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IV


Persuadée que Dieu ne cesse de la soutenir par ses paroles, Thérèse d'Avila l'est également qu'il le fait aussi par ses actes. Convaincue qu'il intervient continuellement dans le cours des événements pour la guider et l'aider à réussir dans ses desseins, elle voit volontiers le doigt de Dieu dans tous les événements de sa vie. Elle est persuadée tout d'abord que Dieu n'a cessé d'intervenir, dès son enfance, afin de l'amener à s'engager dans la seule voie qu'il envisageait pour elle, la vie monastique, en lui donnant, ainsi qu'à celui de ses frères dont elle était la plus proche, Rodrigue, des aspirations et des goûts qui n'étaient guère de leur âge [1], et elle ne manque pas de lui en rendre grâce : « Vous-même, Seigneur, n'avez rien négligé pour que, dès cet âge, je fusse tout à vous [2]». Si Dieu a permis qu'elle eut ensuite une période, sinon de dissipation, du moins plus frivole, car elle aimait plaire, porter des parures et se parfumer [3], il a veillé à la soustraire à temps aux tentations en suggérant à son père l'idée de l'envoyer en pension au couvent de Notre-Dame de Grâce où ses pieuses dispositions ont tôt fait de refleurir [4]. Un séjour chez un oncle très porté à la dévotion et aux lectures édifiantes achèvera de la remettre sur la bonne voie [5].

Mais, c'est surtout lorsqu'elle aura pris le voile que les interventions de Dieu vont devenir, selon elle, vraiment patentes et précises. Malheureusement, de même que les paroles qu'elle prête à Dieu, ne s'accordent jamais qu'assez mal avec l'intelligence souveraine et infinie qu'on lui reconnaît habituellement, de même les actions qu'elle lui attribue, donnent souvent une piètre idée de sa façon de conduire les affaires du monde. C'est le cas, tout particulièrement, d'un épisode qui suit de près la première apparition du Christ, destinée selon elle, nous l'avons vu, à l'inciter à renoncer à recevoir un visiteur pour qui elle éprouvait de l'attrait, et qu'elle va interpréter en le reliant à cette apparition  : « Une autre fois, comme je me trouvais avec le même visiteur, nous vîmes venir à nous une espèce de crapaud d'une grosseur énorme et beaucoup plus rapide dans sa marche que ne le sont ces animaux. D'autres personnes qui étaient là l'aperçurent également. Je ne puis m'expliquer comment un animal de ce genre pouvait se trouver en plein jour au lieu d'où il sortit; et, en effet, jamais on n'en vit là depuis. L'impression que sa vue produisit sur moi ne fut pas sans mystère, ce me semble, et le souvenir ne s'en effaça jamais de ma mémoire. O grand Dieu ! avec quelle sollicitude, avec quelle bonté, vous ne cessiez de m'avertir ! et combien peu j'en profitais ! [6]». C'est, semble-t-il, la première fois qu'elle croit voir de manière vraiment précise la main de Dieu. Mais il est permis de penser alors que Dieu a eu la main lourde. Elle croit devoir s'extasier sur la sollicitude et la bonté qu'il lui manifeste. Il y a pourtant plutôt lieu de s'étonner d'un comportement qui ne s'accorde guère avec l'idée infiniment haute que l'on doit se faire de la dignité et de la grandeur de Dieu. Comment ne pas se dire que voilà un docteur de l'Eglise qui semble se faire une bien piètre idée de la divine Providence ? Sans parler du fait que Thérèse d'Avila prête naïvement à Dieu son propre dégoût pour les crapauds, le geste qu'elle lui attribue est aussi puéril que vulgaire. Aussi doit-on se féliciter qu'elle ait tout de suite su décrypter le signe que Dieu lui adressait, évitant ainsi à celui-ci d'avoir à envoyer un affreux cabot lever la jambe devant le gentilhomme en question pour pisser sur ses chausses ou déposer une crotte sur ses chaussures. Mais, pas plus qu'elle ne l'a surprise elle-même, cette étrange manifestation de la grandeur de celui qu'elle appelle si volontiers sa Majesté, ne semble avoir surpris ses hagiographes. Que ce soit Marcelle Auclaire [7], Paul Werrie [8], Emmanuel Renault [9], Bernard Ses [10], Dominique de Courcelle [11], Elisabeth Reynaud [12] ou François de Saint-Chéron [13], tous rapportent ce fait sans s'étonner le moins du monde que Thérèse d'Avila prête ainsi à Dieu des manières qui rappellent fâcheusement celles qu'elle prête souvent au démon. En revanche, on peut penser que Marcel Lépée a, lui, été gêné par cet épisode : toujours est-il qu'il n'en dit pas un mot, alors pourtant qu'il évoque à deux reprises l'apparition du Christ au « visage sévère  » [14].

Si cette première intervention de Dieu était destinée à la mettre en garde, les suivantes seront généralement destinées à l'aider à mener à bien ses projets. Et comme la grande affaire de sa vie va être la fondation de ses couvents, elle va se persuader que ces fondations vont être aussi, à chaque fois, la grande affaire de Dieu. C'est, nous le savons la première fondation, celle de Saint-Joseph d'Avila qui lui a donné le plus de mal et lui a pris le plus de temps, et c'est aussi celle pour laquelle, croit-elle, Dieu s'est le plus mobilisé. Elle est, en effet, convaincue qu'il n'a cessé de veiller au bon déroulement de toute l'opération et d'en contrôler toutes les étapes et toutes les péripéties. Aussi, loin de s'inquiéter, loin de se désoler, lorsque que, parfois, tout semble brusquement remis en cause au moment même où l'on paraissait à la veille de franchir une étape importante, Thérèse d'Avila en conclut-elle alors que le Seigneur, après mûre réflexion a modifié ses plans et changé sa stratégie. Ainsi, alors qu'elle vient de réussir à trouver une maison et que le Seigneur l'a encouragée à la prendre, bien qu'elle la trouvât trop petite, le provincial lui retire soudain son appui et elle se voit interdire de poursuivre son entreprise : « L'affaire en était là, et si près de se conclure que la signature du contrat se trouvait fixée au lendemain, quand notre père provincial changea d'avis. En cela il obéit, je crois à une inspiration divine, la suite l'a bien montré. Le Seigneur, sollicité par tant de prières, perfectionnait son œuvre en l'établissant sur d'autres bases [15]». On le voit, au lieu de se dire, que ses amis et elle n'ont pas assez prié et que Dieu les abandonne, elle pense, au contraire, que Dieu, ému par leur prières, s'est dit qu'il était temps pour lui de prendre sérieusement le problème en mains et, pour ce faire, de commencer par repartir sur des bases nouvelles.

À peu de temps de là, le Christ l'invite à reprendre l'affaire de la fondation, ce qu'elle le fait sans en parler à ses supérieurs [16]. La chose s'ébruite cependant et elle redoute que le provincial ne l'apprenne, mais le Seigneur va se charger de trouver la parade : « Malgré toutes mes précautions pour ne rien laisser transpirer au dehors, l'affaire ne put s'exécuter en si grand secret que plusieurs personnes n'en eussent connaissance. Les unes y croyaient, les autres ne pouvaient y croire. Toute ma crainte était qu'à l'arrivée du provincial, on lui en parlât et qu'il m'interdît de m'en occuper, car à l'instant même j'aurais tout abandonné. Voici comment Notre-Seigneur disposa les choses [17]». La parade consistera à éloigner pendant quelque temps Thérèse d'Avila en lui faisant ordonner par le provincial de partir consoler à Tolède une grande dame Dona Louise de la Cerda, très affligée par la mort de son mari [18].

Au bout de six mois, le provincial, certainement poussé par le Seigneur, la laisse libre soit de rester encore auprès de Dona Louise de la Cerda, soit de rentrer dans son couvent où beaucoup de religieuses paraissent disposées à la choisir comme supérieure. À ce qu'elle dit, cette perspective l'effrayant beaucoup, elle était disposée à opter pour la première solution lorsque le Seigneur lui ordonna de partir sur le champ, ce qu'elle fit [19]. Manifestement, une fois de plus, le Christ lui donne un ordre qui semble la contrarier, mais qui répond, en réalité, à son vœu le plus profond. Thérèse d'Avila se comporte ici comme le font si souvent les hommes politiques  : ils se plaisent à dire qu'ils n'ont personnellement aucun goût pour les charges ni pour les honneurs et prétendent ne les briguer que pour servir l'intérêt public. Mais, au lieu de l'intérêt public, c'est le Christ qui lui sert d'alibi.

