de certaines paroles et de certains gestes qui, eux, comblent véritablement toutes ses attentes. Car, si le Christ entre toujours dans ses vues, il ne le fait jamais aussi pleinement que lorsqu'il la traite comme toute femme souhaite d'être traitée par l'homme qu'elle aime, lorsqu'il lui dit ce que toute femme rêve de s'entendre dire par l'homme de sa vie. Comment pourrait-il mieux entrer dans ses vues, si ce n'est lorsque, nous l'avons vu, il lui offre les plus belles pierreries qu'aucune femme ait jamais reçues, et qu'il lui dit combien il l'aime ? Comment pourrait-il mieux entrer dans ses vues enfin, si ce n'est en lui disant qu'il fait d'elle son épouse ? C'est assurément ce jour-là qu'il réalise le grand rêve de toute sa vie, celui qu'elle a nourri plus ou moins secrètement pendant tant d'années où elle a médité sur le Cantique des cantiques [72]. Et il se plaît à lui rappeler régulièrement le saint nœud qui les unit [73].

Non content de lui dire sans cesse ce qu'elle souhaite s'entendre dire, le Christ lui dit aussi, à l'occasion, de dire aux autres de sa part ce qu'elle souhaite elle-même leur dire. Ainsi, alors que, regrettant que le père Garcia, pour qui elle a beaucoup d'estime et de sympathie, ne se donne pas assez à Dieu, elle demande à celui-ci « de prendre cette âme tout entière à son service », le Christ la charge fort opportunément de dire de sa part à ce religieux ce qu'elle n'osait pas lui dire elle-même [74]. Mais l'exemple le plus frappant en est sans doute ces paroles qu'elle aurait entendues de la bouche du Christ au monastère de Saint-Joseph d'Avila le 6 juin 1579 : « Je devais dire de sa part aux pères carmes déchaussés de bien observer quatre choses : tant qu'ils y seraient fidèles, la prospérité de l'Ordre irait croissant, mais dès qu'ils y manqueraient, ils devaient savoir qu'ils dégénéraient de leur ferveur primitive. La première, qu'il y ait uniformité de sentiments chez les supérieurs. La seconde, que malgré le grand nombre des maisons, les religieux soient toujours peu nombreux en chacune. La troisième, qu'ils aient peu de rapports avec les séculiers, et seulement pour le bien de leurs âmes. La quatrième, qu'ils enseignent plus par œuvres que par paroles. Ceci arriva l'année 1579. Et parce que c'est l'exacte vérité, je le signe de mon nom [75]». Il est clair que les consignes que le Christ lui dit de transmettre aux carmes déchaussés expriment exactement ses propres vues [76]. Elle croit que c'est le Christ qui se sert d'elle pour leur dire ce qu'il veut leur dire, mais c'est elle qui se sert du Christ pour leur dire ce qu'elle veut leur dire. Elle a, bien sûr, tout intérêt à passer par le Christ car cela donne un tout autre poids à ses avis, à ses conseils ou à ses ordres.

Mais ce n'est pas seulement le Christ que Thérèse d'Avila mobilise, elle sait aussi, même si c'est nettement moins fréquent, utiliser très habilement le démon. Si elle fait sans cesse appel au Christ pour qu'il l'encourage à penser ou à croire ce qu'elle a envie de penser ou de croire, et à faire ce qu'elle à envie de faire, souvent aussi elle se sert du démon pour mieux se convaincre qu'elle a raison de penser ou de croire ce qu'elle envie de penser ou de croire, et de faire ce qu'elle a envie de faire. En effet elle attribue volontiers au démon toutes les hésitations, tous les doutes, les scrupules qu'elle peut avoir à croire ce qu'elle a envie de croire et à faire ce qu'elle a envie de faire, notamment lorsqu'elle est en désaccord avec ses supérieurs ou ses confesseurs. Ainsi, lorsque le Christ se montre à elle pour la première fois, il ne lui dit rien mais il a « le visage sévère », et elle en conclut qu'il est mécontent de sa conduite et qu'il veut lui faire comprendre qu'elle ne doit plus recevoir les visites d'un gentilhomme pour lequel elle éprouve une certaine attirance. Et, comme c'est la première fois qu'elle a une vision, elle est tentée de se demander si elle n'a pas été la victime d'une illusion. Mais elle trouve bien vite le moyen d'écarter cette supposition en se convaincant qu'elle lui est suggérée par le démon : « Il me fut extrêmement préjudiciable d'ignorer que l'on pût voir autrement que des yeux du corps. Le démon s'efforça de me confirmer dans cette erreur, en me persuadant que c'était impossible, qu'il y avait là une illusion dont lui-même était l'auteur, et autres choses de ce genre. Pourtant je gardais le sentiment que cette vision venait réellement de Dieu et n'était pas une chimère; mais comme elle contrariait mon attrait, je cherchais à me tromper moi-même [77]». Certes elle prétend que le démon, en essayant de la convaincre que sa vision était une illusion, dont il était l'auteur, lui disait ce qu'elle avait envie d'entendre puisque cette vision contrariait ses vœux. Mais cela ne tient pas debout. Car comment ne pas se dire alors que le démon ne semble plus avoir toute sa tête ? Pourquoi diable, en effet, aurait-il jugé bon de lui faire croire qu'elle voyait le Christ, si c'était pour devoir ensuite la persuader que c'était une illusion ? Il aurait évidemment beaucoup mieux fait de ne rien faire. Comment ne pas se dire qu'en réalité elle se montre ici particulièrement ingénieuse à se tromper elle-même et qu'au fond d'elle-même elle a déjà décidé de « ne plus converser qu'avec les anges », ainsi qu'elle demandera plus tard au Christ de lui en donner l'ordre ? Comment ne pas se dire qu'en s'imaginant pour la première fois que le Christ lui apparaît, elle s'abandonne enfin au grand rêve qu'elle nourrissait depuis longtemps et auquel elle va désormais s'abandonner de plus en plus souvent et de plus en plus longuement ? Comment ne pas se dire aussi que si, dans ce premier rêve, elle s'imagine le Christ avec un visage sévère, c'est pour mieux se cacher à elle-même que son imagination lui fait voir ce qu'elle envie de voir, en se disant que, si tel était le cas, alors le Christ aurait eu un autre visage ? Comment ne pas se dire enfin que, pour achever d'écarter les doutes qui pourraient encore surgir, elle choisit d'y voir la main du malin ?

