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………Les Deux Gentilshommes de Vérone



…… René Girard commence l'étude des différentes pièces de Shakespeare avec Les Deux Gentilshommes de Vérone. Cette pièce est, en effet, l'une des plus anciennes comédies de Shakespeare, sinon la plus ancienne [1] et René Girard a choisi de respecter le plus possible l'ordre chronologique, même s'il a parfois été obligé de s'en écarter [2]. Il commence son analyse en résumant le début de la pièce en ces termes : « Valentin et Protée sont amis depuis la plus tendre enfance. Ils habitent Vérone, mais leur pères respectifs souhaitent les envoyer à Milan poursuivre leurs études. Amoureux d'une jeune fille prénommée Julia, Protée refuse de quitter Vérone ; Valentin se rend seul à Milan ». Jusque-là, il n'y a rien à redire et le résumé, s'il est très rapide, ne comporte du moins pas de contrevérité. Mais cela ne dure pas et, dès la phrase suivante, il devient tout fait tendancieux et fausse très gravement le texte : « Malgré Julia, Protée souffre de l'absence de Valentin et il ne tarde pas à le rejoindre à Milan » (p. 17) René Girard suggère que Protée part spontanément rejoindre Valentin à Milan parce que le désir de retrouver son ami est plus fort que son amour pour Julia. De deux choses l'une, ou bien il s'est dit que, la pièce n'étant pas très connue, il pouvait se permettre de présenter les faits à sa façon, et que personne ou presque ne s'apercevrait qu'ils les avait arrangés pour qu'ils parussent se prêter à son interprétation ; ou bien, n'ayant gardé qu'un souvenir confus d'une pièce qu'il avait lue trop vite, et, obnubilé par ses lubies, il a inconsciemment reconstitué le texte de façon à lui permettre de faire intervenir plus aisément le désir triangulaire. C'est là une question qui se pose continuellement lorsque René Girard résume très librement un texte et à laquelle je me sens incapable de répondre. Je l'évoque donc une fois pour toutes et n'y reviendrai plus.

…… Quoi qu'il en soit, si l'on prend la peine de se reporter au texte de Shakespeare, on s'aperçoit tout de suite, que son résumé est gravement inexact. À lire René Girard, en effet, on pourrait croire que c'est de sa propre initiative que Protée va à Milan. Or il n'y va que contraint et forcé, sur l'ordre exprès de son père qui ne lui laisse pas le choix. À la scène 3 de l'acte I, Panthino, le valet d'Antonio, le père de Protée, rapporte à son maître la conversation qu'il vient d'avoir avec le frère de celui-ci. Il lui dit que son frère s'étonne que son neveu continue à vivre chez son père au lieu de s'instruire en voyageant, comme les autres jeunes gens de son âge et notamment son ami Valentin qui est parti à Milan à la cour de l'empereur. Antonio lui répond qu'il pense comme son frère, et, Panthino lui ayant alors appris que don Alfonso et d'autres gentilshommes devaient partir le lendemain pour Milan, il décide que son fils partira avec eux.

…… Sur ces entrefaites arrive Protée en train de lire une lettre de Julia. Son père lui demandant de qui est cette lettre, il lui répond qu'elle est de Valentin. Et comme son père manifeste alors l'intention de la lire, Protée prétend la lui résumer en lui disant que Valentin va bien et voudrait qu'il le rejoignît à Milan. Son père lui demande alors ce qu'il souhaite faire et il a l'imprudence de répondre qu'il n'a pas d'autre désir que de se conformer à sa volonté. Son père lui annonce alors la résolution irrévocable qu'il a prise : il doit partir le lendemain même rejoindre Valentin :

………I am resolved that you shalt spend some time
………With Valentinus in the Emperor's court [3] […]
………Tomorrow be in readiness to go.
………Excuse is not, for I am peremptory. (I, 3, 66-67 et 70-71) [4].

…… Protée essaie alors de gagner un jour ou deux sous prétexte de préparer son départ, mais en vain :

………My lord, I cannot be so soon provided.
………Please you deliberate a day or two.
………- Look what you want'st shall be sent after thee.
………No more of stay. Tomorrow thou must go. (ibid., 72-75) [5].

…… Resté seul, Protée exprime son dépit; il s'en veut amèrement d'avoir contribué lui-même à son malheur, d'abord en disant à son père que Valentin souhaitait qu'il vînt le rejoindre à Milan et ensuite en lui répondant que son seul désir était d'obéir à ses volontés :

………Thus have I shunned the fire for fear of burning
………And drenched me in the sea where I am drowned.
………I feared to show my father Julia's letter
………Lest he should take exception to my love,
………And with the vantage of my own excuse
………Hath he excepted most against my love.
………O, how this spring of love ressembleth
………The uncertain glory of an April day,
………Which now shows all the beauty of the sun,
………And by and by a cloud takes all away (lines 78-87) [6].

…… On voit à quel point le résumé expéditif de René Girard trahit le texte. Et ce faisant, il en méconnaît le comique. Car la déconvenue de Protée, qui s'empêtre dans ses mensonges, est tout à fait plaisante et le spectateur s'amuse fort lorsqu'il dit à son père qu'il a pour seul de désir de se conformer à ses volontés et que celui-ci s'empresse de le prendre au mot [7]. Mais, s'il y a un sens dont, comme tous les gourous et les prophètes, René Girard semble totalement dépourvu, c'est bien celui du comique.

