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………Troïlus et Cressida



Après Comme il vous plaira, René Girard analyse La Nuit des rois. Mais je ne puis passer au crible toutes les analyses de René Girard sous peine de lasser le lecteur qui pourrait bien avoir déjà envie de me dire : « N'en jetez plus ! » Je laisserai donc de côté cette pièce à laquelle d'ailleurs René Girard ne semble pas accorder une très grande importance. Mais, de peur qu'on ne puisse croire que je n'ai rien trouvé à redire à son analyse, j'évoquerai pourtant ce qu'il dit, au début, de l'amour d'Orsino pour Olivia : « Si Olivia est l'objet d'Orsino, elle est aussi pour lui un médiateur et un rival implacable puisqu'elle l'empêche de s'approprier le seul objet qu'il désire vraiment. Et c'est Olivia en personne qui est au cœur de la rivalité, une Olivia qui n'autorise même pas Orsino à voir de ses propres yeux ce que tout le monde désire : elle-même.
Au début de la pièce, Orsino tente d'approcher Olivia par l'intermédiaire d'une nouvelle venue, Viola qui se fait appeler Césario et que chacun prend pour un jeune homme :

…… Le Duc : Une fois de plus, Césario,
………Va trouver cette souveraine cruauté ;
………Dis-lui que mon amour, plus noble que l'univers,
………Ne prise pas une quantité de terres argileuses ;
………Les biens dont la fortune l'a comblée,
………Dis-lui que je les traite aussi légèrement que le fait la fortune ;
………Mais que c'est ce miracle, cette perle princière
………Dont la nature l'a parée qui attire mon âme (II, 4, 79-86) [1].

…… Comme d'habitude, la fameuse "rhétorique" est ici plus éclairante qu'on le croit en général : il est tout à fait exact que la passion d'Orsino ne tient son origine ni de la richesse d'Olivia, ni de la vivacité de son esprit, ni même de sa beauté, mais bien de sa "souveraine cruauté". Si le duc s'attache à Olivia, c'est à cause de sa totale indifférence » (p.134)

…… Une fois de plus, on se frotte les yeux. Comment René Girard peut-il oser prétendre que l'origine de la passion d'Orsino ne réside pas plus dans la beauté d'Olivia que dans sa richesse ou son esprit, alors qu'il affirme que seuls l'attirent en elle « ce miracle, cette perle princière dont la nature l'a parée »? Que peuvent bien être, en effet « ce miracle, cette perle princière dont la nature l'a parée » sinon sa beauté ?

…… C'est cette beauté qui a fait naître sa passion et qui l'a fait naître immédiatement, sans l'intervention de quelque médiateur que ce soit, comme nous le confirment, tout au début de la pièce, les vers dans lesquels Orsino évoque la naissance de son amour pour Olivia :

………O, when mine eyes dit ever see Olivia first
………Methougt she purged the air of pestilence,
………That instant was I turned into a hart,
………And my desires, like fell and cruel hounds,
………E'er since pursue me (I, 1, 19-23) [2].

…… Comme Orsino, Olivia semble penser que l'amour naît subitement et à la seule vue de l'être qui l'inspire, si l'on en juge par la façon dont elle commente les sentiments qu'elle découvre en elle après avoir rencontré Césario :

………Even so quickly may one catch the plague ?
………Methinks I feel this youth's perfections
………With an invisible and subtle stealth
………To creep in at mine eyes (I, 5, 245-248) [3].

…… Mais laissons La Nuit des rois pour en venir à l'analyse d'une pièce à laquelle René Girard accorde une importance tout à fait capitale, Troïlus et Cressida. En effet, si, à ses yeux, Comme il vous plaira est la pièce où le désir mimétique semble être le plus absent, il considère, au contraire, Troïlus et Cressida comme celle qui est la plus propre à démontrer qu'il constitue bien l'âme même du théâtre de Shakespeare et c'est pourquoi il ne lui consacre pas moins de cinq chapitres[4] : L'idée centrale du présent livre est que Shakespeare ne se contente pas d'illustrer plus ou moins indirectement le désir mimétique, mais qu'il en est le théoricien. S'il me fallait défendre ce point de vue à partir d'une seule de ses œuvres, c'est Troïlus et Cressida que je retiendrais. Aucune pièce n'a été aussi manifestement conçue pour montrer la réalité complexe de toute une série de phénomènes mimétiques, et la démonstration s'appuie, cette fois, non sur l'interaction limitée de quelques protagonistes, mais sur le contexte plus large de deux sociétés en état de guerre.