Mais elle perfectionnera plus tard ce système pour le rendre encore beaucoup plus efficace : elle n'aura plus besoin d'attribuer elle-même au démon ses doutes ou ses hésitations, c'est le Christ lui-même qui se chargera de lui dévoiler le jeu son ennemi. C'est ce qui se passera notamment lorsque, après avoir enfin réussi à mener à bien sa première fondation, la plus difficile de toutes, celle de Saint-Joseph d'Avila, elle éprouvera soudain, une fois la cérémonie de l'installation du Saint-Sacrement et de la prise d'habit des premières novices terminée, un moment très pénible de doutes et d'incertitude : « Tout se trouvait terminé depuis trois ou quatre heures environ lorsque le démon me livra intérieurement un grand combat comme je vais le dire; il me mit dans l'esprit que ce que je venais de faire était peut-être mauvais. N'avais-je pas contrevenu à l'obéissance en agissant sans l'ordre du provincial ? […] Les nouvelles religieuses seraient-elles contentes dans cette étroite clôture ? Le nécessaire ne leur manquerait-il pas ? Tout cela n'était-il pas une extravagance ? De quoi m'étais-je mêlée ? N'avais-je pas déjà un couvent ? […] Cette heure fut, je crois l'une des plus rudes de ma vie […] Mais le Seigneur ne laissa pas souffrir longtemps sa pauvre servante. Jamais il ne m'avait abandonnée dans mes tribulations; cette fois encore, il me secourut. Par un rayon de sa lumière, il me remit dans la vérité, et me montra que cette tempête était l'œuvre du démon, qui cherchait à m'effrayer par des mensonges [78]». On le voit, le Christ intervient fort à propos pour mieux la persuader que ses scrupules tardifs, ses craintes de s'être trompée et ses remords naissants sont bien l'œuvre du démon et le succès est complet : « Au sortir de ce combat, je me trouvai bien lasse; mais quand je vis clairement que c'était l'œuvre du démon, je ne fis qu'en rire [79]». On aurait nous-même envie de rire, si tout cela n'était pas si consternant.

Thérèse d'Avila est persuadée, comme il se doit, que le Christ et le démon sont des adversaires acharnés et irréconciliables qui se font sans cesse et se feront jusqu'à la fin des temps une guerre à outrance. Mais comment ne pas se dire que grâce à elle, que pour elle, ces deux ennemis mortels travaillent main dans la main ? Elle ne se rend pas compte que les rôles qu'elle leur fait jouer se complètent à merveille. Ils s'entendent comme larrons en foire pour mieux lui complaire, et savent se répartir les tâches pour la rassurer et l'encourager plus efficacement. Le Christ entre directement dans ses vues en l'approuvant et en la félicitant sans cesse; le démon le fait indirectement et a contrario, en lui donnant lieu de croire que c'est lui qui cherche à la décourager et à la détourner de ses desseins, aidé en cela par le Christ qui, à l'occasion, dit lui-même à Thérèse d'Avila que ses hésitations, ses craintes et ses scrupules sont bien l'œuvre du démon.

Au total, Thérèse d'Avila, que Marcelle Auclaire nous présente si sottement comme un modèle de lucidité envers soi-même [80], me paraît avoir fait atteindre à la pratique de la mauvaise foi et à l'art de se tromper soi-même des sommets peut-être inégalés. De tous temps les hommes ont été portés à se donner après coup de fausses bonnes raisons pour croire ou pour faire ce que, de toutes façons, ils avaient envie de croire ou de faire. Pour mieux se convaincre qu'elle a raison, Thérèse d'Avila va jusqu'à se persuader que Dieu en personne lui dit sans cesse qu'elle a raison; pour mieux se convaincre qu'elle aurait grand tort de croire qu'elle se trompe, elle va jusqu'à se persuader que c'est le démon qui veut le lui faire croire, et elle se fait confirmer ses soupçons par Dieu lui-même.


 

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NOTES :

[1] Voir notamment Le Château intérieur, "Sixièmes demeures", ch. 3, p. 627 : « Une seule parole divine comprend beaucoup de choses que notre esprit serait incapable de combiner en si peu de temps ».

[2] Voir notamment La Vie de sainte Thérèse, ch. 39, p; 382; Relations spirituelles, XIII, p. 422; XXXVI, p.438 et LX, p. 466.

[3] Voir La Vie de sainte Thérèse, ch. 27, p. 244 : « En un moment l'âme est devenue savante. Le mystère de la très sainte Trinité et d'autres fort relevés sont devenus si clairs pour elle, qu'il n'y a pas de théologien avec qui elle ne soit prête à entrer en dispute pour la défense de si hautes vérités. Elle en est elle-même dans le plus profond étonnement ».