…… Valentin et Protée sont des amis très proches comme nous l'apprend la première scène de la pièce. Ils le sont depuis l'enfance [8], mais on peut être des amis d'enfance sans pourtant avoir les mêmes goûts en tout et les mêmes opinions sur tout, comme le prétend René Girard qui en fait quasiment des jumeaux : « Deux jeunes gens qui grandissent ensemble, apprennent les mêmes leçons, lisent les mêmes livres, jouent aux mêmes jeux et sont à peu près d'accord sur tout. Ils ont aussi tendance à désirer les mêmes objets. Loin d'être un facteur marginal, cette convergence perpétuelle est un élément essentiel de leur amitié. Elle se manifeste de façon tellement régulière qu'elle semble prédéterminée par quelque destin surnaturel. En réalité, elle repose sur une imitation mutuelle si spontanée et si constante que le processus en demeure inconscient » (pp. 18-19).

…… Sur les relations de Valentin et de Protée, René Girard dispose peut-être d'autres renseignements que ceux que nous donne Shakespeare. Mais, si c'est le cas, il aurait dû indiquer ses sources, ce dont les shakespeariens n'auraient pas manqué de lui être très reconnaissants. Comment sait-il, en effet, qu'ils « lisent les mêmes livres »? Certes ! ils semblent avoir lu tous les deux le poème de Marlowe Hero and Leander, puisque Valentin y fait une allusion [9]. Mais tous les jeunes gens de bonne famille doivent l'avoir lu aussi. Pour les autres livres, si Shakespeare avait voulu nous faire savoir qu'ils avaient lu les mêmes, il aurait fait en sorte que l'un des deux, ou un autre personnage, nous le dît. Ils ont en tout les mêmes désirs, prétend René Girard. Il y a pourtant un domaine très important, essentiel, dans lequel ils ne manifestent pas du tout les mêmes dispositions : l'amour. Alors, en effet, que Protée est passionnément amoureux, non seulement Valentin est resté jusqu'ici indifférent à l'amour, mais il témoigne d'un profond dédain pour ce sentiment Et c'est apparemment un des grands sujets de discussion des deux jeunes gens, et sans doute même le principal. Toujours est-il que si Protée est amoureux de Julia, ce ne peut être pour imiter Valentin. C'est donc là un premier fait qui, non seulement ne va pas dans le sens de l'interprétation de la pièce que René Girard entend nous proposer, ou plutôt nous imposer, mais la contredit directement. Quant à Valentin il semble lui aussi insensible au désir mimétique : l'amour passionné de Protée pour Julia ne lui fait aucunement désirer celle-ci.

…… Le moins que l'on puisse donc dire, c'est que le début de la pièce ne nous prépare aucunement à accepter l'interprétation de René Girard contrairement à ce qu'il voudrait nous faire croire. Voyons maintenant si la suite de la pièce s'accorde mieux avec sa théorie. Une fois arrivé à Milan, Valentin tombe aussitôt amoureux de la fille du duc, Silvia. Cet amour relève apparemment du coup de foudre (« I have loved her since I saw her » dit Valentin à Presto [10]) et semble ne rien devoir au désir mimétique, comme René Girard le reconnaît lui même : « Contrairement à Protée, Valentin semble être à l'abri du désir mimétique. À Vérone, il résiste au désir de son ami, et à Milan, pour autant qu'on le sache, il tombe amoureux sans le moindre secours extérieur. Son désir pour Silvia ne s'inspire d'aucun modèle ou intervention visible » (p. 23). Mais ce serait bien mal connaître René Girard que de penser qu'il va accepter une évidence contraire à ses thèses et nous verrons tout à l'heure qu'il va, en effet, la récuser.

…… Lorsque Protée rejoint Valentin à Milan, il tombe lui aussi amoureux de Silvia aussitôt qu'il la voit. Valentin se lance alors dans un éloge hyperbolique de la beauté de Silvia, et, resté seul, Protée, étonné d'avoir si vite oublié Julia pour Silvia va se demander un court instant si cet éloge n'est pas à l'origine d'un amour si soudain. Comme on peut s'en douter, René Girard n'a pas manqué pas de faire un sort à cette interrogation et d'en conclure sans plus d'examen, que l'on avait là un parfait exemple de désir mimétique : « S'il y eut jamais coup de foudre sur terre (“love at first sight [11]”), ce doit être cet amour-là ; mais Protée, lui, n'en est pas certain. En trois vers d'une importance capitale, il propose une autre explication du désir que lui inspire Silvia :

………Est-ce mon œil ou les louanges de Valentin,
………Sa perfection véritable ou ma perfide trahison
………Qui me fait, déraisonnable, raisonner ainsi (II, 4, 196-198) »
……………(p. 17) [12].

…… Il n'en faut pas plus pour que René Girard soit persuadé d'avoir définitivement gagné la partie : « Le reste de la comédie ne fait que confirmer le rôle crucial joué par Valentin dans la genèse de la passion soudaine de Protée. […] À l'époque où Shakespeare écrivait ses pièces, le désir de seconde main qu'il représente n'avait ni nom ni existence officielle. De nos jours on l'appelle désir mimétique ou médiatisé. Valentin est le modèle ou le médiateur de ce désir. Protée est le sujet qui l'imite, Silvia est leur objet commun.