…… «Le Songe d'une nuit d'été est une très grande comédie, la plus grande peut-être sur le plan théâtral car le mécanisme du désir et de la rivalité y fonctionne de façon si huilée que sa présence demeure relativement discrète : il est sans cesse subordonné à la cohérence de l'entreprise théâtrale. Dans Troïlus et Cressida, ce n'est plus le cas. Loin de se muer en un rituel apaisant ou en un mythe délicieux, la pièce se termine de la manière la plus négative et la plus destructrice qui soit.

…… « Lorsqu'il ne sert plus l'objectif d'une remise en ordre finale, le désordre dévient une fin en soi, au moins du point de vue dramatique. Dans Troïlus et Cressida, les divers thèmes ou intrigues secondaires n'ont aucune raison d'être, hormis de dévoiler, l'une après l'autre, toutes les facettes de cette désintégration, si bien que la pièce pourrait se définir comme un traité de décomposition mimétique » (p. 151).

…… On le voit, René Girard est persuadé d'avoir trouvé avec Troïlus et Cressida la pièce qui devrait convaincre les plus sceptiques que Shakespeare est bien le plus grand girardien qui ait jamais existé avant René Girard, à la condition d'accorder toute l'attention qu'il mérite à un personnage qui, selon René Girard, a toujours été négligé par la critique, Pandarus : « Impossible de regarder Pandarus, ne serait-ce qu'une seconde, sans voir en lui toute la problématique du désir fait homme. Si l'on tient à interpréter Troïlus et Cressida sans mentionner le désir mimétique, il faut se détourner systématiquement de Pandarus, ne rien analyser de son rôle, et c'est ce que la critique traditionnelle a toujours fait. Personne n'étudie jamais ce personnage et personne n'a encore reconnu la valeur symbolique qui est la sienne au regard de toute la pièce » (p. 152).

…… Une fois de plus, René Girard est bien obligé de se rendre à l'évidence : personne avant lui n'a su voir ce qui pourtant sautait aux yeux, l'importance primordiale, l'importance capitale du personnage de Pandarus. Étant un entremetteur, on comprend aisément que Pandarus ait tout particulièrement retenu l'attention de René Girard, toujours en quête de médiateurs. Mais, si l'on se fie au texte de Shakespeare plutôt qu'aux affirmations de René Girard, on peut se demander si Pandarus joue bien le rôle et a bien l'importance que lui prête l'inventeur de la théorie mimétique. René Girard affirme que c'est Pandarus qui suscite l'amour de Troïlus pour Cressida de même que celui de celle-ci pour celui-là et il prétend que, pour arriver à ses fins, il fait appel à la meilleure « médiatrice du désir » possible : Hélène :

…… « Pandarus souhaite que sa nièce Cressida et le jeune Troïlus aient ensemble une aventure amoureuse et il s'efforce d'allumer en chacun d'eux séparément un ardent désir de l'autre.

…… « Il commence par Troïlus et déverse sur lui tout un flot de louanges aussi exagérées qu'extravagantes au sujet de Cressida ; puis il s'attaque à cette dernière en lui vantant de manière tout aussi excessive les mérites de Troïlus.

…… « Au milieu de ce discours sans surprise, Pandarus recourt de temps en temps à un procédé tout aussi banal mais plus efficace ; il essaie de faire d'Hélène, la célèbre Hélène, une médiatrice du désir qu'il veut faire naître […]

…… « Le désir fantasme d'Hélène, voilà le véritable stimulus : ni Pandarus ni Cressida ne s'intéressent d'ailleurs chez Troïlus, à la moindre qualité humaine réelle, capable de le rendre en soi digne d'amour, indépendamment des personnes qui risquent ou non d'être amoureuses de lui.

