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VI


Plus encore que la sottise, la folie ou l'orgueil de Thérèse d'Avila, c'est sans doute sa vision du monde, sa conception de l'homme qui devraient rebuter, qui devraient révulser les hommes de notre temps. La pensée de Thérèse d'Avila, si l'on peut employer un mot assez impropre en l'occurrence, est, en effet, totalement théocentrique et foncièrement anti-humaniste. La religion de Thérèse d'Avila devrait faire horreur non seulement aux incroyants mais même à la plupart des chrétiens d'aujourd'hui qui, et l'on ne peut que s'en réjouir, ont intégré une bonne dose d'humanisme, qui, bien souvent même, non seulement se refusent à opposer la cause de l'homme et celle de Dieu, mais tendent à penser, quitte à être en totale contradiction avec toute la tradition de l'Eglise, que la cause de Dieu passe d'abord par la cause de l'homme, pour ne pas dire qu'elle se confond avec elle, et disent volontiers que le meilleur moyen de servir Dieu et de mériter le Ciel, c'est d'abord de servir de son mieux les autres hommes et de travailler au progrès sur terre. Rien n'est plus étranger à Thérèse d'Avila qu'une telle conception. On lui a appris, et elle vit sans cesse dans cette pensée, que notre vraie, notre seule patrie était le Ciel, et que la terre n'était pour nous qu'un lieu de pèlerinage [1], d'exil [2] et de captivité [3]. Elle est hantée par l'idée que la durée de la vie terrestre n'est rien en comparaison de celle qui doit commencer après la mort, puisque celle-ci n'aura point de fin. C'est cette obsession, à laquelle elle fut en proie dès l'enfance, qui l'a amenée à choisir la vie religieuse [4]. Persuadée que la vie terrestre ne comptait pour rien en regard de la vie éternelle, elle s'est dit que celle-là devait être tout entière consacrée à se préparer à celle-ci. Le couvent lui est donc vite apparu comme le lieu le plus sûr et la vie monastique comme l'état le plus approprié pour qui veut mettre le plus de chances de son côté pour assurer son salut [5]. Le meilleur usage que l'on puise faire de sa vie, le plus haut, pour ne pas dire le seul louable, le seul vraiment satisfaisant, c'est de passer le plus clair de son temps à s'abîmer en dévotions, à méditer sur la passion du Christ, à s'extasier, à s'exclamer sans fin : « Dieu soit béni à jamais! ». Le rêve de Thérèse d'Avila serait certainement de pouvoir mettre toute l'humanité au couvent; or c'est évidemment impossible, ne serait-ce que parce qu'il faut bien assurer la perpétuité de l'espèce, si l'on veut que de nouveaux moines et de nouvelles religieuses viennent assurer la relève et combler les vides creusés par la mort. Mais faute de pouvoir mettre toute l'humanité au couvent, elle souhaite de tout son être qu'il y ait toujours plus d'hommes et de femmes qui choisissent cette voie, qu'il y en ait le plus grand nombre possible. Pour elle, le progrès de l'humanité se mesure, pour ne pas dire qu'il se réduit à la multiplication des églises [6] et des couvents.

Thérèse d'Avila professe hautement dans tous ses écrits le plus profond et le plus total mépris pour toutes les choses terrestres [7]. Nous ne sommes ici-bas que pour nous préparer du mieux possible à aller au Ciel et on ne s'y prépare qu'en renonçant le plus possible à tous les plaisirs et à tous les intérêts d'ici-bas. On sert d'autant mieux Dieu, on lui est d'autant plus agréable qu'on se détache davantage de tous les biens et de toutes les créatures terrestres. L'amour de Dieu doit être et ne peut être qu'un amour absolu et exclusif. Les hagiographes se plaisent à citer une phrase des Fondations qu'ils trouvent particulièrement admirable : « l'avancement de l'âme ne consiste pas à penser beaucoup, mais à aimer beaucoup [8]». Mais Thérèse d'Avila veut expliquer « en quoi consiste la parfaite oraison », et il ne s'agit pas d'aimer les autres; mais seulement celui qu'elle appelle son « tendre Maître [9]», son « tendre Créateur [10]», le « tendre souverain de mon âme [11]». On ne peut se donner vraiment à lui qu'en se détournant de tout ce qui n'est pas lui. Et, de fait, dans sa Correspondance comme dans tous ses ouvrages, Thérèse d'Avila ne semble jamais s'intéresser à rien ni à personne, elle ne parle jamais de rien ni de personne que par rapport à la religion et aux pieux desseins qu'elle poursuit.

Certes, et ses hagiographes ne manquent pas de le souligner et même de lui en faire gloire, cette grande mystique qui passe tant de temps en oraison et qui est si souvent ravie en extase, sait aussi à l'occasion avoir les pieds sur terre. Elle sait, semble-t-il, faire preuve d'habileté et de diplomatie lorsqu'il s'agit d'obtenir les autorisations, les aides et les protections dont elle a besoin pour fonder ses couvents. Elle sait, semble-t-il, faire preuve de sens pratique lorsqu'il s'agit de choisir et d'aménager les maisons destinées à accueillir les futures religieuses et sait même se montrer femme d'affaires lorsqu'il s'agit d'en négocier l'achat. Elle sait compter et trouver de l'argent pour faire marcher ses couvents, et l'on a même parfois l'impression que son habileté frise la malhonnêteté [12]. Elle sait aussi faire preuve de bon sens lorsqu'il de s'agit de régler la vie quotidienne de ses religieuses et notamment de veiller à leur alimentation et à leur santé. Mais, s'il lui arrive ainsi d'avoir les pieds sur terre, ce n'est jamais que lorsqu'il s'agit de fonder et de faire fonctionner ses monastères, c'est-à-dire des institutions où l'on professe et pratique le mépris le plus absolu de tous les attachements et de tous les intérêts terrestres [13]. Elle ne veille à la préservation de la santé de ses religieuses que parce qu'elle la juge nécessaire pour qu'elles puissent continuer à se consacrer à Dieu aussi exclusivement que possible.