[4] Pierre Janet fait la même constatation avec sa malade, Madeleine qui, elle aussi, se flatte de comprendre le mystère de la Trinité « bien mieux que tous les théologiens »: « Une petite expérience, raconte-t-il, m'a permis de constater que ce qui paraît clair et lumineux à Madeleine pendant l'extase n'explique plus rien du tout quand elle en est sortie. Elle m'affirmait pendant l'extase qu'elle comprenait admirablement et bien mieux que tous les théologiens le mystère de la Sainte Trinité. "C'est bien simple, un centre de lumière incomparable et rayonnant donne une idée du Père en qui resplendit la personne du Fils, qui pour nous sauver, a pris notre humanité. De l'union du Père et du Fils jaillit le Saint-Esprit représenté par les flammes qui font du corps sacré de notre Sauveur comme un Foyer ardent". Elle consentit en même temps à faire une petite image représentant un soleil rayonnant, sur lequel était dessiné un Christ et du cœur de ce Christ partaient des flammes qui se dirigeaient vers les rayons du soleil. J'ai observé que les tableaux religieux représentaient souvent la Trinité de cette manière par trois personnages contenus l'un dans l'autre. On peut le voir par ce tableau que j'ai remarqué au musée de Vicenze (fig. 20) [La figure 20 est une reproduction en noir et blanc de La Trinité de Benedetto Moniagna]. Quoi qu'il en soit, Madeleine était enchantée de ce dessin et déclarait que c'était une révélation lumineuse. Je conservai le dessin et les phrases exactes qu'elle avait prononcées et trois jours après, quand Madeleine était tout à fait réveillée et calme, je les lui présentai de nouveau, cela parut l'ennuyer, car elle me répondit que cela ne signifiait rien du tout et qu'elle était honteuse d'avoir eu la prétention d'expliquer des mystères religieux » (op. cit., pp. 101-103.

[5] Voir notamment La Vie de sainte Thérèse, ch. 38, pp. 356-357 :« Je voudrais donner une idée de ce qu'il y a de moins élevé dans les connaissances qui m'étaient alors communiquées; mais j'ai beau chercher comment y parvenir, je vois que c'est impossible »; ibid., ch. 40, pp. 387-388 : « Un jour que je me trouvais en oraison, il me fut représenté en un moment, sans objet distinct, mais d'une manière parfaitement lumineuse, comment toutes choses se voient en Dieu et sont contenues en lui. L'écrire n'est pas en mon pouvoir, et pourtant mon âme en garda une empreinte ineffaçable »; Relations spirituelles, XLI, p. 440 : « Je compris ainsi quelques-unes des raisons pour lesquelles Dieu choisit nos âmes, de préférence à ses autres créatures, pour prendre en elles ses délices. Ces raisons sont d'une délicatesse extrême : aussi, quoique mon esprit les ait saisies sans difficulté, je ne saurais les exprimer ».

[6] Le Château intérieur, "Sixièmes demeures", p. 638.

[7] Voir notamment Relations spirituelles, LII, p. 446

[8] Voir notamment La Vie de sainte Thérèse, ch. 26, p. 238 : « Une fois entre autres, Notre-Seigneur me dit que "l'on n'est point obéissant si l'on n'est bien résolu à souffrir : je n'avais qu'à jeter les yeux sur ses propres souffrances et tout me deviendrait facile" »; Relations spirituelles, XXVI, p. 430 : « Regarde ces plaies, tes douleurs n'iront jamais jusque-là ».

[9] Relations spirituelles, XIV, p. 423 : « Notre seigneur me dit "que je me trompais en me figurant les choses spirituelles d'après les corporelles, je devais comprendre qu'elles diffèrent extrêmement" ».

[10] Dans les Relations spirituelles (XLII, p. 441), elle rapporte cette parole du Christ : « Tout ce que tu fais, fais-le pour moi, comme si tout cela n'était plus vécu par toi, mais par moi-même. C'est là ce que disait saint Paul ». Le Christ fait ici allusion à une phrase de saint Paul qu'elle a citée dans La Vie de sainte Thérèse (ch.6, p. 76) : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est vous, ô mon Créateur, qui vivez en moi » (Galates, II, 20. Le texte exact est : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi »).

[11] Relations spirituelles, XII, p. 421.

[12] Ibid., XLII, p; 441.

[13] La Vie de sainte Thérèse, ch. 40, p. 389.

[14] Relations spirituelles, V, p. 417.

[15] Ibid., VIII, p. 418.

[16] Citons encore celles-ci : « Notre-Seigneur, voulant un jour me consoler, me dit avec beaucoup d'amour de ne pas m'affliger, "que nous ne pouvions dans cette vie être toujours en un même état : tantôt je sentirais de la ferveur et tantôt j'en serais privée; tantôt je serais en paix, tantôt dans l'inquiétude et les tentations; mais je devais espérer en lui et ne rien craindre" » ( La Vie de sainte Thérèse, ch. 40, p. 390); « Penses-tu, ma fille, que le mérite consiste à jouir ? Non, mais à travailler, à souffrir et à aimer » ( Relations spirituelles, XXVI, p. 430).

[17] La Vie de sainte Thérèse, ch. 31, p. 288.

[18] Ibid., ch. 23, p. 212.

[19] Voir notamment Relations spirituelles, VI, pp. 417-18 : le Christ lui dit que « ce n'était pas le temps de se reposer, mais celui de poursuivre sans délai la fondation de ces monastères, parce qu'il trouvait son repos auprès des âmes qui les habitaient; je devais accepter tous ceux qu'on m'offrirait, car bien des personnes faute de trouver où se fixer, ne pouvaient se consacrer à son service. Ceux que j'établirais dans de petites localités devaient être semblables à celui-ci; et l'on pourrait y mériter autant que dans les autres, par le désir de pratiquer ce qui se gardait ailleurs. Je devais faire en sorte qu'ils eussent tous un même gouvernement, et prendre bien garde que le souci du temporel ne fît point perdre la paix intérieure; lui-même nous assisterait, afin que le nécessaire ne nous manquât jamais. Il voulait que l'on eût un soin particulier des malades; la prieure qui négligeait de les pourvoir du nécessaire, et même de soins délicats, ressemblait aux amis de Job : celles que Dieu frappait de verges pour le bien de leurs âmes, elle les exposait à perdre la patience ».