…… « Pandarus fournit à ses deux protégés le modèle de désir le plus irrésistible qu'on puisse trouver à Troie ou ailleurs, la belle Hélène. Rien n'incite au désir comme le désir lui-même. Hélène est l'aimant de désirs sans nombre et, à ce titre, elle est inégalable ; c'est pour ses beaux yeux qu'a lieu toute cette guerre de Troie : qui sur ce plan, pourrait se montrer plus efficace ?

…… « Tout ce qu'il arrive à Hélène de désirer, notamment en matière d'amour, son domaine de prédilection a des chances d'être avidement imité de toutes les femmes soucieuses de passer pour désirables. D'innombrables Cressida veulent être Hélène, au sens du désir métaphysique, au sens où l'Héléna du Songe se désire transmuée en Hermia, modèle à ses yeux de la réussite totale » (p. 152-153)

…… Il est exact que Pandarus essaie de se servir d'Hélène Il est exact qu'il jure à Cressida qu'Hélène aime Troïlus, qu'elle l'aime même beaucoup plus que Paris :

…… « I swear to you, I think Helen loves him better than Paris […] Nay, I am sure she does. She came to him th'other day into the compassed window, and you know he has not past three or four hairs on his chin […] But to prove to you that Helen loves him : she came and puts me her white hand to his cloven chin […] Paris is dirt to him, and I warrant Helen to change would give an eye to boot » (I, 2, 92, 94-96, 102-103, 197-198) [5].

…… Cela dit, Hélène ne joue aucunement envers Cressida le rôle de « médiatrice du désir » que Pandarus voudrait lui faire jouer et que René Girard croit qu'elle joue effectivement. Mais commençons par remarquer, ce qui ne saurait nous surprendre, que René Girard n'a sans doute pas lu le texte avec une très grande attention. Voici, en effet, comment il évoque l'épisode où Hélène caresse le menton de Troïlus : « Alors que l'élite troyenne se trouve rassemblée au grand complet, Troïlus est censé, à un certain moment, être celui vers qui tous les regards convergent. Hélène, en particulier, n'a d'yeux que pour lui. Lui tripotant la joue, elle s'extasie sur son teint de peau et, pour finir, se met à compter les rares poils qui lui poussent au menton » (p. 152). On le voit, la scène évoquée par René Girard ne cadre pas tout à fait avec celle qu'évoque Pandarus :

………She came to him the other day into the compassed window

…… Mais, il est vrai, cela importe assez peu. En revanche, René Girard contredit directement le texte en prétendant que « le désir fantasme d'Hélène » est « le véritable stimulus » du désir de Cressida qui serait totalement insensible « chez Troïlus, à la moindre qualité humaine réelle, capable de le rendre en soi digne d'amour ». Les propos que tient Cressida lorsqu'elle reste seule après le départ de Pandarus, prouvent clairement que les paroles de son oncle n'ont joué aucun rôle dans la naissance d'un amour qui était déjà à son comble avant qu'il ne lui parle :

………Words, vows, gifts, tears, and love's full sacrifice
………He offers in another's enterprise ;
………But more in Troïlus thousandfold I see
………Than in the glass of Pandars'praise may be ( I, 2, 235-238)  [6].

On le voit, pour aimer Troïlus, Cressida n'a pas besoin ni de médiateur ni de médiatrice. C'est en Troïlus même et en lui seul qu'elle voit ce qui fait naître son amour. Tout ce que peut dire Dardanus en faveur de Troïlus est parfaitement inutile et ne compte pas pour elle. Loin d'être triangulaire, son désir est né directement et immédiatement au premier regard qu'elle a jeté sur Troïlus comme elle le lui avouera plus loin :

………………………………I was won
………With the first glance that ever – pardon me :
………If I confess much, you will play the tyrant (III, 2, 97-99) [7].