Les chrétiens d'aujourd'hui se disent volontiers et se montrent souvent prêts à dialoguer avec tous ceux qui ne partagent pas leur foi, avec les adeptes des autres religions et même avec les incroyants. Qui plus est, on a parfois l'impression que certains chrétiens, fussent-ils prêtres, se sentent plus proches des incroyants que des intégristes. On voit des prêtres et des religieuses se dévouer, voire consacrer leur vie entière à aider les déshérités sans guère se préoccuper de savoir s'ils croient ou à quoi ils croient. Thérèse d'Avila, elle, ne supporte que la compagnie des religieux ou des personnes profondément religieuses; elle ne se plaît qu'avec les « spirituels », qu'avec ceux qui nourrissent, comme elle, le plus profond mépris de toutes les choses terrestres et s'adonnent régulièrement à l'oraison, et encore leurs entretiens peuvent-ils lui devenir assez vite pesants, eux aussi, sans doute parce qu'à ses yeux ils ne sont pas aussi avancés qu'elle même dans la vie spirituelle [14]. Elle ne cesse de dire que la fréquentation de ceux qui appartiennent encore au « monde », même et plus encore quand ils lui sont proches, est pour elle non seulement une source d'ennui et de désagrément, mais un véritable supplice [15]. Et de même qu'elle se félicite de constater que la compagnie des siens lui pèse beaucoup [16], elle ne manque pas de se désoler lorsqu'à l'occasion elle s'aperçoit qu'elle n'est pas aussi détachée d'eux qu'elle le pensait, parce qu'elle ne peut s'empêcher de compatir à leurs peines [17]. Dans Le Chemin de la perfection, elle ne manque pas de blâmer vivement « la religieuse qui désire voir ses proches pour sa consolation personnelle » et de lui conseiller de ne les revoir que lorsque « les rapports avec eux lui seront devenus une croix [18]». La règle qu'elle formule en ce qui concerne les rapports avec les proches est la suivante : « que l'on ait grand soin de les recommander à Dieu : c'est un devoir. Après cela, éloignons-les de notre souvenir le plus que nous pourrons, parce que tout naturellement notre affection se porte vers eux plutôt que vers d'autres [19]».

On peut, bien sûr, si l'on est croyant, admirer ce détachement à l'égard de ses proches comme une marque de grande sainteté, mais il est permis aussi de penser, même si l'on est croyant, qu'il peut parfois avoir quelque chose d'odieux, et il est difficile de ne pas éprouver un mouvement de colère en lisant le mot de condoléances qu'elle adresse à un de ses cousins, qui, peu après avoir perdu sa femme, vient de perdre sa fille : « Il me semble que Notre-Seigneur a voulu emmener ce petit ange au ciel avec sa mère. Qu'il soit béni de tout. L'enfant était maladive, d'après ce que l'on m'a dit. Dieu nous a fait une grande grâce, et il vous la fait à vous-même de vous donner là-haut tant de protecteurs qui vous assistent dans les épreuves de la vie [20]». Ceux qui veulent nous convaincre de la profonde humanité de Thérèse d'Avila ne manquent pas, avec Marcelle Auclaire, d'invoquer son goût pour les enfants et l'intérêt qu'elle porte à sa nièce la petite Teresita, la fille de Lorenzo, qu'elle a fait venir auprès d'elle. Mais, me semble-t-il, quand on aime vraiment les enfants, on ne souhaite surtout pas les voir vivre dans un couvent et encore moins se donner la discipline [21].

Bien entendu, rien n'est plus étranger à Thérèse d'Avila que l'œcuménisme si cher aux chrétiens d'aujourd'hui. L'idée que toutes les religions se valent ou qu'à défaut de se valoir, toutes constituent des chemins, fussent-ils détournés, qui permettent d'aller à Dieu, ne lui a assurément jamais traversé l'esprit. Pour elle, il va de soi qu'on ne peut louer Dieu, qu'on ne peut l'aimer, qu'on ne peut l'adorer que dans le sein de l'Eglise catholique et romaine. Pour elle, les êtres les plus irrémédiablement éloignés de Dieu, ses plus grands ennemis sont incontestablement les hérétiques [22]; pour elle, les hérésies sont le plus grand de tous les malheurs, si ce n'est « le seul malheur à déplorer [23]». Pour elle, le plus grand fléau de son époque, et sans doute de tous les temps, c'est la propagation du protestantisme. Certes, elle plaint beaucoup, dit-elle, « les malheureux luthériens »; elle les plaint infiniment parce que, s'ils ne se convertissent pas au catholicisme, ils ne sauraient échapper au sort qui les attend, une éternité de souffrances infinies, mais elle ne doute pas une seconde qu'ils puissent mériter autre chose.