[20] Relations spirituelles, IX, pp. 418-419

[21] Ibid., XII, pp. 420-421.

[22] Ibid.,, XL, p. 440.

[23] Les mêmes remarques pourraient être faites à propos de ce passage de La Vie de sainte Thérèse : « Je me demandais une autre fois, si je devais regarder comme une attache la satisfaction que je goûte dans les rapports avec mes directeurs et les grands serviteurs de Dieu, comme aussi l'affection qu'ils m'inspirent, car en effet leurs entretiens me consolent toujours. Notre-Seigneur me dit alors "que si un malade en danger de mort se voyait redevable de la santé à un médecin, évidemment ce ne serait pas vertu de sa part de ne pas lui porter ni reconnaissance ni affection. Qu'aurais-je fait sans un tel secours ? La conversation des gens de bien ne nuit point. Je devais avoir soin que mes paroles fussent mesurées et saintes, moyennant quoi je pourrais continuer ces relations; loin de me nuire, elles me seraient très utiles". Ces paroles me consolèrent beaucoup, car, parfois, craignant qu'il n'y eût de l'attache, j'étais sur le point de renoncer à ces sortes d'entretiens » (ch. 40, p. 390).

[24] « Tous les maux qui arrivent dans le monde viennent de ce que l'on n'a pas une parfaite connaissance des vérités de l'Ecriture. Et cependant, pas un tilde ne manquera de s'accomplir » (La Vie de sainte Thérèse, ch. 40, p. 383).

[25] « Songeant aux paroles de saint Paul sur la retraite où doivent vivre les femmes, paroles que l'on m'a objectées depuis peu et que j'avais déjà entendu citer, je pensais que telle était peut-être à mon égard la volonté de Dieu. Il me dit ceci : Dis leur qu'ils ne se conduisent pas d'après un seul passage de l'Ecriture, mais qu'ils considèrent les autres » (Relations spirituelles , XV, p. 424).

[26] « Dieu parle comme elle écrit, comme les auteurs qu'elle fréquente, comme parlent ses maîtres », remarque justement Quercy (op. cit., p. 335).

[27] Les Fondations, ch. 31, p. 201.

[28] Voir notamment Relations spirituelles, XXII, p. 427.

[29] Voir notamment La Vie de sainte Thérèse, ch. 29, p. 269; Relations spirituelles, XII, p. 421 et XXVI, p. 430.

[30] « Combien de fois n'ai-je pas dormi au serein, pour n'avoir pas où me retirer ? » (La Vie de sainte Thérèse, ch. 33, p. 311.

[31] Voir notamment Gabriel Germain, op. cit., p. 183 : « Souvent sa vision intérieure se plie au style religieux de son temps; souvent les paroles qu'elle entend par l'âme abondent dans le sens de sa volonté. Faut-il pourtant parler pour elle (et pour d'autres) de pure projection de son être ? La surnature, quelle qu'elle soit, ne peut nous atteindre qu'à travers notre nature. Elle ne se communiquerait point sans quelque langage intelligible ». C'est aussi, on le sait, l'argument traditionnel que les chrétiens emploient pour essayer d'expliquer la naïveté de certains récits de la Bible et notamment ceux de la Genèse : Dieu, disent-il, a voulu s'adapter à la mentalité et aux croyances des gens de l'époque. Malheureusement c'était là une politique à très court terme qui s'est vite retournée contre lui et de plus en plus à mesure que les hommes sont devenus moins ignorants.

[32] Op. cit., p. 96.

[33] Voir notamment les passages suivants : « Tandis que j'étais dans l'amère affliction que je viens de décrire» (La Vie de sainte Thérèse, ch. 25, p. 233); « Il m'est arrivé de me trouver en butte à des tribulations et à des persécutions bien cuisantes » (ibid., ch. 37, p. 237); « un jour que j'étais plus désolée qu'à l'ordinaire » (ibid., ch. 31, p. 288); « Un jour que je me désolais parce qu'il me semblait que mon confesseur ne me croyait pas » (ibid., ch., 33, p. 309); « J'étais un jour dans une inquiétude, dans un trouble extrêmes et incapable de me recueillir » (ibid., ch. 39, p. 379); « Un jour que j'étais agitée du doute dont j'ai parlé plus haut, me demandant si ces visions venaient de Dieu » (ibid. p. 381); « Un jour que je songeais avec douleur aux besoins de notre Ordre » (Relations spirituelles, X, p. 419); « J'avais éprouvé de telles inquiétudes à cause de la maladie de notre père que je ne pouvais retrouver la paix » (ibid., XXXVIII, p. 439; « Je me demandais une autre fois si l'on ne me commanderait pas d'aller réformer un certain monastère et j'en avais de la peine » (ibid., XL, p. 440); « Le jour de la présentation du bref, j'étais bouleversée » (ibid., XLVI, p. 444); « Un jour que j'éprouvais une vive douleur » (ibid., LVIII, p. 465); « Tandis que je me trouvais sous l'empire de cette douleur profonde » (Les Fondations, ch. 1, p. 22).