…… « Le désir mimétique peut frapper avec la vitesse de la foudre parce qu'il ne dépend qu'en apparence de l'effet visuel produit par l'objet. Protée désire Silvia non pas parce que leur brève rencontre a fait sur lui une impression décisive, mais parce qu'une prédisposition secrète l'incline vers tout ce que Valentin désire » (pp. 17-18)

…… On me permettra de ne pas me laisser convaincre sans avoir regardé les choses d'un peu plus près et, pour ce faire, de commencer par replacer les trois vers que René Girard a cités dans leur contexte, le monologue de Protée :

………Even as one heat another heat expels,
………Or as one nail by strength drives out another
………So the remembrance of my former love
………Is by a newer object quite forgotten.
………Is it my eye, or Valentine's praise
………Her true perfection, or my false transgression
………That makes me, reasonless, to reason thus ?
………She is fair, and so is Julia that I love –
………That I did love, for now my love is thawed,
………Bears no impression of the time it was.
………Methinks my zeal to Valentine is cold,
………And that I love him not as I was wont,
………O, but I love his lady too-too much,
………And that's the reason I love him so little.
………How shall I dote on her with more advice,
………That thus without advice begin to love her ?
………'Tis but her picture I have yet beheld,
………And that hath dazzled my reason's ligt.
………But when I look on her perfections
………There is no reason but I shall be blind.
………If I can check my erring love I will.
………If not, to compass her I'll use my skill (II, 5, 185-206) [13].

…… On le voit, Protée commence par constater que Silvia lui a fait aussitôt oublier Julia. Pour essayer de s'expliquer la soudaineté de ce changement, il se demande donc si l'éloge si enthousiaste que Valentin a fait de la beauté de Silvia ne lui a pas troublé l'esprit Mais, n'ayant pas lu René Girard, il ne s'arrête pas à cette explication qu'il semble avoir complètement oubliée par la suite. Il est si peu porté à chercher l'explication de son nouvel amour dans sa vieille amitié pour Valentin qu'il a, au contraire, le sentiment que son nouvel amour a porté un coup peut-être mortel à cette vieille amitié. Bien loin de douter sérieusement que ce soit bien la vue de Silvia qui ait fait naître son amour, il se dit, au contraire que, s'il lui a suffi de l'entrevoir un court instant pour en tomber amoureux, sa passion ne connaîtra plus de bornes, lorsqu'il aura pu la contempler à loisir.

…… Mais René Girard a préféré oublier la fin du monologue de Protée pour pouvoir affirmer que Shakespeare y « minimise le rôle de la perception dans la genèse du désir de Protée pour Silvia :

………Elle est belle comme l'est Julia que j'aime,
………Que j'aimais… (II, 4, 199-200) [14].

…… « Si Silvia n'est pas, objectivement, plus désirable que Julia, son avantage (le seul)) est d'être déjà désirée par Valentin. Shakespeare sape la prédominance de la vue dans l'expression love at first sight (littéralement : “l'amour au premier coup d'œil”). De même, dans le Songe d'une nuit d'été, les deux jeunes filles sont présentées comme étant d'égale beauté, et cela aussi vise à renforcer la thèse d'un désir non pas direct, mais second et copié sur un désir modèle ». (p. 18)

…… Il est vrai que « Silvia n'est pas, objectivement, plus désirable que Julia ». Mais son seul avantage n'est pas « d'être déjà désirée par Valentin ». Il est, tout simplement, d'être là, d'être là sous les yeux de Protée, alors que Julia est restée à Vérone. Quand il voit Silvia, il oublie totalement la beauté de Julia, comme il le dit un peu plus loin dans un autre monologue, mais René Girard a sans doute oublié ces vers aussi :

………And Silvia – witness heaven that made her fair –
………Shows Julia but a swarthy Ethiope (II, 6, 25-26) [15].

………Mais il suffira que Julia enlève son déguisement à la fin de la pièce, pour qu'elle retrouve aussitôt toute sa beauté aux yeux de Protée en éclipsant Silvia à son tour ;…

………What is in Silvia's face but I may spy
……… More fresh in Julia's, with a constant eye ? (V, 4, 112-113) [16.

…… Si l'on se fie à Shakespeare plutôt qu'à René Girard, c'est bien la vue, qui fait naître l'amour de Protée pour Silvia comme elle avait fait naître son amour pour Julia. À en croire René Girard, Protée serait tombé amoureux de Silvia non seulement à cause de l'éloge enthousiaste que Valentin lui a fait de sa beauté, mais aussi à cause de l'indifférence qu'il a toujours témoignée à l'égard de Julia : « L'indifférence de Valentin à l'égard de Julia a déjà sapé à la racine le désir de Protée pour cette jeune fille » (20). Mais cette affirmation est totalement arbitraire. Aussi bien René Girard ne s'appuie-t-il sur aucune citation. Il ne peut pas le faire, car ni Protée ni Valentin ni aucun autre personnage ne suggère jamais rien de tel. Mais cette affirmation n'est pas seulement arbitraire, elle est absurde. Car, si la théorie de René Girard était fondée, avant de saper l'amour de Protée pour Julia, l'indifférence de Valentin aurait dû l'empêcher de naître. Elle devrait aussi l'empêcher de renaître à la fin de la pièce lorsque Protée redécouvre la beauté de Julia. Rien ne dit, en effet, que l'indifférence de Valentin a cessé et encore moins qu'elle s'est muée en un soudain amour qui, dans la perspective de René Girard, pourrait seul expliquer la résurrection de celui de Protée.

…… Valentin ne joue aucun rôle dans le fait que Protée oublie Julia pour tomber amoureux de Silvia ni dans le fait qu'il revienne finalement à Julia. Aucun médiateur n'intervient dans les amours de Protée. Il n'obéit qu'à ses pulsions. Loin d'être mû par le désir mimétique, il incarne l'individualisme farouche et l'absolu égoïsme de l'amour et il en est pleinement conscient :

………I to myself am dearer than a friend (II, 6, 23) [17]
se dit-il à lui même et à Silvia, qui lui reproche de trahir son meilleur ami, il répond :

………In love
………Who respects friend ? (V, 4, 53-54) [18].

…… Julia, quant à elle, ne songe jamais à imputer à Valentin la moindre responsabilité dans le fait que Protée l'a abandonnée. Elle se l'explique de la même façon qu'il le fait lui :

………Because he loves her, he despiseth me. (IV, 4, 81) [19].