Comme Phébé, elle aussi pourrait reprendre à son compte comme le fameux vers de Marlowe qu'on ne saurait trop rappeler, car il constitue sans doute le démenti le plus cinglant que l'on puisse apporter à la théorie mimétique :

………Who ever loved that loved not at first sight ?

Et c'est aussi très vraisemblablement le cas de Troïlus. Celui-ci n'a pas attendu que Pandarus lui parle de Cressida pour tomber follement amoureux d'elle. René Girard le reconnaît, mais cela ne l'empêche pas d'affirmer que Pandarus et Hélène servent de médiateur au désir de Troïlus : « Le désir de Troïlus est déjà à son comble, mais Pandarus essaie de l'exciter davantage encore et Hélène joue, là aussi un rôle dans cette tentative. Pandarus met en scène un triangle du désir qui en engendrera d'autres, plus tard, lorsque Cressida, de retour dans le camp des grecs, décidera qu'elle doit tromper Troïlus avec Diomède. Pandarus est l'accoucheur et l'ourdisseur du désir, son Alexandre et son Napoléon, le médiateur de tous les médiateurs. Comme le dieu de Descartes, sa poussée initiale met des mondes entiers en mouvement. » (p. 153)
Une fois de plus, on est amené à s'interroger sur l'étrange logique de René Girard. Si « le désir de Troïlus est déjà à son comble », on ne voit, en effet, vraiment pas comment Pandarus pourrait « l'exciter davantage ». Mais, si l'on admet que René Girard est un génie, un génie comme l'humanité, avant lui, n'en a peut-être jamais connu, il faut sans doute admettre aussi que sa pensée ne peut se laisser enfermer dans les lois de la logique ordinaire. Les bons Pères chez qui j'ai fait mes études secondaires aimaient à dire que les mystères qui nous semblent les plus incompréhensibles nous deviendraient aussitôt parfaitement clairs si nous pouvions nous mettre à la place de Dieu, sans, bien sûr, nous expliquer comment, n'étant pas eux-mêmes à la place de Dieu, ils pouvaient bien le savoir. Aussi ne m'avaient ils pas vraiment convaincu. Quant à René Girard, loin de partager la vénération qu'il inspire à tant de gens, je serais plutôt porté à lui adresser le même compliment que Thersite adresse à Achille :

………Idol of idiot-worshippers (V, 1, 6-7).

Quoi qu'il en soit celui que René Girard considère comme « le médiateur des médiateurs », que sans craindre le ridicule, il compare à Napoléon, à Alexandre et au dieu de Descartes, n'est pour rien dans le désir qu'éprouvent l'un pour l'autre Troïlus et Cressida.
Une fois Cressida remise aux Grecs, c'est Diomède qui, selon René Girard, prend le relais de Pandarus et sert de médiateur au désir de Troïlus. Et c'est Troïlus lui-même qui le pousse à jouer ce rôle : « Lorsque Troïlus remet Cressida à ceux qui sont chargés de l'escorter, il ne peut se retenir de faire, sur un ton provocant, l'éloge de sa maîtresse. Ce petit discours contient tout ce qu'il faut pour convaincre Diomède, son unique auditeur, que faire la cour à Cressida serait urne excellente idée. Et c'est bien entendu ce à quoi va s'employer ce merry greek sous l'inspiration mimétique de son rival :

……………Je te le dis, seigneur grec,
………Elle plane au-dessus de tes louanges aussi loin
………Que, toit, tu es indigne d'être appelé son serviteur.
………Je t'ordonne de bien la traiter simplement parce que je te
…………… [l'ordonne ;
………Car, par Pluton le terrible, si tu ne le fais pas,
………Même si cette grande carcasse d'Achille est ton gardien,
………Je te couperai la gorge ………(IV, 4, 123-129) [8].

…… « Infailliblement, la vanité et l'égo/altérocentrisme des Troïlus font de lui, en toutes circonstances, cet être avide de punition, ce "masochiste" qu'il est, si le mot a un sens, mais dont il ne percevra jamais la présence en lui-même. Il appartient à la famille bien connue des Valentins, Collatins et autres Silvius, mais il est le moins réfléchi de tous les personnages de ce type. De ce point de vue, il est aux antipodes du Claudio de Beaucoup de bruit pour rien.