Quoi qu'il en soit, elle rentre à Avila et c'est alors seulement, nous dit-elle, qu'elle va comprendre pourquoi le Christ était si pressé de la faire revenir : « Le soir même de mon retour arrivèrent les dépêches et le bref de Rome pour la fondation du monastère. Mon étonnement fut extrême. Et ceux qui savaient combien Notre-Seigneur m'avait pressée de revenir, ne furent pas moins surpris que moi, lorsqu'ils virent à quel point ma présence était nécessaire et dans quelles conjonctures le Seigneur me ramenait. Effectivement je trouvai dans la ville l'évêque, le saint frère Pierre d'Alcantara, et ce gentilhomme d'une si haute piété qui le logeait chez lui, les serviteurs de Dieu trouvant toujours en sa demeure accueil et protection. Tous deux obtinrent de l'évêque qu'il prendrait le monastère sous sa juridiction. […] L'approbation du saint vieillard et son zèle à nous procurer la faveur de plusieurs emportèrent l'affaire. Encore une fois, si je n'étais pas arrivée en pareilles conjonctures, je ne sais comment elle eût pu réussir, car le saint homme ne resta ici qu'un temps très court - huit jours, je crois, pendant lesquels il fut très malade - et peu après le Seigneur l'appelait à lui. On eût dit que Sa Majesté ne le retenait ici-bas que pour mener à terme cette entreprise, car depuis longtemps, plus de deux ans peut-être, sa santé était très mauvaise [20]».

Mais, pour assurer le succès des entreprises de Thérèse d'Avila, Dieu ne se contente pas de prolonger à l'occasion de quelques jours l'existence de vieillards cacochymes. Il peut aussi rendre soudainement malades des personnes en bonne santé et les guérir aussi soudainement, comme un beau-frère de Thérèse d'Avila va en faire l'expérience à quelques jours de là. Dieu, ayant jugé que les derniers préparatifs de la fondation devaient s'accomplir dans la plus grande discrétion, va faire en sorte une nouvelle fois d'éloigner Thérèse d'Avila pendant quelque temps : « Tout s'exécuta dans le plus grand secret. Sans cette précaution, l'on n'aurait rien pu faire, tant la ville était mal disposée, ainsi que la suite l'a fait voir. Le Seigneur permit qu'un des mes beaux-frères tombât malade ici, en l'absence de sa femme. Il se trouva si dénué d'assistance, que l'on m'accorda la permission de demeurer chez lui. Grâce à cette circonstance on ne s'aperçut de rien. Certaines personnes avaient bien quelques soupçons de ce qui se préparait, mais elles ne pouvaient y croire. Chose surprenante ! cette maladie ne dura précisément que le temps exigé par notre affaire. Quand il fut besoin que mon beau-frère recouvrât la santé pour être en état de quitter la maison et me rendre à moi-même la liberté, Dieu le rétablit si soudainement qu'il en fut émerveillé [21]».

Comme pour Saint-Joseph d'Avila, Dieu va seconder Thérèse d'Avila dans la fondation de tous les autres couvents. Il serait trop long et fastidieux de les examiner toutes et de relever toutes les interventions divines que Thérèse d'Avila a cru déceler. Je me contenterai donc de signaler quelques exemples particulièrement révélateurs. Le récit de la fondation du deuxième couvent, celui de Saint-Joseph de Medina del Campo, a l'intérêt de nous montrer que Dieu sait vraiment veiller à tout. Thérèse d'Avila voit un premier signe de l'intervention de Dieu dans le fait que la dame, qui accepte de leur vendre une maison à moitié en ruines, n'exige pas de cautions. « Si les cautions eussent été exigées, écrit-elle, nous étions hors d'état de les fournir. Ainsi le Seigneur arrangeait tout [22]». Thérèse d'Avila explique donc par une intervention de la Providence le fait que la dame n'exige pas de cautions. Mais rarement intervention de la Providence n'aura paru plus inutile  : la dame est certainement trop heureuse de pouvoir enfin vendre une maison pratiquement invendable pour exiger des cautions. De plus elle ne prend guère de risques en ne le faisant pas, puisqu'elle vend à des religieuses que l'on ne peut soupçonner d'intentions malhonnêtes. Thérèse d'Avila va voir un deuxième signe de l'intervention du Seigneur dans le fait que les religieuses, qui arrivent dans la ville à l'heure où l'on enferme les taureaux pour la course du lendemain, ne rencontrent aucun de ces animaux qui, assurément, ne comptent pas parmi les "spirituels" [23]. Mais la suite du récit est peut-être plus éclairante encore : « Arrivés à la maison, nous entrâmes dans un patio. Les murs me semblèrent en fort mauvais état, moins délabrés cependant qu'ils ne m'apparurent au grand jour. Pour que ce bon père [24] n'eût pas vu qu'il n'y avait pas là de place convenable pour le très saint Sacrement, il fallait que le Seigneur l'eût aveuglé […] Je ne savais que faire, voyant bien qu'on ne pouvait décemment placer là un autel. Le Seigneur, qui voulait que la chose se fît sans retard, permit que le majordome de la dame propriétaire de la maison, eût là un grand nombre de tapisseries appartenant à sa maîtresse, […] Il y eut tant d'ardeur de la part des hommes à tendre les tapisseries, de la nôtre, à déblayer le sol, qu'au point du jour l'autel était dressé et la petite cloche suspendue dans un corridor. aussitôt la messe fut dite [25]». Comment ne pas trouver l'histoire des tapisseries tout à fait plaisante ? Thérèse d'Avila prête à Dieu des préoccupations et des solutions de femme d'intérieur et fait de lui un conseiller en ameublement. Mais, si Dieu a permis qu'il y eût des tapisseries, pourquoi n'a-t-il pas permis plutôt que les murs fussent moins délabrés ? Et pourquoi supposer que le « bon père » qui ne s'est pas rendu compte que la maison ne pouvait pas convenir, a été aveuglé par Dieu ? Pourquoi ne pas supposer plus simplement qu'il n'avait pas le même sens pratique que le Seigneur ? Mais, en réalité, en même temps que le bon père, n'est-ce pas le Seigneur lui-même qui a été aveuglé et ne s'est pas rendu compte du véritable état de la maison ? En effet, si Thérèse d'Avila admire une fois de plus la sollicitude dont le Seigneur a fait preuve, cela ne l'empêchera pas pourtant de se rendre compte, aussitôt la messe finie, qu'en dépit des tapisseries providentielles, il est impossible de rester et elle cherchera, dès le lendemain, une autre maison en attendant que l'on fasse des travaux pour rendre la première habitable [26]. Mais heureusement personne ne semble s'inquiéter de la précarité de l'installation et elle ne manque pas d'y voir de nouveau l'intervention de la Providence [27].