Elle ne semble pas davantage être choquée par le sort qui leur est souvent fait ici-bas. On ne trouve, en effet, ni dans ses livres, ni dans sa Correspondance, jamais aucun mot pour déplorer les massacres dont les Protestants sont l'objet en France ou aux Pays-Bas, Ce qu'elle déplore, ce n'est pas que les protestants soient massacrés, c'est qu'ils existent [24]. Elle ne doute pas un instant que l'Inquisition n'ait raison d'envoyer au bûcher tous ceux qu'elle juge hérétiques. Bien loin de la condamner, elle ne s'interroge jamais sur le bien-fondé de la politique de Philippe II aux Pays-Bas et elle considère comme un ami et un grand serviteur de Dieu, celui qui la met en œuvre avec une rigueur implacable, le duc d'Albe qui, d'ailleurs, la respecte et l'admire beaucoup. Elle parle toujours de Philippe II comme de « notre saint roi » et recommande à ses religieuses de penser toujours à lui avec gratitude et de prier Dieu pour lui, non pas pour qu'il lui pardonne tous les crimes qu'il a commis en son nom, mais pour qu'il le récompense pour s'être fait le défenseur des Déchaussés [25]. Peu lui importe qu'il ait mis les Pays-Bas à feu et à sang, peu lui importe qu'il ait transformé l'Andalousie en désert pour réprimer la révolte des Morisques : parce qu'il la soutient, il ne peut être qu'un roi très saint. Marcelle Auclaire veut opposer l'action de Thérèse d'Avila à celle de Philippe II, exaltant la première pour mieux stigmatiser la seconde : « Teresa de Jésus faisait triompher Dieu, par l'amour, le Roi crut le faire triompher par le sang; Teresa vivait dans la pénitence et dans l'oraison pour le rachat des hérétiques, le Roi les faisait massacrer; Teresa voulait que le Roi fasse de l'Espagne un flambeau, il en fit un bûcher [26]». Mais, lorsqu'on lit les lettres que Thérèse d'Avila adresse à Philippe II [27] , on n'y trouve rien qui ressemble, fût-ce de manière très atténuée, aux accusations, assurément très justifiées, que porte contre lui Marcelle Auclaire. Bien loin de lui dire que, s'il veut vraiment servir Dieu, il doit changer radicalement de politique, elle se plaît à saluer, à célébrer en lui le grand défenseur et le meilleur soutien de la cause de Dieu et de l'Eglise [28]. Si elle lui écrit, c'est toujours pour lui demander d'aider et de protéger les Déchaussés; ce n'est jamais pour lui suggérer, fût-ce en termes très voilés, de faire cesser les massacres de protestants ou d'Indiens d'Amérique

Dira-t-on qu'elle n'était pas au courant de ces massacres ? Certes, il est très probable qu'elle n'a jamais connu toute l'étendue des crimes qui étaient commis au nom de celui dont elle ne cesse de célébrer du matin au soir l'infinie bonté. Elle n'a pas pu pourtant les ignorer complètement. Peut-elle n'avoir jamais entendu parler du livre de Las Casas, Très brève relation de la destruction des Indes, paru en 1552 à Séville et qui a eu un très grand retentissement ? Le père Maldonado qui lui a parlé « des millions d'âmes qui se perdaient dans ces contrées faute d'instruction religieuse », peut-il ne lui avoir rien dit des exactions sans nombre et des crimes monstrueux des conquistadors ? Elle a, en tout cas, certainement appris, même si elle n'a pas dû avoir que des informations partielles et imprécises, que de nombreux protestants avaient été tués lors de la Saint Barthélemy. Quant au sort que l'Inquisition réservait aux hérétiques, il ne fait là aucun doute qu'elle ne l'ignorait pas et d'ailleurs, nous l'avons vu, elle évoque elle-même à l'occasion les bûchers de Valladolid. plutôt que de méditer tous les jours que Dieu fait sur la Passion du Christ, elle aurait donc beaucoup mieux fait de changer de temps en temps de sujet pour méditer un peu sur la Saint Barthélemy ou les bûchers de l'Inquisition. Mais de tous les abus, de tous les maux, de toutes les horreurs de son temps, elle ne dit jamais rien.

Et, quand bien même, on pourrait envisager l'hypothèse que Thérèse d'Avila n'ait presque rien su des massacres qui auraient dû la révolter, alors ceux qui, comme Marcelle Auclaire, croient à la réalité de ses visions, devraient, me semble-t-il, pour le moins s'étonner que le Christ n'ait jamais cru bon d'aborder ce sujet avec elle, lui qui lui parle si souvent sans jamais rien lui apprendre, lui qui croit utile de lui débiter à tout bout de champ les fadaises et les niaiseries qu'elle a entendues pendant toute son enfance et sa jeunesse avant de les resservir elle-même à ses religieuses. Non content de faire d'elle son interlocutrice favorite, il se plaît volontiers à la charger de dire de sa part à d'autres ce qu'il veut leur dire. Pourquoi donc ne l'a-t-il jamais chargée de demander aux Inquisiteurs de cesser de torturer et de faire griller ceux qui ne pensaient pas comme eux ? Pourquoi donc ne l'a-t-il jamais chargée de dire de à son ami, le duc d'Albe de cesser de mettre les Pays-Bas à feu et à sang ? Pourquoi donc ne lui a-t-il jamais demandé de dire à Philippe II de cesser de vouloir exterminer tous les hérétiques de ses royaumes ? Mais, bien sûr, nous le savons, le Christ ne lui dit jamais que ce qu'elle a envie, que ce qu'elle veut qu'il lui dise. Et elle n'a certainement aucune envie, elle ne veut certainement pas s'entendre dire que ceux qu'elle considère comme les principaux défenseurs de la foi sont les instigateurs de crimes aussi monstrueux qu'innombrables.

Pour Thérèse d'Avila, rien n'existe vraiment que le petit monde de ses couvents. En comparaison des massacres dont les protestants ou les populations d'Amérique étaient les victimes, les mésaventures des Déchaussés auraient dû lui paraître tout à fait insignifiantes. Pourtant, à ses yeux, le grand conflit de son époque, le seul qui compte véritablement, c'est celui des Chaussés et des Déchaussés. Le grand scandale de son siècle, c'est que les Chaussés s'opposent à sa Réforme et essaient de l'empêcher de fonder des couvents. La persécution la plus odieuse dont elle ait jamais entendu parler, c'est celle qu'a subie saint Jean de la Croix, séquestré et maltraité pendant neuf mois. S'il y a des gens autour d'elle qu'elle regarde comme des criminels, ce ne sont ni les Inquisiteurs, ni le duc d'Albe, ni Philippe II, mais les carmes chaussés qui n'ont pourtant tué personne. Philippe II, lui, pourrait bien faire mettre à mort, pour extirper l'hérésie, la moitié de ses sujets et décimer la terre entière [29], il resterait sans doute à ses yeux le saint Roi qui s'est fait le protecteur des Déchaussés.