…… « Troïlus est un de ces êtres qui ont besoin du plus de compagnie possible lorsqu'ils désirent : le voici nanti de tous les rivaux qu'il souhaite, l'armée entière des "joyeux grecs" ! Il est une illustration de plus d'une figure foncièrement shakespearienne : l'individu qui ne peut s'empêcher de crier sa bonne fortune sur tous les toits et d'ouvrir ainsi imprudemment la voie au cocufiage, à seule fin de fortifier une passion incertaine » (pp. 165-166).

…… Selon René Girard, Troïlus souhaite que Diomède tombe amoureux de Cressida, afin de raviver son propre désir qui serait en train de faiblir. Et il fait tout pour le pousser dans les bras de Cressida. Il le provoque, il le met quasiment au défi de la séduire. Mais les propos que Troïlus tient ici à Diomède, sont bien différents de ceux qu'il lui a d'abord tenus et que René Girard s'est bien gardé de citer. Il convient donc de les rappeler :

………Welcome, Sir Diomed. Here is the lady
………Which for Antenor we deliver you.
………At the port, lord, I'll give her to thy hand,
………And by the way posses the what she is.
………Entreat her fair, and by my soul, fair Greek,
………If e'er thou stand at mercy of my sword,
………Name Cressid, and thy life shall be as safe
………As Priam is in Ilium (IV, 5, 108-115) [9].

…… René Girard s'est bien gardé également de rappeler qu'à ces propos fort courtois Diomède n'a pas daigné répondre, mais qu'affectant d'ignorer Troïlus, il s'est adressé à Cressida en ces termes :

……………Fair Lady Cressid,
………So please you, save the thanks this prince expects.
………The lustre in your eye, heaven in your cheek,
………Pleads your fair usage ; and to Diomed
………You shall be mistress, and command him wholly (115-119) [10].

………On le voit, s'il y en a un qui provoque l'autre, c'est évidemment Diomède qui provoque Troïlus et non l'inverse. On pourrait difficilementt être plus provocant qu'il ne l'est. Il invite Cressida à oublier Troïlus dont elle n'aura plus besoin puisqu'il est, lui, est tout prêt à le remplacer en tout auprès d'elle

…… René Girard invoque aussi la réplique que Troïlus fait à Ulysse qui s'étonne de la véhémence avec laquelle s'exprime son amour :

……………Jamais un jeune homme n'a aimé
………D'une âme aussi éternelle et constante.
………Écoute, Grec : autant j'aime Cressida
………Avec autant de force je hais son Diomède » (V, 2, 163-168) [11].

…… Et il la commente en ces termes : « Le toujours naïf et véridique Troïlus nous explique lui-même que son amour pour Cressida est la mesure de la haine qu'il voue à Diomède, et inversement. Rien n'est plus vrai, et ce qui est formulé ici, c'est tout simplement le principe fondamental de la rivalité mimétique.

…… « Troïlus n'est pas assez intelligent pour comprendre à quel point son propre discours l'accuse : un peu plus tôt, ce même jour, cet hypocrite jurait à Cressida un amour éternel. Cette fois, en revanche, il dit la vérité, la toute la vérité, à savoir que l'infidélité de Cressida assure la pérennité de sa passion pour elle. Troïlus a oublié son indifférence momentanée et il n'éprouve à l'égard de lui-même aucune mauvaise conscience. Tout comme les critiques de la pièce, il considère que ses deux désirs séparés n'en font qu'un et pas un instant il ne doute de l'antériorité chronologique de son désir sur celui de ses rivaux, ni du caractère monolithique de ce désir. Si nous pouvions expliquer à Troïlus la nature mimétique de toutes ses réactions, ce digne jeune homme, très sincèrement indigné, nous trancherait certainement la gorge » (p.165)