Après la fondation du premier couvent de carmélites déchaussées à Avila, la deuxième grande date de l'histoire de. s fondations sera celle du premier couvent de carmes déchaussés à Duruelo. Aussi Thérèse d'Avila est-elle persuadée que, non content d'être intervenu tout au long des négociations [28], Dieu a voulu célébrer l'événement par un véritable petit miracle [29]. Le parti pris de Thérèse d'Avila, qui veut à tout prix croire que Dieu suit et seconde sans cesse ses entreprises, apparaît aussi particulièrement bien dans le récit de la fondation du couvent de Saint-Joseph de Tolède. Sur la suggestion d'un père jésuite, Paul Hernandez, un riche marchand, Martin Ramirez, avait, sur son lit de mort, chargé son frère Alphonse Alvarez Ramirez, de financer la fondation d'un couvent de carmélites déchaussées. Mais, outre qu'il fut impossible de trouver une maison à louer, Thérèse d'Avila ne peut finalement s'entendre avec Alphose Alvarez et rompit avec lui. C'est alors qu'un jeune homme pauvre, nommé Andrada, lui fut envoyé par un franciscain qu'elle avait rencontré peu auparavant. Il se chargea de lui trouver une maison, ce qu'il fit dès le lendemain [30]. Thérèse d'Avila ne manque pas d'en conclure que ce jeune homme lui a été envoyé par Dieu, et que celui-ci est aussi à l'origine de la rupture avec Alphonse Alvarez : « En vérité, je ne puis penser à cette fondation sans admirer la conduite de Dieu. Pendant près de trois mois - ou tout au moins plus de deux, car je ne saurais préciser absolument - des personnes riches avaient parcouru toute la ville pour trouver une maison, et elles n'avaient pu y parvenir : on eût dit qu'il n'y en avait pas dans Tolède. Ce jeune homme se présente. Lui n'est pas riche; il est pauvre au contraire, et le Seigneur veut qu'il en trouve une sur-le-champ. De plus, la fondation pouvait se faire sans peine, si les négociations avec Alphonse Alvarez avaient réussi. Dieu permet qu'elles se rompent tout à fait, parce qu'il veut que la fondation se fasse dans la pauvreté et les tribulations [31]». Elle se dit que Dieu « veut que la fondation se fasse dans la pauvreté et les tribulations »; mais, si les négociations avec Alvarez avaient réussi, et si l'on avait trouvé tout de suite une maison, elle aurait sans doute dit que Dieu avait voulu que la fondation se fît sans peine. D'autres difficultés devront encore être surmontées, et, bien sûr, Thérèse d'Avila pensera de nouveau que ce fut grâce à Dieu : « Je ne tardai pas à m'apercevoir que nous nous y étions très mal prises. Dans l'ardeur que Dieu inspire quand il veut l'accomplissement d'une œuvre, on ne songe pas tout d'abord aux inconvénients. Quand la maîtresse de maison apprit qu'on y avait fait une chapelle, ce ne fut pas une petite affaire. Son mari était en possession d'un majorat; aussi faisait-elle grand tapage. Heureusement elle se dit que si nous étions contentes de la maison, nous la lui achèterions, et même à bon prix. Dieu permit que cette pensée l'apaisât [32]». Mais on se demande bien pourquoi Thérèse d'Avila éprouve le besoin de faire appel à l'intervention de Dieu pour expliquer que quelqu'un puisse être apaisé par la perspective de faire une bonne affaire. De plus, comment ne pas être un peu perplexe lorsqu'elle nous dit que « dans l'ardeur que Dieu inspire quand il veut l'accomplissement d'une œuvre, on ne songe pas tout d'abord aux inconvénients  » ? En effet, si c'est Dieu qui donne l'ardeur nécessaire pour accomplir une œuvre, pourquoi ne donne-t-il pas en même temps la clairvoyance nécessaire pour prévoir les inconvénients et essayer de les éviter ? Or, selon Thérèse d'Avila, loin d'aller de pair avec la prévoyance, l'ardeur que Dieu inspire semble, au contraire, s'y opposer. Comment ne pas se dire alors que les choses se passeraient peut-être mieux, si Dieu réglait plus judicieusement l'ardeur qu'il inspire ?

Mais heureusement Thérèse d'Avila ne cherche jamais à mettre un peu de logique dans ses interprétations providentialistes des événements. Il lui suffit qu'elle puisse toujours en trouver une qui lui convienne, et elle en trouve à chaque fois. Car l'avantage de ce type d'explications, c'est que cela marche toujours, à condition, bien sûr, de ne pas être très exigeant et d'avoir un esprit critique fort peu développé. Ainsi, soit que Thérèse d'Avila rencontre beaucoup de difficultés pour mener à son terme une fondation ou qu'elle n'en rencontre que très peu, elle trouve toujours une bonne raison d'en conclure que Dieu le veut ainsi. Si elle ne rencontre que peu de difficultés, c'est parce que Dieu tient beaucoup à ce que la fondation se fasse et qu'il veut qu'elle se fasse vite. Si elle rencontre beaucoup de difficultés, cela ne veut jamais dire, on l'aura compris, que Dieu ne s'intéresse pas à la fondation et encore moins qu'il la voit d'un mauvais œil : bien au contraire, s'il permet qu'une fondation ne se fasse qu'après de très longs et très pénibles efforts, c'est d'ordinaire parce qu'il veut montrer par là, outre son désir de mettre à l'épreuve l'ardeur et la persévérance de ses serviteurs, l'importance exceptionnelle qu'il lui accorde.

Mais Thérèse d'Avila ne s'explique pas seulement le fait qu'elle rencontre beaucoup ou peu de difficultés dans ses fondations, par la volonté de Dieu qu'il en soit ainsi. Elle n'oublie pas non plus de faire intervenir le diable. Ainsi, racontant dans quelles conditions elle a pu louer une maison en vue de la fondation du monastère de Saint-Joseph de Salamanque, elle écrit ceci : « J'avais le plus grand soin de tenir l'affaire secrète jusqu'à la prise de possession, sachant par expérience tous les ressorts que fait jouer le démon pour empêcher la fondation d'un de ces monastères. Il est vrai que Dieu ne lui permit pas de traverser celui-ci à ses débuts, parce qu'il voulait que la fondation eût lieu; mais, dans la suite, les tribulations et les contradictions ont été exceptionnelles, et elles ne sont pas encore entièrement aplanies. et pourtant, à l'heure où j'écris, ce couvent compte déjà plusieurs années d'existence. Dieu je pense, y est très bien servi puisque le démon ne peut le souffrir [33]». On le voit, si tout se passe bien, c'est parce que Dieu approuve la fondation et la favorise; s'il y a des problèmes et des difficultés, c'est parce que le diable s'en mêle. Mais, si le diable s'en mêle, c'est parce qu'il sait bien que la fondation plaît à Dieu. Ainsi plus il la combat, et plus il y a lieu de croire que Dieu l'approuve. Quoi qu'il arrive, Thérèse d'Avila en conclut donc toujours que Dieu est avec elle, et elle se félicite toujours de ce qu'elle a fait.

Un autre exemple, le récit de la fondation du monastère de Notre-Dame de l'Annonciation à Albe de Tormès, montre bien la lutte que, selon Thérèse d'Avila, se livrent Dieu et le diable à chaque fois qu'elle veut fonder un couvent. Pour une fois, elle a consenti à fonder un monastère avec des revenus. Elle commence donc son récit en racontant l'histoire de la donatrice, Thérèse de Layz [34]. C'est Dieu qui va marquer le premier point. Comme il se doit, il sait agir dans le long terme et va préparer la future fondation en choisissant d'abord lui-même le mari de Thérèse : « Le temps vint où les parents de Thérèse voulurent la marier. Elle s'y refusait d'abord, n'en ayant pas le désir. Mais apprenant qu'elle était demandée par François Veslasquez - actuellement son mari et fondateur du monastère - elle ne l'eut pas plutôt entendu nommer qu'elle se décida à se marier, si on le lui donnait pour époux. Et cependant, elle ne l'avait pas vu de sa vie. Mais le Seigneur, lui, voyait que cela convenait pour l'accomplissement de la bonne œuvre que tous deux ont réalisée depuis, à la gloire de Sa Majesté [35]». Mais le diable ne va pas manquer de deviner dans quel but Dieu a voulu ce mariage; aussi va-t-il s'efforcer de désunir ce que Dieu a uni et essayer de suborner Thérèse  : « Son mari, qui était d'Albe, l'y ayant menée, il arriva que, par ordre des officiers du duc, un jeune gentilhomme prit logis chez elle. Elle en fut si contrariée que le séjour d'Albe lui devint odieux. Jeune encore et d'un extérieur fort agréable, elle comprit que malgré la solidité de sa vertu, elle pourrait courir quelque péril. Le démon, en effet, commençait à traverser de mauvais desseins l'esprit de ce gentilhomme [36]». Heureusement le plan du démon avorte, car, Thérèse, assurément inspirée par Dieu, parvient à convaincre son mari de quitter Albe et le couple va s'installer à Salamanque.