…… Non content d'affirmer que l'amour de Protée pour Silvia ne peut s'expliquer qu'en en faisant appel à la théorie mimétique, René Girard prétend que celui de Valentin lui-même relève lui aussi de la même explication. Il commence pourtant, nous l'avons vu, par reconnaître que cet amour semble tout à fait spontané et totalement autonome. Mais il n'est pas homme à s'incliner devant ce que tout autre que lui considèrerait comme une évidence, si elle ne s'accorde pas avec ses lubies. Comme Thomas Diafoirus « il ne démord jamais de son opinion [20]». Il balaie donc cette apparente difficulté avec le dédain le plus énergique : « Cette autonomie du désir n'est qu'une apparence trompeuse et ne constitue paradoxalement qu'une illusion mimétique de plus » (p. 23). On attend donc avec curiosité ses explications, car, de prime abord, on ne voit vraiment pas comment il va pouvoir faire intervenir ici le désir mimétique.

…… Mais, s'il n'est pas à l'origine de l'amour de Valentin, le désir mimétique, selon René Girard, n'en intervient pas moins… « a posteriori». Il prétend que Valentin fait tout pour que Protée désire Silvia, afin de se donner ainsi un modèle mimétique qui lui permettra de stimuler son propre désir. Cette thèse ne laisse pas de paraître a priori passablement tortueuse, et, le moins que l'on puise dire, c'est que sa démonstration ne fera qu'accroître notre perplexité. René Girard s'étonne tout d'abord de la chaleur et de l'enthousiasme avec lesquels Valentin loue la beauté de Silvia devant Protée. Selon lui, il se comporte comme s'il essayait de le jeter dans les bras de Silvia : « Il travaille avec tant de fièvre à son propre cocufiage qu'on se demande où se situe son véritable désir.

…… « Valentin aspire-t-il secrètement à voir des liens amoureux se tisser entre sa maîtresse et son meilleur ami ? On peut à bon droit, et on doit même, se poser la question » (p. 23). Mais y a-t-il vraiment lieu de s'étonner que Valentin fasse avec tant d'enthousiasme l'éloge de Silvia ? C'est, en effet, l'habitude des amoureux de soûler leurs amis en leur chantant les louanges de la beauté et des autres mérites de l'élue ou de l'élu de leur cœur. Shakespeare le sait bien, lui qui, dans Beaucoup de bruit pour rien, fait dire à Don Pedro en s'adressant à Claudio :

………Thou wilt be like a lover presently
………And tire the hearer with a book of words (I, 2, 232-233) [21].

…… Et ils veulent aussi que leurs amis partagent leur enthousiasme et les flattent en encensant l'objet de leur passion, comme Valentin demande à Protée de le faire :

………O flatter me ; for love delights in praises (II, 4, 141) [22].

…… Et les amoureux sont encore plus intarissables lorsqu'il s'agit d'un premier amour et d'un amour de fraîche date, comme c'est le cas de Valentin. Et il doit être d'autant plus porté à en rajouter qu'il s'adresse à un Protée qu'il sait bien peu préparé à croire qu'il puisse être vraiment amoureux. Non seulement, en effet, il s'est montré jusqu'ici indiffèrent envers les femmes, mais il n'a cessé de parler des amoureux en termes très caustiques [23] et Protée ne manque pas de lui rappeler qu'il se plaisait à se moquer de lui [24]. Ajoutons que Valentin est vraisemblablement persuadé que Protée ne saurait aimer une autre femme que Julia. Qu'il puisse espérer ou craindre que Protée tombe amoureux de Silvia est donc peu probable.

…… Mais cela n'est pas pour embarrasser René Girard qui est convaincu d'avoir trouvé l'explication de l'éloge si enthousiaste que Valentin fait à Protée de la beauté de Silvia : « L'indifférence de Valentin envers Julia affaiblit très vite, puis détruit entièrement chez Protée le désir qu'il a de celle-ci. On comprend que Valentin cherche à éviter pareille mésaventure et c'est pourquoi il essaie de convaincre Protée de la supériorité de Silvia.

…… « Valentin aime Silvia, mais son amour connaîtrait peut-être le même sort que celui de Protée pour Julia si la réaction de ce dernier se révélait identique à la sienne propre dans l'épisode initial. Si Valentin loue à l'excès les mérites de Silvia, c'est précisément pour exorciser ce risque […].

…… « Valentin donne à son désir plus de réalité qu'il n'en a parce qu'il souhaite contaminer son ami et faire de Protée un modèle mimétique a posteriori.

…… « On voit clairement la façon dont Valentin s'y prend pour convaincre Protée de la divinité de Silvia ; pour être moins visible, l'apport de Protée au désir de Valentin n'est est pas moins considérable. À mesure que s'accroît le désir de Protée pour l'objet désormais commun aux deux amis, celui de Valentin fait de même et l'on voit s'animer son éloquence » (p. 24).

…… Celui qui lit ces lignes ne peut être que sidéré, s'il se souvient du texte de Shakespeare ou s'il a pris la peine de s'y reporter. Il comprend aisément en tout cas pourquoi René Girard évite, lui, de s'y référer. À le lire, en effet on pourrait croire non seulement que Valentin se rend compte que Protée était tombé amoureux de Silvia, mais qu'il voit cet amour s'accroître au fur et à mesure qu'il vante la beauté de Silvia, ce qui le rend lui-même de plus en plus enthousiaste. On est en plein délire. En réalité, Valentin qui, redisons-le, a toutes les raisons de croire que Protée est toujours amoureux de Julia, ne se rend aucunement compte qu'il est amoureux de Silvia. Protée se garde bien, en effet, de laisser paraître ses sentiments qu'il est amoureux. Bien au contraire, tout en reconnaissant la beauté de Silvia, il refuse de souscrire aux éloges dithyrambiques qu'en fait Valentin en l'exhortant à les ratifier. Il déclare même qu'il trouve Julia plus belle et accuse son ami d'être un vantard :

………Why, Valentine, what braggartism is this ? (II, 4, 157) [25].