[34] Voir par exemple La Vie de sainte Thérèse, ch. 36, pp. 341-342 : « je ne craignais qu'une chose, c'est qu'on détruisît le monastère [de Saint-Joseph d'Avila]. cela me causait une peine très vive […] Mais au plus fort de mon chagrin, Notre-Seigneur me dit : Ne sais-tu pas que je suis tout puissant ? Que crains-tu ? Et il m'assura que le monastère ne serait pas détruit ce qui me consola beaucoup »; Relations spirituelles, XXXVIII, p. 439 : « J'avais éprouvé de telles inquiétudes à cause de la maladie de notre père, que je ne pouvais retrouver la paix. Comme un jour, après la communion, je suppliais Notre-Seigneur avec beaucoup d'instances de ne pas me priver de ce père qu'il m'avait donné, il me dit : Ne crains pas »; ibid., XLVIII, p. 445 : « Je pensais une fois au dessein qu'on avait formé de détruire le monastère des Carmélites Déchaussées et je me demandais si l'on ne projetait pas de les anéantir tous peu à peu. J'entendis ces paroles : C'est ce qu'ils veulent, mais ils n'y parviendront pas, et ce sera tout le contraire qui arrivera »; ibid., LVIII, p. 465 : « Un jour que j'éprouvais une vive douleur d'avoir offensé Dieu, il me dit : Tous tes péchés sont devant moi comme s'ils n'avaient jamais été. Courage ! Tes peines ne sont pas finies ». Est-il besoin de le dire ? Si c'est le Christ qui lui parle le plus souvent, et de très loin, les autres personnages qu'elle croit entendre se montrent eux aussi toujours très soucieux de répondre à ses préoccupations et de la rassurer. Voir par exemple La vie de sainte Thérèse, ch. 33, p. 311 : « Un jour que j'étais réduite à une extrême nécessité, sans plus savoir que faire, ni comment payer certains ouvriers, saint Joseph, mon protecteur, mon véritable père, m'apparut. Il m'assura que l'argent ne me manquerait pas, et que je pouvais faire marché avec ces gens ».

[35] La Vie de sainte Thérèse, ch. 35, p. 328.

[36] On ne saurait mieux faire que d'appliquer au dieu de Thérèse d'Avila ce que Pierre Janet dit du dieu de Madeleine, sa malade : « En réalité, Dieu n'est pas seulement ce qu'il veut, il est ce que veut Madeleine : il est amoureux, si elle est bien disposée, il est professeur et philosophe quand elle est prête à écouter ou plutôt à faire des discours. Il est sur ce point bien différent des hommes qui ne sont jamais prêts à notre heure et qui ont des humeurs différentes de la nôtre; il est dans ces conditions bien plus facile de l'aimer et d'en être aimé. L'identification avec Dieu […] est singulièrement facilitée par cette docilité de la divinité. On ne s'identifie jamais complètement avec une personne réelle, parce que ses actes, ses sentiments, manifestés dans les perceptions, s'opposent presque toujours à notre nature par quelque détail; on s'identifie beaucoup plus facilement avec un être qui n'est pas perceptible ou qui ne l'est qu'aux moments favorables quand il est d'accord avec nous ». (op. cit., tome I, p. 418).
Voir aussi ce qu'il dit un peu plus loin : « Je constate surtout avec intérêt la façon dont Dieu joue le rôle de directeur des psychasthéniques. Une des manies bien connues de ces malades, c'est de faire décider par leur directeur les actes qu'ils désirent en réalité accomplir, mais qu'ils ne peuvent pas vouloir […] Le directeur […] se heurtera à des résistances désespérées et déterminera de grands troubles s'il n'a pas deviné le désir du malade. C'est là une des difficultés de la direction humaine. Le Dieu de Madeleine se trouve dans de bien meilleures conditions : il n'a pas à deviner ses désirs, il les connaît parfaitement puisque c'est la même personne qui sent les désirs et fait parler le Dieu. Aussi ses décisions sont-elles toujours parfaites, admirablement adaptées à la situation morale du disciple qui les accepte avec joie, d'abord parce que l'autorité divine vient ajouter un excitant de nature supérieure à la volonté et ensuite parce que la décision s'accorde très bien avec le désir. Pendant certaines périodes Madeleine charge Dieu de toutes les opérations psychologiques qu'elle me demande de faire pendant les autres périodes et elle est obligée de me dire, avec des réserves de politesse, que la direction de Dieu est bien plus habile que la mienne » (pp. 419-420).

[37] Ibid.,, ch. 26, p. 237.

[38] Citons-en quelques-unes : « Attends un peu ma fille, et tu verras de grandes choses » (Les Fondations, ch. 1, p. 22); « Je vous ai déjà exaucées, laisse-moi faire » (Ibid., ch. 25, p. 146); « Que crains-tu ? Quand est-ce que je t'ai manqué ? Je suis toujours le même aujourd'hui que j'ai toujours été. Ne laisse pas de faire ces deux fondations » (Ibid., ch. 29, p. 182); « Le démon fait tous ses efforts pour empêcher cette fondation : toi, fais tous les tiens pour la réaliser. Ne manque pas d'y aller en personne : ta présence sera très utile » (Ibid., ch. 31., p. 201); « C'est le moment, Thérèse, de tenir bon »(Ibid., ch. 31, p. 207).

[39] La Vie de sainte Thérèse, ch. 32, O.C., I, 300.

[40] Voir notamment ibid., ch. 6, pp. 74-76.

[41] Ibid., ch. 32, p. 300

[42] « En présence d'une affaire qui devait nécessairement donner lieu à bien des troubles, j'hésitais sur le parti à prendre. Mais Notre-Seigneur revint plusieurs fois à la charge, m'apportant tant d'arguments décisifs et me faisant connaître si clairement sa volonté, que je n'osai me dispenser d'en parler à mon confesseur » (ibidem).