Mais, ignorant les desseins de Dieu, ils veulent avoir des enfants  : « Ils n'avaient qu'un chagrin : c'est que Notre-Seigneur ne leur donnait pas d'enfants. Thérèse se livrait dans cette vue à des dévotions et à des prières ferventes. Elle ne demandait qu'une chose à Dieu : une descendance qui pût, après sa mort, louer Sa Majesté  : elle ne pouvait se faire à la pensée qu'elle laisserait personne après elle pour remplir ce but. Elle m'assure encore que ses désirs n'eurent jamais d'autre but [37]». Dieu aurait dû s'en réjouir, car, outre qu'il est, en général, très favorable à la procréation, à la condition, bien sûr, que ce soit dans le cadre d'une union légitime et chrétienne, l'intention dans laquelle Thérèse voulait avoir des enfants, ne pouvait que lui paraître infiniment louable. Malheureusement cela ne cadrait pas avec ses projets. Aussi va-t-il employer les grands moyens. Thérèse, lorsqu'elle prie pour avoir des enfants, se recommande tout particulièrement à saint André qu'on lui a dit être très efficace en la matière. Or, un jour, elle entend une voix qui lui dit : « Ne désire pas des enfants, tu te damnerais  ». Très effrayée, elle n'en continua pas moins à prier saint André pour le même motif, lorsqu'elle eut une vision : « Il lui sembla qu'elle se trouvait dans une maison, et que dans le patio de cette maison, au-dessous de la galerie, il y avait un puits. Dans le même lieu, elle vit un pré vert, semé de fleurs blanches, si belles qu'elle renonce à les décrire. Auprès du puits, saint André lui apparut sous les traits d'un personnage beau et vénérable, dont l'aspect la charma. il lui dit : Voilà d'autres enfants que ceux que tu désires ! Elle eût bien voulu ne jamais voir finir le bonheur qu'elle goûtait en ce lieu; bientôt pourtant tout disparut. Elle comprit clairement, sans que personne le lui dît, que ce saint était saint André, et, en outre, que la volonté de Notre-Seigneur était qu'elle fondât un monastère [38]». Sur ces entrefaites, son mari rappelé à Albe par la duchesse d'Albe, y achète une maison et fait venir sa femme. Celle-ci, en entrant dans le patio, reconnaît alors le décor de sa vision et décide d'établir là le monastère [39].

Le projet commence alors à se concrétiser, son mari et elle achetant des bâtiments attenant pour agrandir les locaux. Mais, ne sachant pas de quel Ordre il convenait que le monastère relevât, Thérèse va demander des conseils et c'est alors que le démon va, de nouveau, s'efforcer de faire avorter son pieux projet : « Deux religieux de différents Ordres, hommes de vertu et de doctrine, furent consultés. Tous deux lui dirent qu'elle ferait mieux de choisir d'autres œuvres de piété, parce que les religieuses étaient pour la plupart mécontentes de leur état; à quoi ils ajoutèrent bien d'autres raisons encore. Le démon à qui ce dessein déplaisait, voulait sans doute le faire échouer, et c'est dans ce but qu'il persuadait aux deux religieux que leurs raisons étaient parfaitement fondées. Leur insistance à blâmer l'entreprise fut si grande, et le démon, qui, de son côté, tenait plus encore à la ruiner, remplit si bien Thérèse de craintes et d'anxiétés qu'elle résolut d'y renoncer et s'en ouvrit à son mari [40]». Thérèse d'Avila, pour qui ses fondations sont devenues la grande affaire de sa vie, ne songe pas un instant à se demander si, après tout, les deux religieux n'ont pas raison, et à se dire que des gens riches pourraient peut-être, en le consacrant à des œuvres charitables, employer leur argent plus utilement qu'en fondant un monastère. Pour elle, une opinion aussi opposée à la sienne ne peut avoir été inspirée que par le démon.

Celui-ci semble donc avoir atteint son but : Thérèse et son mari renoncent à leur projet de fonder un monastère et décident de marier un neveu de Thérèse à une nièce de son mari et de leur léguer à leur mort l'essentiel de leur fortune. C'est alors que Dieu va frapper un grand coup : « Mais comme Dieu en avait décidé autrement, cet arrangement demeura sans effet. Quinze jours ne s'étaient pas écoulés que ce jeune homme [le neveu de Thérèse] fut saisi d'un mal violent, et en fort peu de temps Notre-Seigneur l'appelait à lui. Thérèse resta entièrement convaincue que si cette mort était arrivée, c'est qu'elle avait renoncé à son projet pour laisser sa fortune à son neveu. Elle en conçut une frayeur très vive. Se rappelant ce qui était arrivé au prophète Jonas pour avoir refusé d'obéir à Dieu, elle se disait que c'était pour la punir que ce neveu si tendrement aimé lui avait été ravi. À partir de ce jour, elle arrêta dans son esprit que rien au monde ne la détournerait d'établir un monastère [41]». Bien sûr, Thérèse d'Avila est, elle ausi, convaincue que Dieu est intervenu pour ramener Thérèse et son mari à leur projet de construire un monastère. Elle n'est aucunement choquée qu'il n'ait pas hésité à faire mourir un être qui était, nous a-t-elle dit, « fort jeune et d'une conduite exemplaire [42]», pour qu'il y ait un couvent de plus où on le louerait du matin au soir; elle n'est aucunement gênée que, pour qu'elle puisse inscrire une fondation de plus à une liste déjà longue, une vie humaine ait été brusquement et prématurément interrompue. Bien au contraire, elle n'y voit qu'une raison de plus de bénir Dieu à jamais.

Bien d'autres exemples encore pourraient nous montrer que Thérèse d'Avila est à chaque fois persuadée que Dieu ne cesse de présider à la réalisation de ses fondations et les prépare souvent depuis très longtemps, tandis que le démon essaie vainement de les empêcher et enrage lorsqu'elles voient enfin le jour. C'est le cas notamment de la fondation du couvent de Saint-Joseph du Sauveur à Veas. Thérèse d'Avila reçoit des lettres d'une « demoiselle de qualité » de Veas, du curé du bourg et de quelques autres habitants, qui lui demandent de venir fonder un monastère. Elle s'adresse alors au commissaire apostolique en pensant que celui-ci va refuser. Mais, à sa surprise, il lui dit de répondre favorablement à ceux qui lui avaient écrit, en ajoutant que, de toute façon, ils n'obtiendraient jamais l'autorisation de l'Ordre dont ils dépendaient [43]. Ce religieux a donc cru se montrer habile en accordant une autorisation qui, pensait-il, resterait sans effets. Mais, selon Thérèse d'Avila, il a été, en cela, le jouet de Dieu, qui s'est servi de lui pour faire avancer un projet qu'il désapprouvait  : « De temps en temps ma pensée se reporte à ce qui se passa en cette circonstance, et j'admire en vérité comment, lorsque Dieu veut une chose que nous ne voulons pas, nous devenons sans nous en douter, l'instrument qui sert à la réaliser. C'est ce qui arriva au père maître Pierre Fernandez, le commissaire apostolique dont je parle. Les personnes en question ayant obtenu l'autorisation des commandeurs, il ne put refuser la sienne [44]».

Car Dieu, lui, tenait beaucoup à ce projet qu'il avait commencé à mettre en œuvre bien des années avant, comme le montre, selon Thérèse d'Avila, l'histoire des deux fondatrices, Catherine Godinez, la demoiselle de qualité qui lui a écrit, et sa sœur, Marie de Sandoval. À l'âge de quatorze ans, Catherine, qui était très orgueilleuse et dédaignait tous les partis que son père lui proposait, reçoit soudainement une illumination divine, après avoir jeté les yeux sur un crucifix et lu l'inscription qui était au-dessus de la croix, et fait à l'instant vœu de pauvreté et de chasteté [45]. Cette victoire remportée par Dieu provoqua la fureur du démon, nous dit Thérèse d'Avila : « Catherine en était là, lorsqu'il se produisit dans la partie supérieure de l'appartement un bruit si effroyable qu'on eût dit que tout s'effondrait. Ce bruit paraissait descendre par un angle de la pièce où elle était. Elle entendit en même temps des rugissements très forts, qui se prolongèrent quelques instants. Son père qui, ainsi que je l'ai dit, n'était pas encore levé, en eut tant de frayeur que, tremblant et tout hors de lui, il prit sa robe de chambre et son épée, entra chez sa fille, et le visage altéré, lui demanda ce qu'il y avait. Elle lui répondit qu'elle n'avait rien vu […] On peut juger par là quelle est la rage du démon, lorsqu'il voit lui échapper une âme dont il se croyait sûr [46]».