« La Duchesse d'Albe fit couvrir d'un drap d'or le corps de celle qui avait choisi de vivre vêtue de bure ». C'est sur cette phrase que Marcelle Auclaire termine sa biographie de Thérèse d'Avila [30]. Mais ce geste qui paraît à Marcelle Auclaire être en totale contradiction avec les choix de Thérèse d'Avila, l'est sans doute beaucoup moins qu'elle ne le croit. Marcelle Auclaire oublie, en effet, que le geste de la duchesse d'Albe ne fait que reproduire ceux du Christ, de la Vierge Marie et de saint Joseph qui, dans ses visions, l'ont plus d'une fois revêtue de vêtements somptueux. Elle oublie que, si Thérèse d'Avila a choisi de vivre vêtue de bure, c'est parce que c'est, pense-t-elle, le meilleur et le plus sûr moyen d'être vêtue d'or dans le seul monde où, puisqu'il ne doit point finir, il importe vraiment d'avoir les beaux vêtements possibles. Ce n'est pas par amour de la pauvreté, mais par calcul qu'elle a choisi de vivre dans la pauvreté [31]. Elle a choisi de vivre dans la pauvreté, mais elle n'a pas pour autant, comme le font aujourd'hui un certain nombre de prêtres et de religieuses, choisi le camp des pauvres. Elle passe son temps à chercher des maisons pour y loger le Saint-Sacrement, et elle se désole quand elle doit provisoirement l'abriter dans un lieu qui ne lui paraît pas digne de lui [32], mais elle ne songe jamais à se dire qu'il y a sans doute bien d'autres problèmes de logement plus urgents à résoudre. Bien plus, pour loger le Saint Sacrement, elle ne craint pas à l'occasion de déloger les occupants d'une maison sans se soucier le moins du monde de savoir si et comment ils pourront se reloger [33]. Thérèse d'Avila n'a rien d'un abbé Pierre dont le principal souci est de trouver un toit aux sans-logis : pour loger le Saint Sacrement, elle est prête, elle, à déloger n'importe qui. Quand son frère lui donne de l'or pour fonder ses couvents, pas plus qu'elle ne songe à s'interroger sur la façon dont cet ordre a été acquis, elle ne songe jamais à se demander s'il ne pourrait pas être employé plus utilement à soulager les malheureux. Jamais elle ne songe à se dire que l'argent qu'on lui donne pour ses religieuses est autant d'argent qui n'ira pas aux pauvres [34]. Jamais elle ne songe à se dire que les religieuses profitent, de plus, du fait que les riches, dont la charité est généralement intéressée, préfèrent les aider elles, plutôt que les pauvres, parce qu'ils croient que c'est plus utile pour leur salut. Elle se plaît à souligner les souffrances qu'elle et ses religieuses ont à endurer au cours de leurs voyages, à cause du froid, de la chaleur ou de l'inconfort des endroits où elles sont hébergées [35], mais elle n'a jamais une pensée pour tous ceux que la pauvreté oblige à endurer continuellement ce qu'elle n'endure qu'occasionnellement. William James le note avec raison : « 0n ne trouve rien dans sa vie d'utile à l'humanité, rien qui témoigne d'aucune préoccupation sociale [36]».

Si Thérèse d'Avila avait vraiment pris le parti des pauvres si elle s'était rangée du côté des opprimés, elle n'aurait jamais bénéficié de la protection des puissants personnages qui l'ont aidée, et notamment de celle de Philippe II. En ne cessant de prêcher le détachement de toutes les choses terrestres, en ne cessant de répéter que la seule chose importante ici-bas était de faire son salut, elle ne faisait que trop bien, au contraire, le jeu des autorités. D'ailleurs Phillipe II n'aurait jamais soutenu Thérèse d'Avila comme il l'a fait, si, d'une certaine façon, il ne s'était reconnu en elle, qui l'a elle-même, quoi que puisse dire Marcelle Auclaire, toujours senti proche d'elle. Car, même s'il n'a pas de visions, même s'il n'entend pas de voix, lui aussi est un fou de Dieu, dans sa volonté forcenée d'extirper par tous les moyens l'hérésie de ses Etats, quitte à les ruiner complètement et à exterminer les populations. Loin donc d'avoir le caractère paradoxal que veut lui prêter Marcelle Auclaire, le geste de la duchesse d'Albe est, en réalité, dans la logique des choses, comme celui, quatre siècles plus tard, du général Franco, qui voudra avoir en permanence sur son bureau la main droite de Thérèse d'Avila.


 

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NOTES :

[1] Voir notamment La Vie de sainte Thérèse, ch. 38, pp. 358 : « J'ai appris à connaître notre véritable patrie et mieux compris que nous sommes pèlerins ici-bas ».

[2] Voir notamment Relations spirituelles, LV, p. 464 : « Notre-Seigneur me dit encore "qu'il voyait bien les souffrances que j'avais à endurer, mais il ne pouvait en être autrement tant que je serais en cet exil" ».