…… On le voit, René Girard fait preuve de beaucoup de légèreté ou de mauvaise foi. Ou bien, en effet, il ne se souvient pas du texte, ou bien il se s'en souvient, mais il se dit que ses lecteurs ne le connaissent pas ou le connaissent mal et que bien rares seront ceux qui se donneront la peine de s'y reporter pour vérifier ses dires.

…… Cela dit, René Girard n'a pas tort de juger que l'enthousiasme de Valentin a quelque chose d'outré et que ses éloges hyperboliques sont quelque peu suspects. Mais il a tort d'en tirer argument en faveur de la théorie mimétique. Selon lui, nous le savons, Valentin voudrait que Protée désirât Silvia afin que son désir stimulât et entretînt le sien : « Nos désirs ne deviennent vraiment convaincants que lorsqu'ils sont reflétés par ceux des autres. Fonctionnant un cran au-dessous de la pleine conscience, chacun de nous épie les réactions de ses amis et essaie de les orienter dans le sens de ses choix incertains, sens dont notre propre désir ne doit pas dévier d'un pouce s'il ne veut pas paraître mimétique (montrer pareille constance dans le désir n'est pas quelque chose qui va de soi). S'aidant de son modèle mimétiquement conditionné, Valentin consolide donc un désir encore hésitant et transforme en vérité complète la demi-vérité de son amour pour Silvia » (p. 24).

…… Certes, les amoureux sont volontiers intarissables sur les mérites de l'être aimé et ils attendent de leurs amis, comme Valentin le dit lui-même, qu'ils les approuvent chaleureusement. Mais il est vrai qu'il en fait vraiment beaucoup. Il n'y a pourtant aucune raison de penser qu'il cherche à communiquer son amour pour Silvia à un Protée qu'il croit d'ailleurs indéfectiblement attaché à Julia. Admettons cependant qu'il puisse éprouver le besoin de se rassurer sur la profondeur de ses sentiments. Cela, pour autant, ne permettrait aucunement d'en tirer argument en faveur de la théorie de René Girard. « Nos désirs, nous dit-il, ne deviennent vraiment convaincants que lorsqu'ils sont reflétés par ceux des autres ». On peut penser, au contraire, que, s'ils ont besoin d'être reflétés par ceux des autres, ils ne seront jamais convaincants.

…… Dans mon premier livre sur René Girard, je m'étais étonné qu'il n'ait pas cité la maxime 136 de La Rochefoucauld : « Il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux s'ils n'avaient entendu parler de l'amour ». J'en avais conclu sans hésiter qu'il ne la connaissait pas, car il n'aurait pas manqué de lui faire un sort et de célébrer en La Rochefoucauld un autre précurseur du girardisme. Mais il aurait eu tort. J'ai analysé cette maxime dans mes Études sur les Maximes de La Rochefoucauld [26]. S'il avait été girardien, La Rochefoucauld n'aurait pas manqué d'affirmer que les hommes ne tomberaient jamais amoureux, s'ils n'entendaient jamais parler de l'amour. Mais il n'avait évidemment pas envie que tout le monde lui rît au nez. C'est pourquoi, alors que d'ordinaire il confère à ses maximes une portée très générale, tout en s'abstenant avec une sage prudence de les présenter comme universellement valables, grâce à des formules comme « le plus souvent » ou « la plupart des hommes », cette fois-ci il a recours à une formule qui suggère clairement qu'il ne s'agit pas d'un cas ordinaire : « il y a des gens ». Il nous parle de gens qui se distinguent des autres, qui constituent une minorité, une exception. Ils ne sont aucunement représentatifs. La Rochefoucauld pense manifestement, et c'est une évidence pour quiconque n'est pas girardien, que la majorité des hommes n'ont pas besoin d'avoir entendu parler de l'amour pour tomber amoureux. Les « gens qui n'auraient jamais été amoureux s'ils n'avaient entendu parler de l'amour » sont, en réalité, des gens qui ne deviennent jamais vraiment amoureux. Ils essaient seulement de se convaincre eux-mêmes, et de convaincre les autres, qu'ils ont fini par tomber amoureux, et ils n'y parviennent jamais tout à fait. On ne comprend donc pas cette maxime si l'on ne perçoit pas son caractère ironique. Loin de nous conduire à penser que La Rochefoucauld était girardien sans le savoir, elle serait plutôt de nature à nous convaincre que la lecture de René Girard lui aurait fait hausser les épaules.