Les années passent; les deux sœurs qui entre temps ont perdu leur père et leur mère veulent fonder un couvent à Veas, mais n'arrivent pas à obtenir l'autorisation de la commanderie de Saint-Jacques. De plus Catherine est, depuis longtemps, gravement malade et ses proches essaient de la persuader de renoncer à son projet. Elle leur répond que, si dans un mois Dieu lui rend la santé, ils devraient admettre qu'il soutient son projet et la laisser aller elle-même à la cour entreprendre les démarches nécessaires. Elle guérit brusquement et Thérèse d'Avila ne manque pas d'y voir un miracle. Elle est persuadée que Dieu lui a rendu la santé pour qu'elle puisse se consacrer à son pieux projet, mais elle ne songe pas à se demander pourquoi alors Dieu l'avait rendue malade. Elle ne songe pas non plus à se demander pourquoi Dieu permet alors que les démarches qu'elle fait à la cour pendant trois mois restent sans effets, jusqu'à ce qu'elle pense enfin à frapper à la bonne porte et à s'adresser au roi, qui est très favorable aux carmélites déchaussées [47].

Mais, pour Thérèse d'Avila, c'est Dieu qui a levé tous les obstacles : « Lorsqu'il fut question d'effectuer la fondation, il parut bien que cette Catherine avait négocié l'affaire avec Dieu, car les supérieurs y donnèrent leur consentement, malgré la distance des lieux et la modicité des revenus. Quand sa Majesté veut une chose, elle ne peut manquer de s'accomplir [48]». Thérèse nous redit ici ce qu'elle nous avait déjà dit au commencement du récit, à savoir que c'est Dieu qui a incité les supérieurs de Catherine à donner leur consentement. Mais elle oublie qu'elle vient de nous donner elle-même la véritable explication : Catherine a obtenu l'appui du roi et c'est certainement ce qui a fait céder ses supérieurs. « Quand sa Majesté veut une chose, elle ne peut manquer de s'accomplir », dit Thérèse d'Avila. Elle a raison, à ceci près que la Majesté en question n'est pas celle à laquelle elle pense.

La conviction où est Thérèse d'Avila que ses fondations sont continuellement l'objet d'interventions surnaturelles apparaît aussi particulièrement bien dans le long récit de la fondation du monastère de Saint-Joseph du Carmel à Séville. Elle est d'abord persuadée que Dieu est intervenu pendant le voyage pour leur permettre d'arriver à bon port. Certes le voyage des religieuses est très pénible, notamment à cause de la chaleur et il leur arrive des incidents, mais Dieu veille toujours à ce que tout se termine bien. C'est notamment le cas, à ce qu'elle croit, lorsque leur bac part à la dérive et s'échoue en traversant le Guadalquivir : « Dans l'épreuve même, Sa Majesté donne encore des marques de clémence. Effectivement la barque s'arrêta sur un banc de sable, et l'eau étant assez basse d'un côté, on put nous porter secours [49]». Le moins que l'on puisse dire, c'est que faire intervenir la providence en une telle occasion, ne s'imposait vraiment pas. Tout d'abord, on se demande bien, si Dieu a dû intervenir pour qu'on pût leur porter secours assez aisément, pourquoi il n'a pas plutôt fait en sorte que l'on n'eût pas à le faire. De plus, même quand il arrive beaucoup de problèmes et d'incidents au cours d'un voyage, on finit, presque toujours par arriver au but avec un retard plus ou moins grand. S'il fallait, à chaque fois que cela se produit, en conclure à une assistance divine, Dieu passerait son temps à intervenir pour permettre aux voyageurs d'arriver à destination. Selon Thérèse d'Avila, Dieu est aussi intervenu une seconde fois au cours du voyage lorsque, arrivés à Cordoue, les religieuses ont voulu entendre la messe dans une église bondée, en les protégeant aussitôt contre la curiosité de la foule : « A peine entrions-nous dans l'église qu'un homme de bien, venant à moi, nous ouvrit un passage à travers la foule. Je lui demandai instamment de nous conduire dans quelque chapelle. Il le fit, ferma la grille, et ne nous quitta qu'après nous avoir reconduites hors de l'église. Au bout de peu de temps, cet homme vint à Séville, et il raconta à un père de notre Ordre qu'à cause de cette bonne action sans doute, Dieu l'avait favorisé d'un héritage ou d'un don considérable qu'il n'attendait pas [50]». Comment ne pas se dire une nouvelle fois, en lisant ces lignes, que, par moments, la sottise de Thérèse d'Avila a quelque chose d'écœurant ? Comment ne pas se dire, qu'elle fait preuve d'un orgueil aussi incommensurable que sa crédulité, en accordant au petit service que cet homme lui a rendu une importance telle qu'elle veut croire que Dieu a jugé bon de l'en récompenser par « un don considérable », alors que ce même Dieu a toujours permis que d'innombrables hommes passent toute leur vie dans la misère la plus complète et que beaucoup d'entre eux meurent de faim ?

Une fois arrivée à Séville, elle ne va pas manquer d'attribuer au démon toutes les difficultés qu'elle va rencontrer : « Personne n'aurait jamais pu imaginer que dans une ville aussi florissante, aussi riche que Séville, j'aurais rencontré moins de facilité que partout ailleurs pour fonder un monastère. Et cependant j'en eus si peu que je me demandais parfois s'il convenait que nous eussions un couvent dans cette ville. Je ne sais si l'influence du pays n'y était pas pour quelque chose, car j'ai toujours entendu dire que les démons ont là plus de pouvoir de tenter qu'ailleurs : c'est Dieu sans doute qui le permet ainsi. Pour moi j'en fus terriblement harcelée [51]». Quand on lit, sous la plume d'un docteur de l'Eglise, une phrase comme celle-ci : « J'ai toujours entendu dire que les démons ont là plus de pouvoir de tenter qu'ailleurs », on se dit que l'Eglise n'est vraiment pas difficile sur le niveau intellectuel de ceux ou de celles auxquels elle confère le titre de docteur.

Quoi qu'il en soit, voyant que le diable fait tout pour empêcher l'achat de la maison, Dieu va prendre lui-même l'affaire en main : « Notre-Seigneur commença par nous empêcher d'en acheter une, dont la situation avantageuse plaisait à tout le monde. Mais elle était si vieille et en si mauvais état qu'en réalité nous n'achetions guère que l'emplacement. Encore nous coûtait-il presque aussi cher que le local occupé aujourd'hui par la communauté. L'affaire cependant était conclue, et il ne restait plus qu'à passer le contrat […] Par une permission de Dieu, le vendeur qui pourtant réalisait là une superbe affaire, fit des difficultés pour passer le contrat au temps convenu, et nous fournit ainsi un motif plausible de rompre le marché [52]». Thérèse d'Avila trouve alors une autre maison qui lui convient et qui, semble-t-il, convient aussi à Dieu, puisque l'affaire se conclut rapidement : « Comme d'autre part, le Seigneur voulait l'acquisition, le contrat fut signé à deux ou trois jours de là [53]». L'installation va encore poser quelques problèmes; celui qui occupe la maison ne voulant pas s'en aller, et les religieux de Saint-François qui résident tout près, s'opposant à la venue des religieuses. Mais enfin tout s'arrange et Thérèse d'Avila y voit encore la main de Dieu : « Nous restâmes plus d'un mois dans cette pénible situation. Enfin, par la bonté de Dieu nous pûmes nous transporter dans notre nouvelle demeure [54]».

Bien entendu le démon est furieux et il na va pas manquer de manifester sa colère en perturbant la cérémonie de l'installation du saint Sacrement : « Le concours du peuple fut immense. Une chose se produisit, très surprenante, au dire de tous ceux qui en furent témoins. On avait fait éclater force mortiers, lancé force fusées. Une fois la procession finie et la nuit étant presque arrivée, des gens imaginèrent de continuer les détonations. Le feu prit, je ne sais comment, à un peu de poudre : on regarda comme une merveille que celui qui la portait ait eu la vie sauve. Une grande flamme monta aussitôt jusqu'à la partie supérieure de notre cloître, dont les arceaux étaient recouverts de taffetas. Personne ne doutait que cette étoffe, qui était jaune et cramoisie, ne fût réduite en cendres. Elle ne se trouva même pas endommagée. Ce qui est plus étonnant, c'est que la pierre des arceaux, que recouvrait ce taffetas, fut noircie par la fumée, et le taffetas lui-même resta aussi intact que si le feu n'en eût pas approché. À cette vue, la stupeur fut générale. Les religieuses bénirent Dieu, car elles n'auraient pas eu le moyen de remplacer cette étoffe. Sans doute, le démon, dépité de cette belle cérémonie et fâché de voir un nouveau monastère consacré à Dieu, avait tâché de se venger d'une manière quelconque. Mais Sa Majesté ne le permit pas. Louange éternelle lui soit rendue ! [55]». Certes, le diable est volontiers pyromane, mais quand, au milieu d'une grande foule, il se trouve un assez grand nombre d'individus dont le plus grand plaisir est de faire parler la poudre, est-il bien nécessaire de faire intervenir le diable pour expliquer qu'un feu se déclare dans de telles circonstances ? Thérèse d'Avila, elle, est persuadée que c'est le diable qui a mis le feu et Dieu qui a joué les pompiers, avec pour principal souci de préserver le taffetas. Décidément le dieu de Thérèse d'Avila a un goût pour les chiffons qui pourrait sembler suspect à des esprit mal intentionnés.