[3] Cette métaphore traditionnelle revient souvent dans ses écrits. Voir notamment La Vie de sainte Thérèse, ch. 20, p. 190 : « Cette captivité d'ici-bas »; Ibid., ch. 21, p. 195 : « Tout l' [l'âme qui a l'expérience du ravissement] excède. Elle ne sait comment fuir; elle se voit enchaînée, prisonnière. Comme elle sent vivement la captivité où nous tient le corps et la misère de cette vie! Comme elle comprend saint Paul suppliant Dieu de l'en délivrer! Elle joint ses clameurs aux siennes, elle implore de Dieu la liberté. J'ai déjà parlé de ces désirs, mais ici leur véhémence devient telle que souvent l'âme paraît sur le point de s'échapper du corps, pour saisir cette liberté qu'on lui refuse. Elle se regarde comme vendue sur une terre étrangère »; ibid., ch. 38, p. 306 : « Mourir me paraît à présent la chose du monde la plus facile pour les serviteurs de Dieu, puisque par là l'âme se voit en un instant affranchie de sa prison »; Relations spirituelles, V, p. 459 : « la prison de ce corps »; Chemin de la perfection, ch. 32, p. 374 : « la prison du corps ».

[4] Tout au début de son autobiographie, après nous avoir dit, qu'avec celui de ses frères dont elle se sentait le plus proche, elle rêvait d'aller chercher le martyre ches les Maures, pour jouir tout de suite du bonheur céleste, elle ajoute : « Notre étonnement était extrême quand nous lisions dans les livres que les tourments et la gloire devaient durer toujours. C'était le sujet habituel de nos entretiens. Nous aimions à répéter : Pour toujours ! toujours ! toujours ! Et quand j'avais redit ces mots un certain nombre de fois, Dieu me faisait la grâce, tout enfant que j'étais, d'imprimer en moi le chemin de la vérité. Nous voyant dans l'impossibilité d'aller chercher le martyre, nous résolûmes mon frère et moi, de vivre en ermites. Nous nous efforcions de construire de notre mieux des ermitages, dans un jardin attenant à la maison » (ch. I, p. 44).

[5] Voir notamment La Vie de sainte Thérèse, ch. 3, p. 54 : « Je n'avais pas encore d'attrait pour la vie religieuse et cependant je voyais que c'était l'état le plus excellent et le plus sûr ». Voir aussi ce qu'elle dit à ses religieuses dans les Pensées sur le Cantique des Cantiques : « Bénissez-le [le Seigneur] de tout votre cœur, mes filles, de vous avoir conduites dans un monastère, car le démon, malgré tous ses efforts, ne peut y tromper aussi facilement que lorsqu'on vit chez soi » (ch. 2, p. 483).

[6] Voir notamment Les Fondations, ch. 18, p. 104 : « C'est, en effet, une extrême consolation pour moi de voir une église de plus, surtout quand je songe à toutes celles que détruisent les luthériens. Quelles souffrances, si grandes soient-elles, pourrait-on redouter, lorsqu'à ce prix on procure un avantage si considérable à la chrétienté ! »

[7] Voir notamment La Vie de sainte Thérèse, ch. 21, pp. 195-196 : « Ah! quel supplice, pour une âme élevée à cet état, que l'obligation de traiter avec le monde! de contempler de ses yeux la pitoyable comédie de cette vie! de passer son temps à prendre soin de son corps, à dormir, à manger! […] et ce qui l'afflige le plus, c'est de trouver si peu d'âmes qui unissent leurs plaintes et leurs supplications aux siennes, c'est de voir que la plupart des hommes n'aspirent qu'à vivre encore. Oh! si nous étions détachés de tout, si nous ne mettions notre satisfaction en rien de ce qui est ici-bas, comme la crainte de la mort serait tempérée par la douleur de vivre loin de Dieu, par le désir de jouir de la vie véritable »; ibid., ch. 27 p. 246 : « Mais ce que je suis impuissante à exprimer, c'est ce qu'éprouve une âme quand Dieu lui découvre ses secrets et ses merveilles. c'est un plaisir tellement au-dessus de tout ce que l'on peut concevoir ici-bas qu'il fait prendre en horreur, et à juste titre, les plaisirs de la vie. Tous ensemble ils ne sont que fumier »; ibid., ch. 38, p. 357 : « Après ces faveurs, mon âme voudrait rester toujours en cette région supérieure et ne plus revenir à la vie, tant elle conçoit de mépris pour toutes les choses d'ici-bas. De fait, elles ne semblent plus que fumier et je vois clairement combien c'est s'avilir que de s'y arrêter »; ibidem, p 359 : « Je le redis encore, quand Dieu accorde à une âme des visions de cette nature, il lui fait une grâce insigne. Elle y trouve en particulier, un puissant secours pour porter une croix bien pesante : je veux dire l'ennui, le dégoût que tout lui inspire ici-bas »; ibid., ch.39 p. 373 : « Ceci me rappelle le tourment qu'endurent les âmes auxquelles Dieu a découvert la vérité, lorsqu'elles sont obligées de s'occuper des choses d'ici-bas »; Relations spirituelles, I, p. 404 : « Quand des choses belles et agréables, comme les eaux, la campagne, les fleurs, les parfums, la musique, etc., se présentent à moi, je voudrais, ce me semble, ne pas les voir et ne pas les entendre, tant il y a de différence entre ces objets et ceux qui s'offrent si souvent à mes regards. Aussi n'ont-elles plus le moindre attrait pour moi. J'en suis arrivée à en faire si peu d'estime qu'un premier mouvement, voilà aujourd'hui tout l'effet qu'elles produisent : à mes yeux, ce n'est que fumier […] Quant aux distractions que j'aimais autrefois et aux choses du monde, je les ai en aversion et elles me sont insupportables »; Le Chemin de la perfection, ch. 29, p. 358 : « Que nos pensées aillent toujours à ce qui est éternel, et quant aux choses de ce monde n'en faisons nulle estime ».

[8] Ch. 5, p. 37.