…… Certes, tout compte fait, Valentin paraît un peu moins impropre à illustrer la théorie du désir mimétique que ne l'est Protée. Il cherche, en effet, à avoir l'approbation de son ami alors que celui-ci s'est toujours apparemment fort bien passé de la sienne. Mais si le désir de Valentin peut sembler un peu moins éloigné du désir mimétique que ne l'est celui de Protée, c'est tout simplement qu'il est loin d'être aussi profond ni aussi intense. Plus un désir ressemble à un désir mimétique, moins il ressemble à un véritable désir. Celui de Protée le pousse à essayer de violer Silvia. On peut penser que, si le désir de Protée était effectivement un désir second, un désir copié sur celui de Valentin, il serait moins violent et ne le porterait pas à de telles extrémités. Mais tel n'est pas l'avis de René Girard : « Si l'on se fie à notre idéologie individualiste et romantique, un sentiment d'emprunt comme celui-ci apparaît comme trop inauthentique pour être ressenti avec intensité. Chez Shakespeare, il en va tout autrement : Protée éprouve un désir si irrépressible qu'il entreprend bel et bien de violer Silvia, et celle-ci n'est sauvée que par l'intervention in extremis de Valentin » (pp.17-18). Quoi que puisse dire René Girard, ce n'est pas une idéologie, individualiste, romantique ou autre, qui incite à penser qu'un « sentiment d'emprunt » ne saurait être ressenti avec une grande intensité : c'est le sens commun et la logique. Ce n'est pas l'idéologie majoritaire qui est individualiste, c'est le désir, le véritable désir, celui qui n'est pas girardien. Le désir girardien n'est pas dangereux. Les snobs ne sont pas des gens violents et c'est pourquoi, malgré l'extrême vigueur des mes critiques envers Girard, je ne redoute aucunement que ses fans, ulcérés que je puisse oser me gausser de leur gourou, viennent jamais m'agresser physiquement. Ils se contenteront toujours, comme certains le font sur internet, de dire que je suis un universitaire et un écrivain ratés et que c'est la jalousie qui me fait attaquer René Girard dont j'envie l'immense notoriété. Aussi n'ai-je jamais songé à demander une protection policière.

…… Même si Valentin a fini par tomber amoureux lorsqu'il a rencontré Silvia, il ne l'est pas, pour autant, et il ne le sera jamais, aussi passionnément que peut l'être un Protée. Aussi bien, alors que on amour pour Silvia fait oublier à Protée son amitié pour Valentin, celui-ci est-il lui, prêt à sacrifier son amour à son amitié. Satisfait d'avoir entendu Protée exprimer de vifs remords, il se déclare prêt, en effet, à renoncer à Silvia pour la lui laisser :

………Then I am paid,
………And once again I do receive thee honest.
………Who by repentance is not satisfied
………Is not of heaven nor earth. For these are pleased ;
………By penitence th'Eternal's wrath's appeased.
………And that my love may appear plain and free,
………Alla that was mine in Silvia I give thee ( V, 4, 77-83) [27].

…… À la vérité, une telle générosité ne laisse pas d'être assez surprenante et les commentateurs n'ont pas manqué de s'en étonner et ont généralement préféré renoncer à en proposer une explication satisfaisante. René Girard croit lui, avoir trouvé, grâce, bien sûr, à sa théorie : « Toujours désireux de voir les traîtres et coquins sévèrement unis, les critiques traditionnels sont scandalisés par ce qu'ils appellent la générosité excessive de Valentin.

…… « Ces esprits sévères ne voient pas que notre héros a une bonne part des responsabilité dans la déloyauté de son ami. Au début Valentin lui-même ne comprenait pas l'effet que produisaient sur Protée ses provocations mimétiques, mais maintenant il sait et n'a aucune envie de jouer au vertueux. Au moins obscurément, il comprend sa propre indignité » (pp. 26-27).

…… Remarquons tout d'abord que René Girard ne semble pas très bien se souvenir de ce qu'il a écrit plus haut. Il prétend maintenant que Valentin « ne comprenait pas l'effet que produisaient sur Protée ses provocations mimétiques » lorsqu'il vantait avec tant d'enthousiasme devant Protée la beauté de Silvia. Il écrivait pourtant quand il commentait cette scène : « À mesure que s'accroît le désir de Protée pour l'objet désormais commun aux deux amis, celui de Valentin fait de même et l'on voit s'animer son éloquence ». On avait donc cru comprendre que, selon René Girard, Valentin s'était non seulement rendu compte des sentiments que Protée éprouvait pour Silvia, mais avait pu en observer la progression. C'était, nous l'avons dit, une affirmation totalement dénuée de fondement, puisque Protée s'était bien gardé de laisser paraître ses sentiments pour Silvia et avait, au contraire, feint d'être toujours aussi amoureux de Julia.

…… La nouvelle affirmation de René Girard qui, prétend que Valentin se juge en partie responsable de la trahison de son ami est, elle aussi, dénuée du moindre fondement. Car on chercherait en vain, dans les propos de Valentin lorsqu'il apprend la trahison de Protée, quoi que ce soit qui pût justifier l'interprétation de René Girard :

………Thou common friend, that's without faith or love,
………For such is a friend now. Treacherous man,
………Thou hast beguiled my hopes. Naught but mine eye
………Could have persuaded me. Now I dare nor say
………Il have one friend Alive. Thou wouldst disprove me.
………Who should be trusted, when one's right hand
………Is perjured to the bosom ? Proteus,
………I am sorry I must never trust the more.
………But count the world a stranger for thy sake
………The private wound is deepest. O time most accursed,
………'Mongst all foes that a friend should be the worst (V, 4, 62-72) [28].

…… On le voit, Valentin ne dit absolument rien qui puisse suggérer le moins du monde qu'il cherche des excuses à la trahison de Protée et essaie d'atténuer sa responsabilité en en prenant une part sur lui. La condamnation, au contraire, est sans appel et Valentin souligne au contraire avec beaucoup de force et d'amertume la noirceur de cette trahison.

…… Arrivé au terme de son analyse des Deux Gentilshommes de Vérone, René Girard croit devoir apporter un « léger rectificatif » à son interprétation : « Si elle veut être satisfaisante, notre interprétation des Deux Gentilshommes de Vérone appelle un léger rectificatif. Pour les besoins de la démonstration, j'ai quelque peu forcé la symétrie mimétique des deux protagonistes, laquelle n'est pas toucheurs aussi parfaite loin de là. Une approche plus nuancée s'impose.