Après la fondation du monastère de Séville, la persécution dont les Déchaussés vont être les victimes fera que, pendant quatre ans, il n'y aura pas de nouvelles fondations. Mais, bien sûr, Thérèse d'Avila ne manque pas, quitte à lui prêter une politique passablement incohérente, de voir la main de Dieu dans le déclenchement et la poursuite de la persécution, de même que dans sa cessation. C'est Dieu qui a inspiré la politique du nouveau nonce, très hostile aux déchaussé, pour mettre la patience de ceux-ci à l'épreuve [56]. Mais apparemment la politique du nonce, bien qu'inspirée par Dieu, a davantage lassé la patience de celui-ci que celle des Déchaussés, si bien qu'il a dû ensuite se servir du roi pour la battre en brèche [57]. Plus encore que Thérèse d'Avila, Dieu est visiblement impatient de voir les fondations reprendre, car outre qu'il semble s'être découvert une véritable passion pour les questions immobilières, il sait que cela ne manquera pas de faire enrager son ennemi irréconciliable, mais dont il ne peut se passer, le démon.

Et tous deux vont, en effet, de nouveau s'opposer lors de la fondation de Saint-Joseph de Notre-Dame de la Rue à Palencia. Nous avons déjà vu plus haut comment le démon commence par détourner Thérèse d'Avila d'acheter une maison qui semblait particulièrement bien située et comment, s'étant décidée alors pour une autre maison, Thérèse d'Avila entend fort opportunément le Christ lui ordonner de revenir à la solution à laquelle elle souhaitait revenir. La chose pourtant n'était pas aisée pour Thérèse d'Avila, car outre qu'il lui était difficile d'expliquer son brusque revirement, les négociations pour l'achat de la seconde maison étaient déjà très avancées. Mais elle se dit que Dieu saurait bien lever les difficultés et c'est, croit-elle, ce qui arriva : « On avait concédé au maître de la maison tout ce qu'il avait voulu et demandé, quand il s'avisa de réclamer encore trois cents ducats. C'était de la déraison, car on la lui payait au-delà de sa valeur. Nous vîmes dans cet incident la main de Dieu même; car cet homme avait besoin de vendre, et monter le prix une fois le marché conclu, ce n'était pas acceptable. Cette circonstance nous servit beaucoup, car elle nous permit d'alléguer que nous n'en finirions jamais avec lui [58]». Une fois l'affaire terminée, Thérèse d'Avila achève de se convaincre qu'une fois de plus elle venait d'assister à la victoire de Dieu et à la défaite du démon : « Dans la suite, nous comprîmes tous que nous faisions une lourde maladresse en achetant l'autre maison. Nous sommes frappés maintenant de voir à quel point celle-ci est préférable. Mais le principal, c'est que manifestement Notre-Seigneur et sa glorieuse Mère sont très bien servis en ce lieu, et que beaucoup d'occasions de péché se trouvent écartées. Tant que ce n'était qu'un ermitage, il pouvait s'y passer bien des choses regrettables durant les veilles fréquentes de la nuit, et le démon redoutait d'y voir mettre un terme [59]».

À force d'intervenir dans le choix des maisons, chaque fois que Thérèse d'Avila veut fonder un couvent, Dieu a acquis une expérience dans ce domaine dont Thérèse d'Avila ne peut plus se passer. Elle va de nouveau lui servir lors de la fondation du monastère de Saint-Joseph de sainte Anne à Burgos. Bien entendu le diable va, lui aussi s'en mêler, mais, comme on pouvait s'y attendre, ses manœuvres se retourneront contre lui. Il s'emploie tout d'abord à susciter la mauvaise volonté de l'archevêque : « Le prélat répétait qu'il désirait plus que personne la fondation, et sans doute il en était ainsi, car il a trop de religion pour parler contre la vérité. Ses actes néanmoins ne le donnaient pas à penser, car il exigeait de nous des choses qui, vu notre situation, paraissaient impossibles. Evidemment c'était une trame ourdie par le démon pour empêcher le succès de notre entreprise. Mais, ô Seigneur, que votre puissance éclate admirablement ! Des moyens même que notre ennemi employait pour perdre cette œuvre, vous avez su tirer son plus grand avantage. Soyez-en éternellement béni ! [60]». La principale exigence de l'archevêque est que les religieuses aient d'abord une maison en propre. Elles vont donc en priorité se préoccuper de trouver une maison, et c'est ce qui va leur permettre de trouver celle qu'il leur fallait et qui leur aurait sans doute échappé, si elles ne s'étaient pas mises en quête tout de suite. Car la recherche se révèle particulièrement difficile. Heureusement Dieu a cherché aussi de son côté et, en quelque sorte, en a déjà retenu une pour Thérèse d'Avila : « Enfin on me parla de la maison d'un gentilhomme, mise en vente depuis un certain temps déjà. Par une permission de Dieu, les religieux d'autres Ordres, comme nous en quête d'un local, ne l'avaient pas trouvée à leur convenance. Tous s'en étonnent maintenant, quelques-uns même s'en repentent [61]». On le voit, Thérèse d'Avila est persuadée que Dieu a aveuglé les religieux des autres Ordres pour les empêcher d'acheter la maison avant elle; elle semble même persuadée qu'eux-mêmes s'en rendent compte maintenant, reconnaissant ainsi implicitement que Dieu leur préfère les carmélites déchaussées. Il est assez plaisant de voir que Dieu prend parti entre les ordres religieux et, qui plus est, non pas pour les départager sur des questions de pratique religieuse ou de doctrine, mais pour arbitrer leurs petites rivalités dans la recherche d'un local. Décidément le dieu de Thérèse d'Avila n'en finit pas de nous étonner.

Après être intervenu pour trouver la maison qu'il fallait, Dieu va encore intervenir pour en faciliter l'acquisition, d'abord en disposant favorablement le représentant du propriétaire  : « Le gentilhomme qui en était propriétaire se trouvait absent, mais il avait donné procuration à un vertueux ecclésiastique pour en effectuer la vente. Sa Majesté inspira à celui-ci de vouloir bien nous accepter pour acquéreurs, et de s'entendre avec nous dans toute la franchise possible [61]». Il va ensuite faire en sorte que Thérèse d'Avila puisse l'acheter à un prix avantageux. Le vendeur en veut un prix que Thérèse d'Avila et son conseiller dans cette affaire, le licencié Aguiar, jugent très peu élevé, mais certains amis de Thérèse d'Avila ne sont pas de cet avis et elle hésite à conclure, obligeant alors Dieu à intervenir directement et clairement, en lui disant : « Quoi ! pour de l'argent, tu t'arrêtes ? [61]» Car le temps presse et Thérèse d'Avila risque de voir l'affaire lui échapper. Mais Dieu intervient encore une fois pour précipiter la vente : « Le licencié rencontra un notaire à la porte : on eût dit que c'était Notre-Seigneur lui-même qui l'envoyait. Il l'amena et me dit qu'il fallait terminer. Ayant appelé un témoin, il ferma la porte de la salle - car toute sa crainte était qu'on apprît ce qui se passait - et la vente fut enfin conclue avec toutes les garanties désirables [61]». Certes Thérèse d'Avila n'affirme pas explicitement que le notaire a été envoyé par Dieu, mais elle en est convaincue, comme elle est convaincue que Dieu n'a cessé de veiller au bon déroulement d'une opération qui, pour elle, fut « rien moins qu'un vrai miracle [61]».