[9] Ibid., ch. 4, p. 34.

[10] Exclamations, 14e, p. 445.

[11] Ibid., 9e, p. 436.

[12] Voir la lettre du 6 mai 1577 à la Mère Marie de Saint-Joseph à Séville : « Pour ce qui est de la renonciation de la bonne Bernarde [de Saint-Joseph], sachez bien que comme elle a encore ses parents, le monastère n'hérite pas. Ce sont eux qui héritent. S'ils étaient morts avant elle, alors le monastère hériterait. Cela est certain, je le sais par d'excellents hommes de loi. Les parents et les grands-parents héritent forcément, ce n'est qu'à leur défaut que le monastère hérite. Ce à quoi ils sont obligés, c'est à lui fournir une dot. S'ils ne savent pas que ce sont eux qui héritent, ils regarderont comme une bénédiction de Dieu que vous soyez disposée à vous arranger avec eux. S'ils donnent au moins l'équivalent de la caution qu'ils étaient convenus de payer, ce sera déjà une bonne chose. Vous verrez là-bas ce que vous pourrez faire à ce sujet. Qu'ils ne donnent pas de dot ne serait guère acceptable » (pp. 1755-1756). Comment ne pas sursauter lorsqu'on lit cette phrase « S'ils ne savent pas que ce sont eux qui héritent, ils regarderont comme une bénédiction de Dieu que vous soyez disposée à vous arranger avec » ? Loin de dire à la Mère Marie de les informer de leurs droits s'il les ignorent, elle lui suggère, au contraire, de profiter de la situation pour tâcher de leur soutirer le plus d'argent possible.

[13] « Elle fonde des couvents comme les poules pondent des œufs », a écrit, plein d'admiration, Henri Fesquet dans son compte rendu du livre de Paul Werrie. Mais les poules pondent des œufs pour transmettre la vie; Thérèse d'Avila s'emploie, elle, à fonder des établissements où l'on travaille à se couper le plus possible de la vie, en renonçant d'abord à la transmettre.

[14] Voir notamment Relations spirituelles, I, p. 403. Après avoir dit que tous les entretiens lui étaient à charge, elle ajoute : « J'excepte les personnes avec lesquelles je parle de l'oraison et des chose de l'âme, car auprès de celles-là je trouve joie et consolation. Parfois, cependant, elles me fatiguent, je voudrais ne pas les voir et m'en aller en un lieu où je serais seule ».

[15] Voir La Vie de sainte Thérèse, ch. 24, p. 222, (texte déjà cité) : « J'entendis ces paroles : "je ne veux plus que tu converses avec les hommes mais avec les anges" […] Ces paroles eurent leur accomplissement, car jamais depuis je n'ai pu contracter une amitié durable, me lier d'affection ni trouver de plaisir qu'avec des personnes qui aiment Dieu et le servent. Le contraire m'est devenu tout à fait impossible. Parenté, amitié, rien n'y fait. Dès que ces dispositions manquent et que je n'ai point affaire à des personnes d'oraison, toute relation, quelle qu'elle soit, me devient une croix pénible. Ceci, autant que j'en puisse juger, ne souffre aucune exception ». Voir aussi ibid., ch. 21, p. 195 : « Ah! quel supplice, pour une âme élevée à cet état, que l'obligation de traiter avec le monde! »; ibid., ch. 38, pp. 358-359 : « Parfois ceux qui me tiennent compagnie et avec lesquels je me console sont ceux que je sais habiter déjà ce séjour. Je les regarde comme les vrais vivants. Quant à ceux qui vivent encore ici-bas, ils me paraissent tellement morts que le monde entier ne saurait me procurer la moindre compagnie, surtout quand j'ai ces grands transports d'amour. Tout ce que je vois des yeux du corps me fait alors l'effet d'un rêve et d'une plaisanterie »; Relations spirituelles, I, pp. 402-403 : « Quelquefois j'éprouve une vive souffrance d'avoir à traiter avec le prochain, et ma peine est telle que j'en verse des larmes abondantes. C'est que mon désir ardent est d'être seule. Lors même que je ne prie ni ne lis, la solitude me console. Les entretiens, surtout ceux des parents et proches, me sont à charge; j'y suis comme une esclave vendue »; Ibid., p. 404 : « Lorsque je m'entretiens avec des personnes du monde - ce dont je ne puis me dispenser - dès lors qu'il s'agit de passe-temps non nécessaires, ou même de sujets d'oraison, je suis obligée, pour peu que cela dure, de me faire violence, parce que cela m'est très pénible »; II, p. 412 : « Je suis prête à quitter amis et parents, quels qu'ils soient. La parenté est même ce qui me captive le moins : les proches me sont singulièrement à charge ».

[16] Voir Relations spirituelles, XXXV, pp. 437-438 : « Mes frères sont arrivés. À cause des grandes obligations que j'ai à l'un d'eux, je m'entretiens avec lui, je m'occupe de son âme et de ses affaires. Comme j'en éprouvais une fatigue et une peine très grandes, je l'offrais au Seigneur comme une chose dont je ne pouvais me dispenser. Je me souvins alors des paroles de nos constitutions qui nous disent de nous éloigner de nos proches. Je me demandais donc si elles ne m'obligeaient pas à laisser ces entretiens. Notre-Seigneur me dit : Tu te trompes, ma fille. Vos règles ne vous enseignent qu'une chose : à vivre conformément à ma loi. En effet, le but des constitutions est d'empêcher qu'on s'affectionne trop à ses proches. Quant à moi, leurs entretiens me fatiguent, au contraire, et ne font que m'accabler ».