[43] Voir ibid., p. 301 : « A peine le projet fut-il connu dans la ville, qu'une violente persécution qu'il serait trop long de rapporter, s'éleva contre nous. Ce n'était que propos malveillants, que railleries. On traitait la chose d'extravagance […] Je ne savais que devenir, et je me disais qu'on avait en partie raison. Un jour que, fort désolée, je me recommandais à Dieu, Notre-Seigneur daigna me consoler et m'encourager. "Je verrais par là, me dit-il, ce qu'avaient souffert les saints qui fondèrent les Ordres religieux; il me restait encore à soutenir des persécutions plus nombreuses que je ne pouvais l'imaginer, mais nous ne devions pas nous en mettre en peine". Et il ajouta certaines paroles que je devais transmettre à ma compagne. aussitôt, à mon grand étonnement, nous nous trouvâmes consolées de tout le passé, et remplies de courage pour résister à nos adversaires » (p. 301). Il est plaisant de noter qu'elle s'étonne de se sentir consolée et encouragée, alors que le Christ lui dit ce qu'elle avait envie, ce qu'elle avait besoin d'entendre. Bien entendu, il ne lui vient toujours pas à l'idée de se demander si ces paroles qui viennent si à propos la réconforter ne sont pas le produit de son imagination. Voir aussi ibid., ch. 33, p. 306 : (la veille de la signature du contrat, le père provincial change d'avis) « Ces pensées me jetèrent dans une telle angoisse que j'étais au comble du trouble et de l'affliction. Mais Notre-Seigneur, qui ne m'avait jamais manqué dans toutes les épreuves dont j'ai fait le récit, me donnant des consolations et des encouragements qu'il n'est pas nécessaire de rapporter ici, me dit cette fois de ne pas m'affliger : "Loin d'avoir offensé Dieu en cette matière, je m'étais rendue très agréable à ses yeux; je devais néanmoins, ainsi que l'ordonnait mon confesseur, garder pour un temps le silence; le moment de reprendre ce projet viendrait ensuite". Dès lors, ma consolation et mon contentement furent si grands que je comptai pour rien toute la persécution qui pesait sur moi ».

[44] Ibid., ch. 35, p. 327.

[45] Ibidem, pp.327-328.

[46] Ibid., ch. 33, p. 307.

[47] Voir notamment La Vie de sainte Thérèse, ch. 13, pp. 130-132.

[48] Ibid., p. 328.

[49] « Une autre fois, Notre-Seigneur me dit que c'était dans les revenus que se trouvait la confusion. Et il ajouta plusieurs choses à la louange de la pauvreté, m'assurant que ses serviteurs ne manquaient jamais des choses nécessaires à la vie » (ibidem).

[50] Ibid. ch. 36, p. 343-344.

[51] Ibid., p. 344.

[52] Outre celle de Palencia, on envisage aussi une fondation à Burgos qui se fera un peu plus tard.

[53] Les Fondations, ch. 29, p.182.

[54] Ibid., p. 184.

[55] Ibid., p. 185.

[56] Voir La Vie de sainte Thérèse, ch. 25, p. 233 : « Tandis que j'étais dans l'amère affliction que je viens de décrire, ces seules paroles - car les visions n'avaient pas encore commencé - suffirent pour dissiper ma peine et me mettre dans une tranquillité parfaite : N'aie point peur, ma fille; c'est moi, je ne t'abandonnerai pas. Ne crains rien" […] Et voici qu'à ces seules paroles, le calme se fait en moi, je me trouve forte, courageuse, rassurée; je sens renaître la paix et la lumière. En un instant mon âme est transformée : elle est prête à soutenir contre le monde entier que c'est Dieu qui agit en elle ». Voir aussi ibid, ch. 39. p. 381 : « Un jour que j'étais agitée du doute dont j'ai parlé plus haut, me demandant si ces visions venaient de Dieu, Notre-Seigneur m'apparut et me dit avec sévérité : O enfants des hommes Á Jusqu'à quand aurez-vous le cœur dur ? Il ajouta "que je devais examiner sérieusement une chose : Etais-je, oui ou non, toute à lui ? Si j'étais toute à lui, comme il était vrai, je devais croire qu'il ne me laisserait point aller à ma perte". Cette exclamation m'ayant fort affligée, il me dit de nouveau avec beaucoup de tendresse et de bonté, de ne pas me désoler : "il savait bien que j'étais prête à tout pour son service; ainsi l'objet de mes désirs s'accomplirait". Il me dit encore de considérer les accroissements que prenait tous les jours mon amour pour lui : "c'était une preuve que ces visions ne venaient pas du démon; je ne devais pas croire que Dieu laissât à cet ennemi tant d'empire sur les âmes de ses serviteurs". Non, ajouta-t-il, il n'est pas en son pouvoir de te donner cette lumière de l'esprit et cette paix dont tu jouis. Il me dit aussi que tant de personnes et d'une telle autorité, m'ayant assuré que ces faveurs venaient de Dieu, je faisais mal de ne pas les croire ». Il est clair, et le dernier argument le montre particulièrement bien, qu'elle fait dire ici au Christ ce qu'elle se dit à elle-même pour se rassurer. Voir encore Le Château intérieur, "sixièmes demeures", ch. 3, pp. 623-624 et ch. 8, p. 655.

[57] Voir La Vie de sainte Thérèse, ch. 29, p. 265 : « Pour ne point faire tant de signes de croix, je tenais une croix à la main.[…] Songeant aux outrages que les Juifs avaient fait subir au divin Maître, je le suppliais de me pardonner, puisque je n'agissais ainsi que pour obéir à celui qui tenait sa place, et je lui demandais de ne pas m'imputer à péché un acte qui m'était prescrit par les ministres qu'il avait lui-même établis dans son Eglise. Il me disait alors que "je n'avais pas à me mettre en peine : je faisais bien d'obéir, et lui saurait manifester la vérité". Cependant, quand on m'interdit l'oraison, il en parut irrité. Il me chargea de dire à mes confesseurs que c'était de la tyrannie, et me démontra par certaines raisons que ces visions ne venaient pas du démon ». On ne s'en étonnera pas, elle se garde bien de nous dire en quoi consistaient ces « certaines raisons » qui prouvaient que ses visions ne venaient pas du démon.