Bien sûr, elle a beau parler de « vrai miracle », elle sait bien que ce n'est pas là un miracle au sens propre du terme. Car, si l'enchaînement des circonstances a été tel que, selon elle, il a certainement été réglé par Dieu lui-même, il ne s'est rien produit de contraire à l'ordre naturel. Mais, il lui arrive à l'occasion de croire que Dieu lui accorde d'opérer de véritables miracles. Elle raconte, en effet, deux guérisons qu'elle est persuadée d'avoir obtenues et qui lui paraissent miraculeuses [66]. Quoi qu'il en soit, elle est manifestement convaincue que Dieu n'a pas cessé de veiller sur elle, de la guider et de l'assister tout au long de son existence, et tout particulièrement dans ses fondations de monastères dans lesquelles il semble s'être investi autant qu'elle-même, en ne cessant pas non seulement de s'y intéresser et à chaque fois de suivre de près l'évolution de l'entreprise, mais aussi d'y prendre une part très active et d'agir continuellement à ses côtés, quitte à se transformer, quand il le fallait, en agent immobilier, en expert financier, voire en conseiller en ameublement. Et, une fois de plus, on est obligé de constater que la lecture de celle qui voudrait que tous les hommes consacrent leur vie à aimer et à adorer Dieu, nous propose de celui-ci une image qui serait plutôt de nature à nous éloigner de lui. Les actions qu'elle lui prête, quand elles ne sont pas franchement grotesques et dégradantes, comme dans l'épisode du crapaud, ne sont guère de nature à nous inciter à l'admirer et à l'aimer. Ce dieu, qui se fait si bien l'associé de toutes ses entreprises, ne sort pas grandi de ce partenariat. Il se prend tellement au jeu qu'il ne craint pas de se montrer aussi rusé, aussi retors, aussi roublard que seuls, aurait-on pu croire, les humains peuvent l'être. Il biaise, il cache son jeu, il gagne du temps, il s'adapte aux circonstances, il manœuvre, il manigance, peu s'en faut qu'il ne magouille. Ses finasseries sans fin qui ne cessent de susciter de la part de Thérèse d'Avila, une admiration sans bornes, paraissent bien peu dignes d'un dieu. Mais surtout ce dieu, qui n'hésite pas à jouer avec la santé, voire avec la vie des autres, pour faire avancer les affaires de Thérèse d'Avila. qui les rend malades, les guérit ou les fait mourir, selon que cela peut ou non l'aider dans ses desseins, ne mérite guère, semble-t-il, d'être aimé que par elle.


 

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NOTES :

[1] Voir La Vie de sainte Thérèse, ch. 1, pp. 44-45 : « Notre étonnement était extrême quand nous lisions dans nos livres que les tourments et la gloire devaient durer toujours. C'était le sujet habituel de nos entretiens. Nous aimions à répéter  : Pour toujours! toujours! toujours! Et quand j'avais ainsi, redit ces mots un certain nombre de fois, Dieu me faisait la grâce, tout enfant que j'étais, d'imprimer en moi le chemin de la vérité […] Nous formions le projet de nous rendre, en demandant l'aumône pour l'amour de Dieu, au pays des Maures dans l'espoir d'y avoir la tête tranchée. En cet âge si tendre, le Seigneur nous donnait, je crois, assez de courage pour mettre ce projet à exécution. Mais comment y parvenir ? Nous avions des parents : à nos yeux, c'était le plus grand de tous les obstacles […] Nous voyant dans l'impossibilité d'aller chercher le martyre, nous résolûmes, mon frère et moi, de vivre en ermites. Nous nous efforcions de construire de notre mieux des ermitages, dans un jardin attenant à la maison; mais les petites pierres que nous superposions ne tardaient guère à tomber. Ainsi nous échappaient l'un après l'autre, les moyens d'atteindre nos désirs. Aujourd'hui, je me sens tout émue en voyant combien Dieu se hâtait de m'accorder ce que je devais perdre par ma faute ».

[2] Ibid., p. 45.

[3] Voir ibid., ch. 2, pp. 47-48.

[4] « Je sentis bientôt renaître en moi les heureuses dispositions de mon enfance, et je compris quelle grâce Dieu, nous accorde en nous plaçant dans la société des personnes de vertu. On eût dit que Notre-Seigneur cherchait et recherchait les moyens de me ramener à lui […] Une religieuse avait la surveillance du dortoir des pensionnaires. C'est par elle que le Seigneur voulut bien, ce me semble, commencer à m'éclairer, comme je vais le raconter » (ibid., p. 51).

[5] Voir ibid., ch. 3, p. 54 : « Oh ! par quelles voies admirables Notre-Seigneur me préparait à l'état de vie où il voulait se servir de moi ! Comme il sut me forcer, contre ma volonté, à me faire violence à moi-même ! Qu'il soit à jamais béni ! Amen. Je passai peu de jours seulement chez mon oncle. Mais grâce à la pression qu'exerçaient sur mon âme les paroles de Dieu, celles que je lisais comme celles que j'entendis, grâce aussi à l'ambiance salutaire dans laquelle je me trouvais, j'en vins à pénétrer peu à peu cette vérité qui m'avait frappée quand j'étais petite : tout n'est rien; le monde est vanité et il passe vite; j'en vins à craindre aussi que si je fusse morte, j'allasse droit à l'enfer. Je n'avais pas encore d'attrait pour la vie religieuse, cependant je voyais que c'était l'état le plus excellent et le plus sûr, et peu à peu je me décidai à me faire violence pour l'embrasser ». Elle prétend que Dieu l'a forcée à se faire violence pour entrer au couvent. On la croirait plus facilement, si elle ne nous avait pas dit que son frère et elle n'aimaient rien tant que jouer aux ermites. Voir aussi ibid., ch. 1, p. 45  : « J'aimais beaucoup, quand je jouais avec d'autres petites filles, bâtir des monastères et imiter les religieuses  ».

[6] La Vie de sainte Thérèse, ch. 7, p. 82.

[7] Op. cit., p. 85. Marcelle Auclaire commente cet épisode de la façon suivante : « On s'émerveille de voir la sollicitude dont ils l'entouraient tous les deux, Dieu et le diable, Dieu pour la faire sienne, et le diable pour l'arracher à Dieu ». On le voit, elle ne doute pas un instant que tous ses lecteurs vont réagir comme elle (« On s'émerveille »). Mais ce dont je m'émerveille pour ma part en la lisant, c'est de son incroyable sottise.

[8] Op. cit., pp. 89-90.

[9] Op. cit., pp. 30-31.

[10] Op. cit., pp. 35-36

[11] Op. cit., pp. 125-126.

[12] Op. cit., p. 111.

[13] Op. cit., pp. 32-33.

[14] Op. cit., pp. 49 et 193.

[15] La Vie de sainte Thérèse, ch. 33, p. 305.

[16] Voir ibid., p. 310.

[17] Ibid., ch. 34, p. 315.

[18] Voir ibid., pp. 315-316.

[19] Voir ibid., ch. 35, pp. 329-330.

[20] Ibid., ch. 36, p. 334.

[21] Ibid., p. 335.

[22] Les Fondations, ch. 3, p. 27.

[23] « Nous atteignîmes Medina del Campo la veille de l'Assomption de Notre-Dame, vers minuit. Pour ne point faire de bruit, nous mîmes pied à terre au couvent de Sainte-Anne, et fîmes à pied le trajet qui nous séparait de la maison. Ce fut une grande miséricorde de Dieu qu'à cette heure où l'on enfermait les taureaux destinés à courir le lendemain, nous n'en rencontrâmes pas un seul. Absorbés par notre dessein, nous oubliions tout le reste; mais le Seigneur nous délivra de ce danger, lui qui se souvient toujours de ceux qui désirent le servir » (Ibid., pp. 28-29).

[24] Il s'agit du père qui s'est chargé de leur trouver la maison.

[25] Ibid., p. 29.

[26] Voir ibid., pp. 29-31.

[27] Ibid., p. 30 : « Ce fut une première consolation de voir venir beaucoup de monde à notre chapelle. Personne ne prenait garde à l'extravagance de notre installation : il y avait là une grâce de Dieu, car c'eût été agir avec beaucoup de sagesse que de nous enlever le très saint Sacrement ».