…… « La symétrie en question n'est aucunement imaginaire, mais dans cette pièce du début, elle est loin d'être aussi triomphante qu'elle le sera dans l'œuvre ultérieure de Shakespeare. Elle se manifeste avec force, mais encore un peu mélangée à son contraire, c'est-à-dire à l'asymétrie des deux héros. L'auteur semble hésiter entre deux conceptions diamétralement opposées de sa propre comédie.

…… « À certains moments, on a le sentiment que les deux protagonistes sont également en proie au désir mimétique et qu'entre eux la réciprocité ou la symétrie est parfaite. À d'autres moments, le “mauvais” désir mimétique semble être exclusivement le fait de Protée et sur le fond ténébreux de cette singularité, la bonté insubstantielle de Valentin acquiert un certain poids dramatique. Quand cela se produit, en d'autres termes, protée n'est plus qu'un traître de comédie et Valentin, par contraste, fait figure de héros “positif”.

…… « Le Shakespeare de la maturité dissoudrait complètement cette dissymétrie conventionnelle : il disloquerait la dichotomie héros/traître plus complètement qu'il ne le fait ici ; il écrirait une pièce radicalement shakespearienne où les agaceries mimétiques de Valentin seraient l'équivalent exact de la trahison dont Protée se rend coupable » (pp. 31-32).

…… Ce « léger rectificatif » ne laisse pas d'être assez plaisant. Il est, en effet, difficile de ne pas avoir envie de pouffer de rire lorsqu'un critique, qui vient de nous proposer un long tissu d'affirmations qui, quand elles ne sont pas clairement contredites par le texte, sont parfaitement dénuées de fondement, déclare que, tout compte fait, tout bien pesé, il se sent dans l'obligation de nuancer quelque peu ses sottises. Il est heureux que Roland Barthes n'ait pas cru devoir, à la fin du Sur Racine, nous proposer, lui aussi, un « léger rectificatif ». Un certain nombre de lecteurs auraient, comme moi, risqué de mourir de rire.

…… René Girard s'accuse donc d'avoir quelque peu forcé, d'avoir légèrement faussé le texte de Shakespeare en exagérant « la symétrie mimétique des deux protagonistes ». En réalité, avoue René Girard, Valentin, et il le regrette, n'apparaît pas aussi totalement dominé par le désir mimétique que l'est Protée. Pourtant, s'il fallait absolument distinguer entre les deux protagonistes pour savoir lequel serait le plus propre ou plutôt le moins impropre à illustrer les thèses girardiennes, je l'ai déjà dit, contrairement à René Girard, je choisirais Valentin. Protée, lui, est l'exemple même du désir non mimétique, du désir totalement autonome et parfaitement égoïste. Mais je ne reviendrai pas sur ce point.

…… Je veux, en revanche, attirer l'attention sur une imbécillité majeure à laquelle conduit la théorie interprétative de René Girard. S'il fallait l'en croire, Les Deux Gentilshommes de Vérone ne serait pas une pièce aussi aboutie qu'elle aurait pu l'être si Shakespeare avait su créer entre ses deux protagonistes une parfaite « symétrie mimétique ». On serait pourtant porté à croire que le dramaturge, comme le romancier, doit éviter de créer de trop grandes symétries entre ses personnages et chercher au contraire à les individualiser et à leur prêter des personnalités des goûts et des intérêts différents. Persuadé qu'il sont tous mus per le même ressort, le désir mimétique, René Girard a une fâcheuse tendance à vouloir les rendre interchangeables. Mais nous retrouverons souvent ce problème plus, notamment à propos du Songe d'une nuit d'été.

…… Quoi qu'il en soit, René Girard juge que Les Deux Gentilshommes de Vérone n'est pas encore une pièce pleinement shakespearienne parce qu'elle n'est pas encore pleinement girardienne. Le génie de Shakespeare se cherche encore, il n'a pas encore parfaitement réalisé qu'il ne saurait jamais être assez girardien. Fort heureusement, il va très vite le comprendre et offrir à René Girard cette œuvre radicalement shakespearienne, parce que radicalement girardienne, qu'il appelle de ses vœux. Cette œuvre, c'est Le Viol de Lucrèce qui fait d'objet du deuxième chapitre de son livre.


 

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NOTES :

[1] Si elle n'a été publiée pour la première fois qu'en 1623, elle a, nous dit Henry Suhamys, été « composée et représentée probablement vers 1592 » (Dictionnaire Shakespeare, Ellipses, 2005, p. 105)

[2] J'aurais aimé pouvoir d'un bout à l'autre concilier l'étude chronologique des pièces avec la présentation logique du processus mimétique qui est aussi un processus temporel. La conjugaison des deux fonctionne relativement bien avec les comédies, mais, après Troïlus et Cressida, la nécessité d'exposer les choses dans un ordre qui les rend intelligibles m'a forcé, pendant un temps, à faire des allées et venues entre des pièces de différentes périodes » (p. 13).

[3] Le texte n'est pas très cohérent : au début de la pièce, Shakespeare nous parle de la cour de l'Empereur, alors qu'il va s'agir en fait de celle du duc de Milan.

[4] « J'ai résolu de te faire passer quelque temps
…… Avec Valentinus à la cour impériale […]
…… Tiens-toi prêt à partir pas plus tard que demain.
…… Ne cherche pas d'excuse, je suis déterminé ».

[5] « Monseigneur, je ne peux être si tôt pourvu.
…… Patientez, s'il vous plaît le temps d'un jour ou deux.
…… Ce qui te manquerait t'arrivera par la suite.
…… Ne parle plus de délai. Demain tu dois partir ».