[58] Voir ibid., ch. 34, p. 325 : « Un des mes beaux-frères était mort subitement, et j'en éprouvais une vive douleur parce qu'il ne fréquentait plus la confession. Il me fut dit dans l'oraison que ma sœur mourrait de la même manière, que je devais me rendre auprès d'elle et lui conseiller de se tenir prête. J'en parlai à mon confesseur, et comme il ne voulut pas m'y autoriser, l'avertissement me fut renouvelé plusieurs fois. Ce que voyant, il me dit de partir ».

[59] Ibid., ch. 26, p. 238.

[60] « On dirait que le seul nom de visions ou de révélations épouvante certaines personnes. Je ne sais vraiment ce qui leur fait regarder ce chemin comme si dangereux, ni d'où leur vient une pareille émotion […] Je dirai seulement comment doit se conduire une âme qui marche dans cette voie, car parmi les confesseurs auxquels elle s'adressera, il s'en trouvera peu qui ne la jettent dans l'épouvante. En effet, ils s'effraieront et se scandaliseront certainement beaucoup moins si vous venez leur dire que le démon vous a suggéré des tentations de blasphème, mille choses extravagantes et déshonnêtes, que si vous leur déclarez qu'un ange s'est montré à vous et vous a parlé, ou que Notre-Seigneur Jésus-Christ crucifié vous est apparu » (Les Fondations, ch. 8, p. 57).

[61] Relations spirituelles, LXIII, p. 468.

[62] Pour pouvoir juger du bien-fondé de cette interprétation, il faudrait, bien sûr, pouvoir se reporter au texte en question, mais je ne serais pas étonné que l'interprétation proposée par le Christ ne fût passablement jésuitique.

[63] Relations spirituelles, XXIX, pp. 432-433.

[64] On pourrait faire les mêmes remarques à propos de cet autre passage des Relations spirituelles : « J'avais commencé à m'adresser à un certain confesseur [Diego de Yepès], dans une ville où je me trouve actuellement [Tolède]. Quoiqu'il m'eût été toujours été très dévoué depuis qu'il avait la conduite de mon âme, il ne venait pas me voir. Etant un jour en oraison et songeant au vide que me laissait son absence, il me fut dit que c'était Dieu qui le retenait, parce que le bien de mon âme demandait que je m'ouvrisse à un confesseur de la ville [Alphonse Velasquez]. J'en eus de la peine, parce qu'il s'agissait de faire une nouvelle connaissance et que je craignais d'être mal comprise et inquiétée; enfin j'étais très attachée à celui qui avait la charité de me conduire. À vrai dire, toutes les fois que je voyais cet autre confesseur ou l'entendais prêcher, je ressentais une certaine joie spirituelle. mais à cause de ses nombreuses occupations, la chose me paraissait bien difficile. Notre-Seigneur me dit : Je ferai en sorte qu'il veuille bien t'entendre et qu'il te comprenne. Ouvre-toi à lui; ce te sera un secours dans tes peines. Ces derniers mots avaient rapport, je crois, à ce tourment de la privation de Dieu que je ressentais alors excessivement […] Notre-Seigneur me dit encore "qu'il voyait bien les souffrances que j'avais à endurer, mais il ne pouvait en être autrement tant que je serais en cet exil, et tout était pour mon plus grand bien". Cela me consola beaucoup. Il en a été comme Notre-Seigneur me l'a annoncé. Ce confesseur m'entend avec beaucoup de plaisir, et il fait en sorte de trouver du temps. Il a compris mon âme et lui a procuré un notable soulagement. Il est grand savant et très saint » (LV, pp. 463-464). On devine là aussi que le Christ lui dit de prendre pour confesseur celui qu'elle avait, sans se l'avouer vraiment, déjà envie de prendre

[65] Voir ch. 24, p. 138 : « Je viens de parler de la visite que le père maître Jérôme Gratien me fit à Veas. Jusque-là, malgré le désir que j'en avais, nous ne nous étions jamais vus; nous avions seulement correspondu quelquefois. En apprenant l'arrivée de ce père, ma joie fut grande, car le bien qu'on m'avait dit de lui me faisait ardemment souhaiter de le connaître. Mais ma joie devint plus vive encore lorsque je lui eus parlé. Je fus si enchantée de lui qu'à mon avis, ceux qui me l'avaient tant loué étaient loin de l'apprécier à sa juste valeur. Je me trouvais alors dans une tristesse profonde, mais dès que je l'eus vu, le Seigneur me mit en quelque sorte devant les yeux le bien qui devait nous arriver par son moyen. Durant son séjour, ma consolation et mon allégresse furent si excessives que je n'en revenais pas moi-même ». On le voit, comme Mme de Clèves avec M. de Nemours, Thérèse d'Avila éprouvait déjà avant de rencontrer Jérôme Gratien, « de la curiosité et même de l'impatience de le voir » ( voir La Princesse de Clèves, édition folio, no 778, Gallimard 1972, p. 153). Et comme Mme de Clèves, bien loin d'être déçue par cette rencontre, elle va découvrir que l'homme qu'elle a en face d'elle est encore bien plus merveilleux que celui qu'elle avait imaginé. Et cette impression va se confirmer les jours suivants : « Tout le temps qu'il resta là mon bonheur était tel que je ne me lassais pas de rendre grâces à Notre-Seigneur, et j'aurais voulu ne pas faire autre chose » (p. 138). Il est difficile, quand on lit ces lignes, de ne pas penser que Thérèse d'Avila a été plus ou moins amoureuse de Jérôme Gratien, de même que lorsqu'elle écrit un peu plus haut : « Dès que la prieure [de Pastrana} l'eût vu, elle en resta charmée. Et, par le fait, sa conversation a tant d'agrément qu'il gagne l'affection de tous ceux qui traitent avec lui : c'est une grâce que Notre-Seigneur lui accorde […] Il arriva donc à la prieure de Pastrana ce qui arrive aux autres, et elle sentit naître en elle un vif désir de le voir entrer dans notre Ordre » (p. 135). Elle semble d'ailleurs ici se rendre compte plus ou moins confusément qu'on pourrait se faire des idées et c'est sans doute pourquoi elle suggère que le charme qu'exerce Jérôme Gratien est une grâce que Dieu lui accorde.