[28] Voir ibid., ch. 12. Citons seulement la fin du chapitre : « Dieu permit que le provincial, dont je devais prendre l'agrément, se trouvât dans la ville. […] En lui présentant ma requête, je lui alléguai tant de raisons, lui montrant le compte qu'il rendrait à Dieu s'il entravait une si belle œuvre, qu'il se laissa gagner. D'ailleurs Notre-Seigneur, qui voulait qu'elle se fît, le disposa intérieurement en notre faveur ».
« Sur ces entrefaites arrivèrent la senora dona Marie de Mendoza et l'évêque d'Avila, son frère, lequel nous a toujours accordé secours et protection. Ils arrangèrent la chose avec le père Gonzalez et le père Ange de Salazar, ancien provincial, celui que je redoutais le plus. Il se trouva précisément qu'il eut besoin pour une certaine affaire de la protection de la senora dona Marie de Mendoza. Cette circonstance nous servit beaucoup, je crois; mais n'eût-elle pas existé, Notre-Seigneur aurait disposé favorablement ce religieux, comme il l'avait fait pour notre père général, alors qu'il en était bien loin. Oh! mon Dieu, que de choses se sont présentées dans ces négociations, qui semblaient impossibles et que Notre-Seigneur a cependant aplanies avec la dernière facilité! […] À en faire le récit, je me sens pénétrée d'admiration, et je voudrais que Notre-Seigneur fît savoir à tout le monde combien, dans ces fondations, le concours de ses créatures a été faible. C'est lui qui a tout conduit, et l'édifice a eu des bases si humbles, que lui seul pouvait l'élever à la hauteur où nous le voyons aujourd'hui. Qu'il en soit à jamais béni! Amen » (p. 81). On s'étonnera que Thérèse d'Avila, pourtant persuadée que Dieu « a tout conduit  », n'ait pas vu, semble-t-il, que c'était lui aussi qui avait fait en sorte que le père Ange de Salazar ait besoin de la protection de Marie de Mendoza.

[29] « Je ne veux pas omettre de quelle manière le Seigneur les [les moines] pourvut d'eau, car on estime qu'il y eut là quelque chose de miraculeux. Un soir, après le souper, le père Antoine, qui était prieur, se trouvait dans le cloître avec ses religieux, et l'on s'entretenait du besoin que l'on avait d'eau. Le prieur se leva, et prenant le bâton qu'il tenait d'ordinaire à la main, il en traça, je crois, à une certaine place, le signe de la croix. À vrai dire, je ne me souviens pas bien s'il fit le signe de la croix; du moins, il désigna l'endroit avec le bâton et dit  : "Allons ! creusez ici". On n'avait encore atteint qu'une très petite profondeur, quand l'eau jaillit en abondance, et aujourd'hui encore on a de la peine à la tarir lorsqu'on veut curer le puits. Cette eau est excellente à boire. On en a puisé pour tous les besoins de la bâtisse, et je le répète, jamais elle ne tarit. Plus tard, les religieux, ayant clos un terrain pour en faire une huerta, cherchèrent à y avoir de l'eau. Ils firent de grandes dépenses, placèrent même une noria, mais, jusqu'à ce jour, ils n'ont pu arriver à un résultat tant soi peu satisfaisant  » (ibid., p. 85)

[30] Voir ibid., ch. 15, pp. 86-90.

[31] Ibid., p. 90.

[32] Ibid., p. 91.

[33] Ibid., ch. 18, pp. 103-104.

[34] C'est elle, rappelons-le, qui, âgée de trois jours, comme on lui demandait : « Eh quoi! ma fille, n'êtes-vous pas chrétienne ? », répondit  : « Oui, je le suis ».

[35] Ibid., ch. 20, p. 115.

[36] Ibid., pp. 115-116.

[37] Ibid., p. 116.

[38] Ibidem.

[39] Voir ibid., p. 117.

[40] Ibid., pp. 117-118.

[41] Ibid., p. 118.

[42] Ibidem.

[43] Voir ibid., ch. 22, p.124.

[44] Ibid., pp. 124-125.

[45] Voir ibid., pp. 125-126.

[46] Ibid., pp. 126-127.

[47] Voir ibid., pp. 128-130.

[48] Ibid., p. 130.

[49] Ibid., ch. 24, p. 141.

[50] Ibid., p. 142.

[51] Ibid., ch. 25, p. 145.

[52] Ibid., p. 146.

[53] Ibid., p. 147.

[54] Ibidem.

[55] Ibid., p. 149.

[56] « Un nonce de grande sainteté, très favorable à la vertu, et qui, par là, estimait les carmes déchaussés, mourut sur ces entrefaites. Il en vint au autre, qui semblait envoyé de Dieu pour nous exercer à la patience. Il était un peu parent du pape, et nul doute qu'il ne fût serviteur de Dieu. Mais il prit fort à cœur la cause des Mitigés, et se basant sur ce que ces pères lui disaient de nous, arrêta qu'il fallait empêcher les progrès de la Réforme. Il commença la réalisation de ce plan avec une extrême rigueur, condamnant à l'exil ou à la prison les religieux qu'il croyait capables de lui résister […] Evidemment tout cela n'arrivait que par une disposition de Dieu, et Notre-Seigneur le permettrait ainsi pour un plus grand bien, comme aussi pour faire briller davantage la vertu de ces pères […] » (Ibid., ch. 28, p.166)

[57] « Béni soit notre Dieu, qui prend toujours la défense de la vérité! Il le fit bien paraître en cette occasion. Notre catholique monarque, don Philippe, fut instruit de ce qui se passait, et comme il connaissait la vie très parfaite des Déchaussés, il prit en main notre cause […] Beaucoup d'évêques et de seigneurs du royaume s'étaient mis en devoir de détromper le nonce. Mais leurs efforts restèrent vains jusqu'au jour où Dieu se servit de notre roi » (ibid., pp. 166-167).

[58] Ibid., p. 186.

[59] Ibid., p. 187.

[60] Ibid., ch. 31, pp. 208-209.

[61] Ibid., p. 209.

[62] Ibidem.

[63] Voir ibid., pp. 209-210.

[64] Ibid., p. 210.

[65] Voir ibid., pp. 210-211 : « Personne n'eût imaginé que cette maison se serait vendue à si bon compte. Aussi, à peine notre achat fut-il connu que des acquéreurs se présentèrent, disant que l'ecclésiastique l'avait donnée pour rien et qu'il fallait rompre le marché parce qu'il y avait erreur manifeste. […] On en donna avis aux propriétaires de la demeure […] Ils eurent tant de joie de voir leur propriété devenir un monastère qu'ils ratifièrent tout […] On trouvera peut-être singulier de me voir tant insister sur l'achat de cette maison. Et pourtant, ceux qui suivirent de près toute l'affaire ne virent rien moins qu'un vrai miracle, soit dans la modicité du prix, soit dans cette sorte d'aveuglement qui a empêché tous les religieux, après examen, d'en faire l'acquisition. Quant aux habitants de Burgos, comme si cette maison venait de surgir dans la ville, ils ne revenaient pas de leur surprise en la considérant; ils blâmaient et taxaient de folie ceux qui n'en avaient point voulu ».

[66] Voir La Vie de sainte Thérèse, ch. 39, pp. 370-371 : « Je suppliais un jour très instamment Notre-Seigneur de rendre la vue à une personne qui l'avait presque entièrement perdue […] Notre-Seigneur m'apparut alors comme il l'avait déjà fait bien souvent, me montra la plaie de sa main gauche, et de l'autre main en retira un grand clou qu'il y portait enfoncé. En même temps que le clou, il emporta de la chair. L'extrême douleur qui s'ensuivit était visible, et j'en avais le cœur navré. Il me dit "qu'après avoir enduré pour moi de telles souffrances, nul doute qu'il m'accordât plus volontiers encore ce que je lui demanderais; il me promettait, de plus, d'exaucer toutes mes prières, sachant bien que je ne lui en adressais point qui ne fussent pour sa gloire : il allait donc exaucer celle que je lui présentais". […] Huit jours, je crois, ne s'étaient pas encore écoulés, et Dieu rendit la vue à cette personne. On se hâta d'en avertir mon confesseur. Il se peut que cette guérison ne fût pas l'effet de ma prière; cependant la vision précédente m'en donna une telle certitude que j'en remerciai Notre-Seigneur comme d'une grâce qu'il m'avait accordée […] Une autre fois, quelqu'un se trouvait atteint d'un mal très douloureux, que je ne spécifie point parce que j'en ignore la nature. Ce qu'il endurait depuis deux mois était intolérable; dans son tourment, il se déchirait lui-même. […] J'y allai, et sa vue m'émut d'une telle pitié que je me mis à supplier Dieu avec les plus vives instances de lui rendre la santé. Autant que j'en puis juger, je fus visiblement exaucée, car dès le lendemain, le malade se trouva entièrement délivré de ces atroces douleurs ».

 

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