[17] Voir La Vie de sainte Thérèse, ch. 31, p. 291 : « Il me semblait, il y a peu d'années, que non seulement j'étais détachée de mes proches, mais qu'ils m'étaient même à charge; et réellement leurs entretiens me fatiguaient fort. Or une affaire très importante me mit dans la nécessité de passer quelque temps auprès d'une de mes sœurs, avec laquelle j'étais autrefois intimement liée […] Eh bien ! je m'aperçus que ses peines me touchaient beaucoup plus que celles des autres et ne laissaient pas de me causer quelque souci. Enfin je me rendis compte que je n'étais pas aussi détachée que je le pensais, et qu'il me fallait fuir les occasions si je voulais voir grandir le germe de vertu que le Seigneur avait mis en moi. C'est ce que, depuis lors, j'ai toujours tâché, Dieu aidant, de mettre en pratique ».

[18] Ch. 8, p. 287.

[19] Ibid., ch. 9, p. 288.

[20] Lettre de décembre 1576 à don Diego de Guzman, p. 1594.

[21] Comment ne pas trouver très déplaisant, en même temps que parfaitement ridicule ce qu'elle écrit, dans une lettre des 27 et 28 février 1577, à don Lorenzo de Cepada : « A Teresa [Teresita], j'envoie aussi un cilice, avec une discipline. Elle m'en a fait demander une très rude » (p.1737).

[22] Voir La Vie de sainte Thérèse, ch. 40, p. 385 : « Un jour que j'assistais aux heures avec la communauté, j'entrai soudain en recueillement et mon âme tout entière me fut représentée sous la forme d'un clair miroir. […] Il me fut montré comment, lorsque l'âme est en état de péché mortel, ce miroir se couvre d'un épais brouillard et devient extrêmement noir en sorte que Notre-Seigneur ne peut plus y apparaître ni s'y laisser voir, bien qu'il soit toujours présent en tant que donnant l'être. S'agit-il des hérétiques, le miroir est comme brisé, ce qui est bien pire que d'être simplement obscurci ».

[23] Voir Relations spirituelles, I, p. 406 : « Les hérésies aussi me désolent souvent, et chaque fois que j'y pense, pour ainsi dire, il me semble que c'est le seul malheur à déplorer ».

[24] Voir notamment Le Chemin de la perfection, ch. 1, p 253 : « J'appris les calamités qui désolaient la France, les ravages qu'y avaient faits les malheureux luthériens, les accroissements rapides que prenait cette secte désastreuse. J'en éprouvai une douleur profonde ». On le voit, elle n'évoque aucunement les massacres dont les protestants sont les victimes; elle ne parle que des « ravages » qu'ils commettent, eux; et les « ravages » qu'elle leur reproche sont, bien sûr, d'ordre spirituel : leurs crimes consistent à faire des adeptes.

[25] Voir notamment Les Fondations, ch. 27, pp. 157-158 : « Disposé comme il l'est à protéger les religieux qu'il sait fidèles à leur profession, connaissant de plus, le genre de vie de ces monastères et sachant qu'on y observe la Règle primitive, il nous favorisa en tout. Je vous le demande donc avec insistance, mes filles, qu'on continue toujours à prier très spécialement pour sa Majesté; ainsi que nous le faisons à présent »; ibid., ch.28, p. 167 : « C'est pour nous toutes, mes sœurs, une rigoureuse obligation de ne jamais oublier ce monarque dans nos prières, non plus que ceux qui ont favorisé avec lui la cause de Notre-Seigneur et de la Vierge Notre-Dame. Je ne saurais trop vous le recommander »; ibid., ch. .29, p. 190 : « J'aurais voulu que le monde entier rende grâce à Notre-Seigneur et s'unisse à moi pour lui recommander la personne de notre saint roi, don Philippe, car c'est pas son moyen que Dieu a conduit les choses à un si heureux terme ».

[26] Op. cit., p. 203.

[27] Il y en a quatre, datées du 11 juin 1573, du 19 juillet 1575, du 13 septembre 1577 et du 4 décembre 1577.

[28] Voir les lettres du 1I juin, 1573 : « Que la divine Majesté nous garde votre personne d'aussi longues années que la chrétienté en a besoin. c'est un grand soulagement de penser qu'au milieu de toutes les épreuves et de toutes les persécutions qu'elle subit, Dieu Notre-Seigneur a pour son Eglise un si grand défenseur et soutien que Votre Majesté » (pp. 1449-1450); du 19 juillet 1575 : « Que Dieu accorde à Votre Majesté le bonheur et les années de vie que je lui demande sans cesse pour elle et dont la chrétienté a besoin » (p. 1515); et du 7 décembre 1577 : « Plaise à Notre-Seigneur que nous vous gardions de longues années. J'espère de sa bonté qu'il nous fera cette grâce puisqu'il y en a si peu qui se préoccupent de son honneur. C'est une grâce que lui demandent toutes les servantes de votre Majesté » (p. 1796).

[29] Dans une dépêche qu'il fait remettre au Pape, Philippe II écrit ceci : « Je perdrais tous mes Etats et cent fois ma propre vie plutôt que de souffrir le moindre schisme dans la religion ou le service de Dieu; je n'ai nullement l'intention de régner sur des hérétiques. Je veux essayer d'aplanir les conflits aux Pays-Bas sans prendre les armes, si cela est encore possible, car je vois bien qu'une guerre entraînerait la dévastation totale de ce pays; mais si les choses ne peuvent se rétablir sans intervention armée, je suis résolu à prendre les armes et à assister moi-même aux combats; rien ne m'arrêtera, ni la ruine de cette contrée, ni celle des pays que je possède par ailleurs » (cité par Marcelle Auclaire, op. cit., p. 203) Marcelle Auclaire cite ce texte pour opposer Phillippe II à Thérèse d'Avila. Mais si ce texte paraît à juste titre monstrueux à Marcelle Auclaire, il est malheureusement fort probable qu'il n'aurait pas paru tel à Thérèse d'Avila.