[6] « Ainsi, j'ai fui le feu pour ne pas me brûler
…… Et plongé dans ma mer où je me suis noyé.
…… J'ai eu peur de montrer la lettre de Julia,
…… Craignant qu'à mon amour mon père ne s'oppose.
…… Et lui, tirant parti de mon propre prétexte,
…… Aussi fort qu'il se peut s'oppose à mon amour.
…… Oh ! comme ce printemps de l'amour rappelle
…… D'une journée d'avril l'incertaine splendeur !
…… Elle dévoile un moment tout l'éclat du soleil
…… Qu'un nuage peu après emporte tout entier ».

[7] On pense, bien sûr, à la scène si comique du Tartuffe où Orgon demande à Mariane ce qu'elle pense de Tartuffe et où, celle-ci ayant eu l'imprudence de lui répondre :
…… « Hélas ! j'en dirai, moi, tout ce que vous voudrez,
…… il la prend au mot et lui dicte sa réponse :
…… C'est parler sagement. Dites-moi donc, ma fille,
…… Qu'en toute sa personne un haut mérite brille,
…… Qu'il touche votre cœur et qu'il vous serait doux 
…… De le voir, par mon choix devenir votre époux » (acte II, scène 2, vers 440-444).

[8] « I knew him as myself, for from our infancy
…… Whe have conversed, and spend our hours together, »
dit Valentin au duc (II, 4, 55-56).

[9] Voir I, I, 23-24.

[10] « Je l'aimée du jour où je la vis » (II, 1, 54).

[11] Rappelons que cette expression provient d'un vers célèbre de Marlowe :
…… « Who ever lov'd that lov'd not at first sight ? » (« Nul n'a aimé s'il n'aima au premier regard », Hero and Leander, I, 176).

Rappelons également que Shakespeare a cité ce vers dans Comme il vous plaira, (III, 5, 82), ce qu'il n'aurait peut-être pas fait, s'il avait pensé que le désir était toujours mimétique.

[12] « Is it my eye, or Valentine's praise
……Her true perfection, or my false transgression
……That makes me, reasonless, to reason thus ? »

[13] « De même qu'une flamme repousse une autre flamme,
……Ou de même qu'un clou force l'autre à sortir,
……De même le souvenir de mon ancien amour
……Par un nouvel objet est plongé dans l'oubli.
……Est-ce mon regard ou bien l'éloge de Valentin,
……La vérité de sa perfection ou l'erreur de ma trahison
……Qui me fait, sans raison, raisonner ainsi ?
……Elle est belle, et belle aussi Julia que j'aime –
……Que j'aimais, car voilà qu'a fondu mon amour,
……Comme une image de cire approchée d'une flamme
……Ne garde nulle empreinte de la chose qu'elle était.
……Mon zèle pour valentin s'est, je crois, refroidi
……Et je ne l'aime plus, comme jadis je faisais.
……Oh ! mais j'aime beaucoup trop celle qui a son cœur,
……Et c'est pour cette raison que je l'aime, lui, si peu !
……Combien vais-je être fou d'elle à la réflexion
……Moi qui sans réflexion m'en suis ainsi épris !
……Je n'ai vu jusque-là que son aspect seulement,
……Et il a ébloui les yeux de ma raison.
……Mais lorsque mon regard verra ses perfections
……Il n'y a pas de raison qu'elles ne me rendent aveugle.
……Si je peux, j'arrêterai mon amour qui s'égare,
……Sinon, à la faire mienne je mettrai tout mon art »;

[14] « She is fair, and so is Julia that I love –
……That I did love.»

[15] « Et Silvia – le ciel qui la fit belle en témoigne -
……Ne fait voir en Julia qu'Éthiopienne à peau sombre »

[16] « Qu'a donc le visage de Silvia que je ne puisse,
…… D'un œil constant, découvrir en Julia ? »

[17] « Je suis plus cher à moi-même que n'est un ami ».

[18] ……… « En amour
…… Qui s'occupe d'un ami ? » 

[19] « Parce qu'il l'aime, moi il me dédaigne »

[20] Molière, Le Malade imaginaire, II, 5.

[21] « On va te voir bientôt semblable à l'amoureux ;
……Tu lasseras les gens de tes flots de paroles ;  »

[22] « Oh ! flattez-moi ! l'amour se repaît de louanges »

[23] Voir le dialogue de Valentin et Protée au tout début de la pièce (I, 1, 25-53).

[24] « When I was sick you gave me bitter pills » (« Souffrant de ce mal [l'amour], j'eus de vous d'amères pilules »), II, 4, 142).

[25] « Voyons, Valentin, quelle vantardise est-ce là ? »

[26] Eurédit, 1999, pp. 61-63.

[27] « Dans ce cas, j'ai mon dû,
……Et de nouveau t'accepte et te tiens pour honnête.
……Qui de la repentance ne se satisfait pas
……N'est ni du ciel ni de la terre ; eux s'en contentent ;
……L'ire éternelle s'apaise pour l'âme pénitente.
……Et pour quefranc et libre entre nous soit le lien,
……Je te donne tout ce qui en Silvia était mien ».

[28] « Ami très ordinaire, qui n'as ni parole ni cœur,
……Comme il en va d'un ami d'aujourd'hui. Perfide,
……Tu as trahi mes espoirs. Rien d'autre que mes yeux
……N'aurait pu m'en convaincre. Je ne puis plus prétendre
……Avoir un seul ami. Tu me démentirais.
……À qui aller se fier lorsque votre main droite
……Est parjure envers votre cœur ? Je regrette, Protée,
……De ne jamais plus pouvoir me fier à toi,
……Et tiens, à cause de toi, le monde pour étranger.
……Intime blessure navre le plus. Temps entre tous maudit
……Quand de tous les ennemis le pire est un ami »

 

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