…… René Girard prétend que la haine que Troïlus éprouve pour Diomède explique autant et sinon plus l'amour qu'il éprouve pour Cressida que celui-ci n'explique la haine qu'ils éprouve pour Diomède. Mais ce n'est pas ce que dit Troïlus. Il ne dit nullement que « l'infidélité de Cressida assure la pérennité de sa passion pour elle ». C'est René Girard qui le lui fait dire. Il dit seulement que la haine qu'il éprouve pour Diomède est à la mesure de l'amour qu'il éprouve pour Cressida. René Girard a pourtant entièrement raison sur un point. Il affirme, en effet, que Troïlus aurait envie de lui couper la gorge, s'il lui disait que le désir mimétique est à l'origine de sa passion pour Cressida. Assurément et ce n'est pas seulement Troïlus qui aurait envie de le faire, mais quasiment tous les personnages de Shakespeare, et plus qu'eux encore, celui qui les a créés, Shakespeare lui-même.


 

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NOTES :

[1]………………………………Once more, Cesario,
………Get thee to yon same sovereign cruelty.
………Telle her my love, more noble than the world,
………Prizes not quantity of dirty lands.
………The parts that fortune hath bestowed upon her
………Telle her I hold as giddily as fortune ;
………But ‘tis that miracle and queen of gems
………That nature pranks her in attracts my soul

[2] « Ah ! le jour où mes yeux découvrirent Olivia,
………Je crus la voir purifier l'air de toute peste,
………Mais fus sur l'heure mué en cerf, et depuis lors
………La meute féroce et enragée de mes désirs
………M'a pris en chasse »

[3] « Hélas ! peut-on si vite avoir le mal d'amour ?
………Je crois sentir les perfections de ce jeune homme
………Selon un processus invisible et furtif
………Se glisser en moi par les yeux ».

[4] Les chapitres 14 à 17 ainsi que le chapitre 26.

[5] « Je vous jure que je pense qu'Hélène l'aime davantage qu'elle n'aime Pâris […] Je suis même sûr qu'elle l'aime. L'autre jour, elle s'est approchée de lui dans la fenêtre en saille et vous savez bien qu'il n'a pas plus de trois ou quatre poils au menton […] Mais pour vous prouver qu'Hélène l'aime, la voici arrivée et elle me pose sa blanche main blanche sur son menton à fossette […] Pâris n'est rien auprès de lui et je suis sûr qu'Hélène, pour l'échanger, donnerait l'un de ses yeux par-dessus le marché ».

[6]……« Mots, serments cadeaux, larmes, de l'amour le sacrifice,
………Il les offre pour qu'un autre en tire bénéfice ;
………Mais en Troïlus, mille fois, j'ai davantage trouvé
………Que ce que le miroir de Pandare a loué »

[7] ……je l' [conquise] étais, seigneur,
………Dès le premier regard que jamais – mais pardon :
………Si je confesse beaucoup vous serez tyrannique ».

[8] ……I tell thee, lord of Greece,
………She is as far high-soaring o'er thy praises
………As thou unworthy to be called her servant .
………I charge thee use her well, even for my charge ;
………For, by the dreadful Pluto, if thou dost not,
………Though the great bulk Achilles be thy guard
………I'll cut thy throat.

[9] ……« Bienvenue, seigneur Diomède. Et voici cette dame
………Que nous vous remettons en échange d'Anténor.
………Je te la confierai à l'entrée de la ville,
………Et t'instruirai en route de ce qu'est cette femme.
………Traite-la courtoisement et, sur mon âme, beau grec,
………Si quelque jour mon glaive te tient à sa merci,
………Nomme Cresside et ta vie sera aussi en sûreté
………Que celle de Priam en Ilion ».

[10]…… « Belle dame Cresside,
………Dispensez-vous du merci que ce prince attend.
………La splendeur de vis yeux et le ciel de vos joues,
………Demandent traitement courtois ; et de Diomède,
………Vous serez la maîtresse, et commanderez en tout »

[11]……Never did young man fancy
………With so eternal and so fixed a soul.
………Hark, Geek : as much as i do Cressid love
………So much by weigh hate I her Diomed.

 

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