[30] P. 455. On sait que, peu de temps après sa prise d'habit, Thérèse d'Avila est tombée très gravement malade et que, pendant un moment, en août 1538, on l'a même cru morte. Marcelle Auclaire raconte que, lorsqu'elle revint à elle, « dans ses phrases confuses, mêlées de sanglots, - ses pleurs mouillaient son lit - on démêlait des mots : "monastères… fondations… sauver les âmes". Elle dit enfin : - Ne me croyez point morte tant qu'on ne recouvrira pas mon corps d'un drap d'or » (op. cit., p. 75). C'est là un exemple de plus de la jobardise sans limites de Marcelle Auclaire. Car, s'il est possible, en effet, qu'elle ait prononcé les mots « monastères » et « sauver les âmes », il est très douteux qu'elle ait prononcé à cette date le mot « fondations ». C'est fort probablement beaucoup plus tard, lorsqu'elle est devenue la Madre fundadora, qu'on lui a prêté ce mot. Quant à la phrase : « Ne me croyez point morte tant qu'on ne recouvrira pas mon corps d'un drap d'or », bien sûr, on ne la lui a fait dire qu'après que la duchesse d'Albe a fait recouvrir son corps d'un drap d'or.

[31] Ce calcul apparaît clairement dans un passage tel que celui-ci : « Qu'il se trouvera riche, celui qui aura abandonné toutes les richesses à cause de Jésus-Christ! Qu'il sera honoré, celui qui pour lui aura refusé les honneurs et mis sa joie dans l'abaissement le plus profond! » (La Vie de sainte Thérèse, ch. 27, p. 247).

[32] C'est le cas notamment lors de la fondation du monastère de Saint-Joseph de Medina del Campo. Après qu'on a dit la messe et installé le saint Sacrement dans la maison qu'elle avait achetée, Thérèse d'Avila s'aperçoit « qu'à certains endroits les murs étaient par terre, et qu'il faudrait bien du temps pour les relever » et elle se désespère de voir le saint Sacrement si mal logé : « O Dieu! quand je vis Sa Majesté dans la rue, en un temps devenu aussi périlleux que le nôtre par le fait de ces malheureux luthériens, de quelle angoisse ne fut pas saisi mon cœur! […] En dépit de toutes les recherches, on ne put trouver dans toute la ville de maison à louer. Mes jours et mes nuits se passaient dans l'angoisse. J'avais bien placé des hommes pour veiller constamment sur le très saint Sacrement, mais je craignais toujours qu'ils ne s'endormissent. Aussi je me levais la nuit, afin de les observer par une fenêtre, et le beau clair de lune qu'il faisait alors me permettait de m'en rendre compte. On continuait de venir en foule à notre chapelle. Au lieu d'y trouver à redire, on se sentait touché de dévotion en voyant Notre-Seigneur une seconde fois dans l'étable de Bethléem. Et Sa Majesté; qui jamais ne se lasse de s'humilier pour nous, semblait ne pas vouloir en sortir » (Les Fondations, ch. 3, pp. 29-31). Comment ne pas se dire que la niaiserie et la sottise de Thérèse d'Avila sont franchement indécentes ?

[33] C'est le cas, notamment [on l'a vu] lors de la fondation du monastère de Saint-Joseph de Salamanque. où elle exige que les étudiants qui l'occupaient abandonnent sur l'heure la maison qu'elle a louée (Voir Les Fondations, ch. 19, pp. 109-111).

[34] D'autres, qui ne sont pourtant pas devenues des saintes, y ont pensé à l'occasion comme en témoigne cette anecdote que raconte Marcelle Auclaire à propos de la fondation du monastère de Séville : « Une grande dame […] fit de larges dons, mais […] elle chargea une béate de pourvoir anonymement aux besoins des Déchaussées […] cette duègne avait ses pauvres d'élection, des filles de joie dont l'âme lui semblait en plus grand danger que celle des carmélites, et les aumônes de Dona Leonor de Valera allèrent aux prostituées » (op. cit., pp. 295-296).

[35] Voir notamment Les Fondations, ch. 18, p. 104 : « Je ne mentionne pas dans le récit de ses fondations tout ce que nous avions à endurer dans les voyages par suite du froid, du soleil, de la neige qui parfois tombait sur nous des journées entières. Il m'arrivait aussi de souffrir des maux très violents, sans parler de la fièvre, car - Dieu en soit béni ! - j'ai d'ordinaire bien peu de santé »; ibid., ch. 24, p. 139 : « Nous nous arrêtions pourtant à l'heure de la sieste, mais comme le soleil avait donné en plein sur les chars, quand il s'agissait d'y reprendre place, je vous assure, mes sœurs, qu'on croyait entrer dans une sorte de purgatoire. Tantôt songeant à l'enfer, tantôt s'encourageant par la pensée qu'elles travaillaient et souffraient pour Dieu, nos sœurs faisaient la route avec beaucoup de joie et d'allégresse »; ibid., p. 140 : « Je ne veux pas omettre de mentionner ici, mes filles, le triste gîte qui nous abrita en ce besoin. Ce fut une petite chambre, à simple toit, sans plafond; il n'ty avait pas de fenêtre, et dès qu'on ouvrait la porte, le soleil y pénétrait en plein […] On me mit dans un lit si singulièrement conditionné que j'eusse bien préféré m'étendre à terre ». Elle dit qu'elle aurait bien préféré s'étendre par terre; mais pourquoi alors ne l'a-t-elle pas fait ? Elle aurait eu ainsi l'occasion de faire ce que beaucoup d'autres sont souvent obligés de faire.

[36] Op. cit., p. 301.

 

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