[66] Ch. 31, pp. 216-217.

[67] La Vie de sainte Thérèse, ch. 24, pp. 221-222.

[68] Ibid., ch. 34, pp. 319-320. Voir aussi Relations spirituelles, LII, pp. 446-447 : « Je me demandais alors si, à cause de mes péchés, je ne me perdrais point après avoir été utile aux autres; mais Notre-Seigneur me dit : Ne crains pas ».

[69] « Nemo quoque, quamdiu in hac mortalitate vivitur, de arcano divin¾ pr¾destinationis mysterio usque adeo pr¾sumere debet, ut certo statuat se omnino esse in numero pr¾destinorum». Sessio VI, 13 Jan., 15437 : Decretum de justificatione, Cap. 12, "Pr¾destinationis temerariam pr¾sumptionem cavendam esse". Voir Denzinger-Schônmetzer, Enchiridion symbolorum definitionum et declerationum de rebus fidei et morum, editio XXXIV, Herder, 1967, pp. 374-375.

[70] Relations spirituelles, XIX, p. 426.

[71] La Vie de sainte Thérèse, ch. 39., p. 381.

[72] On ne saurait trop souligner le rôle qu'a joué le Cantique des Cantiques dans le développement du mysticisme thérèsien. On l'entrevoit dans le passage suivant : « J'en connais une [âme] qui a été bien des années assaillie de frayeurs très vives et que rien ne put rassurer jusqu'au jour où Dieu permit qu'elle entendît certains passages des Cantiques qui lui firent comprendre que son âme était en bon chemin. Oui, je le répète, elle comprit que l'âme éprise d'amour pour son Epoux peut éprouver dans ses relations avec lui, toutes ces consolations, ces défaillances, ces morts, ces désolations, ces délices et ces joies, une fois qu'elle a renoncé à tous les plaisirs du monde pour l'amour de lui, qu'elle s'est totalement remise et abandonnée entre ses mains, non de parole seulement, comme il arrive à quelques-uns, mais d'une manière véritable et prouvée par des œuvres» (Pensées sur le Cantique des cantiques, ch. 1, p. 469). Thérèse d'Avila nous parle évidemment d'elle-même et l'on devine, en la lisant, que la lecture du Cantique des cantiques lui a permis de se rassurer sur ses tendances hystériques et de se dire qu'elles n'étaient pas en contradiction avec sa foi, bien au contraire.

[73] Voir La Vie de sainte Thérèse, ch. 39, p. 379 : « Bien souvent il me dit, en me témoignant beaucoup d'amour : Désormais tu es mienne, et moi je suis tien ». Voir aussi Relations Spirituelles, L p. 446 : « Tu sais l'alliance qui existe entre toi et moi. Cela étant, ce que je possède est à toi; ainsi je te donne toutes les peines et toutes les douleurs que j'ai endurées. Tu peux donc solliciter mon Père comme demandant ce qui t'appartient ».

[74] Voir ibid., ch.34, pp 318-321.

[75] Relations spirituelles, LIX, p. 465,

[76] Telle est assurément l'opinion de Mme Rosa Rossi. Elle écrit, en effet ceci : « Avant de partir [d'Avila], le 7 juin 1579, elle [Thérèse d'Avila] écrivit en une brève note son testament pour les déchaussés », et elle cite alors ces quatre recommandations sans croire utile d'indiquer qu'elles sont censées avoir été dictées par le Christ (voir op. cit., p. 176).

[77] La Vie de sainte Thérèse, ch. 7, p. 82.

[78] Ibid., ch.36, pp. 336-338.

[79] Ibid., p. 339.

[80] Voir op. cit., p. 167. « Jamais la Madre ne cessera d'insister sur l'importance extrême de la lucidité à l'égard de soi-même », écrit-elle, après avoir cité ces lignes de La Vie de sainte Thérèse, ch. 13, p. 130 : « Dans le chemin de l'oraison, le souvenir de ses péchés et la connaissance de soi-même sont le pain avec lequel il faut manger tous les aliments si délicats qu'ils soient; et sans ce pain, on ne serait point nourri ». Or le texte continue ainsi : « Mais encore faut-il le prendre avec mesure. Quand une âme est déjà assouplie et intimement convaincue qu'elle n'a rien de bon par elle-même, quand elle se tient toute confuse en la présence d'un si grand Roi et voit le peu de retour dont elle paie ses immenses bienfaits, quel besoin a-t-elle de consumer là son temps ? ». Marcelle Auclaire cite bien aussi ces lignes un peu plus loin, mais en les présentant de la façon, suivante : « Mais sa prudence, son bon sens sont tels, elle a connu tant de gens - dont elle-même - que la honte de ne pas discerner en eux "chose bonne" a éloignés du Seigneur de toute miséricorde au lieu de les rapprocher de lui en un abandon enfantin qu'elle apporte aussitôt le correctif qui soulagera les scrupuleuses » (p. 168). Ainsi, après avoir exalté la lucidité envers soi de Thérèse d'Avila, elle exalte maintenant sa prudence et son bons sens, sans voir que le "correctif" non seulement restreint singulièrement la prétendue exigence d'extrême lucidité envers soi-même qu'elle prête à Thérèse d'Avila, mais la vide pratiquement de tout sens. Pour Thérèse d'Avila la lucidité envers soi-même consiste seulement à se convaincre de sa misère face à l'infinie grandeur de Dieu, ce qui dispense de se poser d'autres questions et notamment de se demander si l'on n'est pas victime de son imagination quand on croit que Dieu se montre à vous et vous parle à tout bout de champ.

 

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